AREP : imposant mais discret

Céline Portaz, directrice du développement France d’AREP, et Céline David, directrice du design nous parlent du groupe AREP, filiale de SNCF Gares & Connexions, qui se décrit comme une entité “réunissant de multiples compétences : architecture (AREP Architectes), urbanisme, design, ingénierie, programmation, flux, conseil et management de projet”. 

Céline Portaz, Céline David, pouvez-vous vous présenter et présenter AREP ?
C.P. Pour ce qui me concerne, j’ai rejoint AREP en 2009, avec deux vies : d’abord en travaillant avec Isabelle Le Saux qui était directrice du design (ndlr : et aujourd’hui directrice du design de SNCF Voyageurs), puis en rejoignant le Codir d’AREP avec la mission d’amplifier l’activité de la société en dehors de SNCF Gares & Connexions. Le groupe AREP, dirigé depuis fin 2018 par Raphaël Ménard, rassemble au total 1000 personnes, dont 50 pour l’activité touchant au design. Notre positionnement est construit sur deux piliers, la mobilité et l’environnement, qui structurent fortement nos actions de développement. Nos donneurs d’ordre sont généralement issus de la sphère publique, même si l’un de nos objectifs est de dessiner des trains pour des donneurs d’ordre privés. Le groupe AREP se concentre sur trois métiers : architecture d’intérieur, design de produits, graphisme et signalétique, auxquels il convient d’ajouter un lab d’Innovation et de design de services. Nous avons très peu de concurrents, du fait de notre taille et de notre diversité d’expertises, mais disons qu’une structure comme AIA Life Designers pourrait se rapprocher de ce que nous faisons. Sur la partie design seule, nos concurrents sont les agences de design global, et bien sûr les agences spécialisées dans le secteur de la mobilité.
C.D. Je suis architecte d’intérieur, diplômée de Camondo. J’ai démarré ma carrière dans le retail des produits de luxe, ce qui constitue une excellente école, compte tenu, notamment, du soin apporté aux détails. Je suis ensuite partie au Canada, à Montréal, pour faire de l’architecture d’hôtels, de restaurants ainsi que des projets pour de la clientèle privée. Ce fut l’occasion d’aborder une nouvelle culture et de nouvelles façons de travailler, différentes des nôtres. À mon retour, j’ai rejoint Renault pour 14 ans, à la Direction du design industriel, entité qui prend en charge de l’ensemble des identités des marques pour ce qui concerne l’UX, l’UI, les iconographies ou l’architecture d’intérieur. J’étais dans le pôle Architecture, en charge de l’évènementiel (salons, essais presse, concepts retail, déploiement de certaines activités tertiaires en lien avec la Direction de l’immobilier). Ce fut une expérience très enrichissante du fait du positionnement de cette Direction vis-à-vis des démarches de création, de l’interfaçage avec les nombreuses agences extérieures, et également des suivis de projets devant garantir l’intégrité de chaque marque. J’ai terminé ce parcours automobile en étant promue responsable adjointe du studio. Au-delà de la voiture, ce passage chez Renault m’a permis de découvrir le design industriel et d’avoir la chance de travailler sur des sujets passionnants et variés. Ce sont également tous ces aspects qui m’ont intéressée chez AREP, où je suis depuis un an et demi, car le design y est abordé selon une approche multimétiers, avec un spectre varié de projet. 

Quelle est votre perception de la mobilité par le prisme du design ?
C.D. Il y a des choses qui évoluent énormément, en particulier sous l’angle de la décarbonation. On intervient en se centrant sur les usages et sur l’utilisateur. Nous abordons nos projets en tenant compte de la problématique de l’interconnexion, car le voyageur utilise généralement différents moyens de transport pour effectuer son trajet. 
C.P. On intervient aussi bien sur les périmètres urbains qu’en zones rurales. On travaille sur le produit train, bien sûr, mais également sur tout son écosystème : signalétique, mobilier, etc. D’autre part, il faut bien être conscient que nos réponses ne sont pas les mêmes en fonction des échelles considérées : les problématiques de centre-ville ne sont pas les mêmes qu’en zone peu dense.
C.D. Nous prenons aussi en compte le back-office : le parcours des collaborateurs ou les questions d’ergonomie des postes de travail. Notre approche est globale, de l’analyse préalable en allant jusqu’à la question du genre ou la gestion de la sécurité.
C.P. Et, bien évidemment, nous intégrons dans notre approche tous les aspects liés à la durabilité ou à la  low-tech. Nous avons dans ce cadre une démarche que nous avons appelée EMC2B, pour énergie, matière, carbone, climat et biodiversité. Autrement dit, nous prenons en compte dans nos pilotages de projets le spectre des enjeux sociétaux clés.
C.D. Ce qui revient à dire que nous partons en amont de la programmation, en abordant l’ensemble des champs du design, pour aller jusqu’aux développements techniques.
C.P. Nous l’avons déjà mentionné, mais je me permets d’insister : nous sommes très orientés usages, c’est l’une de nos caractéristiques majeures. Dans cet esprit, il nous faut combiner approches douces et durabilité. Nous devons piloter des contraintes jusqu’à présent souvent considérées comme opposées. C’est pour cela que nous construisons nos projets en intégrant toujours l’utilisateur final, ce qui nous permet de déployer des parcours globaux avec une vision commune sur l’ensemble des composantes – digital, accueil physique, messages –, le tout en tenant compte des caractéristiques des lieux, comme les petites ou grandes gares. 

Quelle est votre vision du design français ?
C.D. Le design français est à la fois sensible et pragmatique : sans doute plus minimaliste dans les réponses formelles que des designs d’autres pays, mais avec une grande attention aux usages et en particulier aux utilisateurs finaux. Le métier du design est en constant développement et de moins en moins vu par le grand public sous l’unique prisme du mobilier. Si l’UX et l’UI se développent, il faut bien constater que le design de service reste à promouvoir et à infuser. Il demeure en France des axes de développement importants et il est heureux que la formation du design y soit d’excellent niveau. Je suis persuadée que nous sommes dans des années où le design va se développer en France de façon notable.
C.P. J’ai le souvenir d’une cliente qui me disait  “Je ne vous demande pas de réfléchir, je vous demande de faire du design”. C’était il y a longtemps, mais c’est quand même très révélateur !

Comment va évoluer le design chez AREP ?
C.D. On le voit bien : nous sommes dans une phase d’expansion pour ce qui concerne le design. Il y a seulement quelques années, la mobilité chez AREP c’était le train et les gares.  Aujourd’hui, nous sommes sur toutes les mobilités, avec par exemple les véhicules intermédiaires. On se développe sur tout ce qui est l’environnement tertiaire et on travaille avec plusieurs clients engagés sur le design low-tech comme le réemploi, les solutions thermiques, les solutions de proximité avec le corps, tout en prenant en considération l’existant. Il s’agit de s’adapter activement au changement climatique en retravaillant les aménagements intérieurs, en y en apportant, par exemple, des cloisons rafraichissantes. Pour information, nous testons beaucoup en interne avant de déployer en dehors.
C.P. Il faut bien constater que l’aménagement intérieur et le mobilier sont des “impensés” du réchauffement climatique. Nous avons la chance chez AREP d’avoir des ingénieurs environnement qui travaillent avec les designers pour développer de nouvelles solutions.
C.D. Tout à fait, et dans cet esprit on réfléchit actuellement à une “chaise bouillotte” qui permettra de savoir si l’on peut-on se passer ou non d’un chauffage ou d’une climatisation à grande échelle. Il ne s’agit pas de réinventer l’objet chaise, mais de penser un dispositif adaptable sur tout modèle pour apporter un confort de façon responsable. Dans la même veine, on regarde les rafraichisseurs adiabatiques ainsi que les essais à base de terre cuite. 
C.P. Tous ces sujets de flux d’air sont pour nous très intéressants.                
C.D. Il faut savoir que pour chaque solution nouvelle, nous créons des guides pour les utilisateurs : cela permet d’accompagner le changement de façon douce.
C.P. Finalement, le design c’est aussi de la conduite du changement…

Un message pour terminer ? 
C.D. N’hésitez pas à venir nous voir pour échanger et travailler avec nous ! On est trop souvent identifié pour des sujets comme la gare, alors que nous avons la chance de pouvoir aborder tout secteur du fait la pluridisciplinarité d’expertises de nos équipes. Je voudrais également insister sur le fait que malgré un climat ambiant compliqué, on travaille sur des sujets enthousiasmants, porteurs de sens et engagés sur le bien commun ou sur la notion de service public au sens large.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1328