Apolline Picot, directrice exécutive de la création expérience chez Landor, nous fait part des nouveautés et tendances qu’elle a pu observer lors du dernier Cannes Lions International Festival of Creativity.
Apolline Picot, quoi de neuf à Cannes ?
A.P. C’est difficile de sortir d’une semaine aussi intense et d’en faire un résumé. Ce fut un moment incroyable, avec en plus la chance de faire partir du jury Brand Experience & Activation. Pour vous situer les choses, nous avons eu 2300 dossiers de candidature, puis nous en avons retenu 400 lors d’une première session, pour arriver à 296 dossiers lors d’une seconde session, le tout sur plusieurs groupes. Enfin, c’est à Cannes que nous avons finalisé une short list et attribué le Bronze, puis l’Argent et pour finir l’Or et le Grand Prix. L’ensemble du processus a nécessité trois semaines de travail en amont et trois jours sur place.
Qu’avez-vous retenu comme faits marquants ?
A.P. D’abord le sens, ainsi que le démontrent les deux propositions de Renault, avec d’abord Cars to work, un vrai business model en matière de commerce, et Time Fighters, encore en phase d’élaboration, où il s’agit de concevoir en collaboration avec les pompiers une voiture de manière qu’ils aient plus rapidement accès aux occupants. On a vraiment ici cette valeur ajoutée par rapport à la notion de sens. Je note également que l’humour était très présent : l’utilisation de l’humour dans la brand activation avait déjà émergé l’année dernière et s’est renforcée cette année. Il ne s’agit pas de faire simplement sourire, mais de faire sens par rapport à la marque avec des prises de position humoristiques sur le produit. Je pense à Dramamine, médicament qui lutte contre le mal des transports, qui avec campagne 360 (film, exposition et interview) rend hommage au sac à vomi dans une tonalité assez légère. On démontre que l’efficacité du médicament est telle qu’il est en train de tuer l’industrie du sac à vomi. Ce n’est pas de l’humour gratuit et c’est cela qui est intéressant. Toujours sur le terrain de l’humour, j’ai constaté beaucoup de cas de react-advertising comme avec les bonbons Sweethearts qui ont lancé la série Situationships lors de la Saint-Valentin à l’attention des couples qui sont dans une phase de situationship (ndlr : une relation qui est plus qu’une amitié, mais moins qu’une relation engagée). L’entreprise a récupéré tous les bonbons non conformes lors de la production et les a rassemblés dans un emballage Sweethearts Situationships. C’est une façon intelligente d’avoir de l’autodérision sur le sujet (ndlr : et au passage, éviter le gaspillage). Je pense aussi à l’incident qui s’est produit lors d’un match de baseball pendant lequel le joueur Shohei Ohtani a heurté un des panneaux d’affichage du stade sur lequel était diffusée une publicité pour la bière Coors Light, ce qui a provoqué un gros impact médiatique. Eh bien, dans les 48 heures, la marque a lancé une série d’éditions limitées en mettant en avant le panneau noir abîmé. Voilà une réactivité parfaite en lien avec un fort évènement. Je note aussi qu’il faut toujours un peu d’autodérision pour jouer avec les codes de sa marque comme Heinz qui est partie d’un tweet lors d’un match de football américain montrant Taylor Swift manger du poulet avec du ketchup et un autre condiment à base de mayonnaise et de moutarde, le tout pouvant s’apparenter à de la sauce ranch. Du coup, Heinz lance une sauce dénommée Seemingly Ranch. Ce qui est amusant est que Heinz avait lancé peu de temps auparavant une sauce ranch qui n’avait pas du tout marché. Et là, la Seemingly Ranch est référencée immédiatement dans tous les Walmart. La marque est allée vite, a tiré parti du moment et a pris des risques. Et on est dans un moment d’autodérision très réactive. C’est d’ailleurs une tendance : l’egoless brand où comment être capable d’apprendre de ses erreurs.
Vous avez noté d’autres tendances ?
A.P. Oui, dans un autre registre on a vu passer pas mal de blurring the line of reality ou comment le gaming entre dans la vraie vie et vice versa. Un des meilleurs cas est la Xbox avec le jeu The Everyday Tactician qui s’efforce de faire disparaître toutes les barrières entre online et offline. Autre exemple, le club de football Bromley FC qui embauche un gamer pour remonter dans le classement en utilisant les connaissances acquises par le jeu. Et cela a très bien marché ! Autrement dit, les qualités dont on peut faire preuve dans l’online peuvent s’appliquer dans la vraie vie : le virtuel et la réalité s’enrichissent mutuellement. Je pense aussi au jeu Diablo qui a fait appel à tous les joueurs pour faire des dons de sang, ce qui permet pour gagner des points dans le jeu. Toujours dans cette combinaison de jeu et de vraie vie, je pense à Orange qui a créé des cabines téléphoniques dans les jeux où l’on peut se réfugier lors d’un harcèlement en ligne. Là aussi, on sort du jeu pour aller dans la réalité et inversement. J’ai constaté beaucoup de cas également sur comment une marque exploite la loi pour faire la différence. Ainsi, Heineken avec son initiative Pub Museums qui tire parti du fait qu’en Irlande les musées sont exempts de certaines taxes. Heineken a transformé de vieux pubs en musées, ce qui a permis une exemption de taxes. Cela a aidé tout le monde : les pubs qui ont pu se relancer, et la marque, bien sûr. Je pense également à la tendance open source avec Taco Bell qui attaque les entreprises utilisant la marque Taco Tuesday afin de la rendre libre de droits et utilisable par tout le monde. Ou encore Dove qui met en open source son code permettant de créer des textures de cheveux plus réalistes.
Comment conclure sur Cannes Lions ?
A.P. On peut tous apprendre de Cannes qui est le Championnat du monde de la création et des idées. Et voir comment pousser nos projets au regard des nouveautés et tendances constatées. Je voudrais aussi dire que toutes les agences françaises sont alignées pour défendre nos spécificités, car nous sommes reconnus comme les champions de la création. Et puis, un mot sur l’IA : l’année dernière tout le monde se demandait ce qui allait se passer cette année avec l’IA. Force est de constater que parmi tous les projets présentés, personne n’a jamais posé la question de l’utilisation. Seule l’idée créative compte, quelle que soit la technologie utilisée.
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1330