Design : inclusion et transition

Une interview qui fait la part belle à deux démarches pédagogiques : celle de l’école La Renverse, avec Laure Vignalou qui en est le pilote et qui est également chargée des problématiques de l’égalité des chances et de la diversité au sein de l’École des Arts Décoratifs, et celle de Strate, École de design, avec son nouveau master Design Transition[s], présenté par Estelle Berger, responsable du Reset Design Lab de Strate, et Emna Kamoun, enseignante-chercheuse à Strate.

La Renverse avec Laure Vignalou

Laure Vignalou, qu’est-ce que La Renverse ?
L.V. La renverse est une école d’un autre type qui provient d’une rencontre entre Emmanuel Tibloux, le directeur de l’École des Arts Décoratifs, et Cathy Bouvard, la directrice des Ateliers Médicis (ndlr : les Ateliers Médicis “accueillent en résidence des artistes de toutes les disciplines et soutiennent la création d’œuvres pensées en lien avec les territoires. Ils favorisent ou organisent la rencontre entre les artistes et les habitants”). Le projet commun est de fusionner la composante territoire des Ateliers Médicis et la partie savoir-faire l’École des Arts Décoratifs pour donner naissance à La Renverse, structure qui aide les jeunes de la Seine-Saint-Denis (93), dans les domaines des arts visuels et appliqués : dessin, design, mode, photo et vidéo. L’idée est que La Renverse soit installée dans les futurs nouveaux bâtiments des Ateliers Médicis. En attendant, nous sommes logés à l’école primaire Bachelet à Saint-Ouen, également dans le 93. La Renverse a démarré l’année dernière et la première promotion fera son apparition cette année.

Quelle est votre approche pédagogique ?
L.V. On est là pour s’occuper des jeunes qui ont été invisibilisés : ils ont démarré des études qui n’ont rien à voir avec les études artistiques, ou bien ils ont subi une pression parentale qui les a fait dévier de leur souhait d’effectuer des études artistiques ou bien ils n’ont pas réussi à intégrer une filière artistique malgré leur demande – et ils ont donc décroché. Nous accompagnons ces jeunes dans le cadre d’une reprise d’études avec accompagnement au jour le jour jusqu’à Parcoursup ou dans le cadre d’un projet  professionnel. La pédagogie est portée par Waren Boyeau, diplômé en scénographie des Arts Décoratifs et expérimenté dans la transmission du savoir dans des contextes proches de ceux de La Renverse. Il y a une faible différence d’âge entre les professeurs et les étudiants. Les professeurs sont majoritairement de jeunes professionnels diplômés des Arts Décoratifs et qui ont une expérience dans la transmission en résidence artistique, en école ou en divers lieux culturels. Nous travaillons à la fois sur la création sous forme de workshops, en partenariat avec des marques, sur des projets pluridisciplinaires et également sur des suivis individuels de projets personnels en lien avec la professionnalisation. Ce qui nous différencie d’autres formations est que nous sommes très près des jeunes : nous partons de leur pratique et on les accompagne dans leur pratique, dans une optique de professionnalisation qui est notre fil rouge. Il s’agit de donner à ces jeunes la connaissance de leur futur milieu professionnel ainsi que les outils pour y pénétrer (CV, lettre d’intention, etc.). En fin d’année, un stage d’un mois est organisé.

Quel est votre objectif ?
L.V. L’idée est de semer des graines après avoir prouvé que le projet de La Renverse fonctionne en matière de reprise d’étude ou professionnalisation. Ainsi, nous souhaitons créer des mini Renverse sur l’ensemble du territoire français, toujours en collaboration avec les Ateliers Médicis. 

Un message pour terminer ?
L.V. L’appel à candidatures se termine le 19 juin : les inscriptions se font en ligne, sur le site des Ateliers Médicis. ■

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Master Design Transition(s) avec Estelle Berger et Emna Kamoun

Estelle Berger et Emna Kamoun, quels sont les points clés de ce master Design Transition(s) ?
E.K. On s’intéresse à l’écologie, comme tous nos collègues. Dans cette optique, il s’agit de poser le process design comme point de départ et non pas le considérer seulement dans une dimension postcréation ou postprocess. L’idée est d’envisager comment partir des limites physiques pour penser un produit ou un service. Nous sommes Estelle et moi dans une démarche de recherche, mais également très au contact des entreprises : tout le monde sait qu’il faut changer nos façons de faire, mais on ne se sait pas comment et avec quels outils. Par conséquent, l’ambition est de former des designers, non pas aux métiers du design, mais à l’accompagnement.
E.B. Historiquement, l’enseignement du design était très lié aux activités R&D des entreprises. Il y a donc une nécessité de transformer l’approche du design au sens large, et partout. Il faut des préfigurateurs assez radicaux pour engager une évolution de l’entièreté de l’éducation en design : ce master est un précurseur de nouvelles formes de design dans la société et dans son environnement. On aimerait sortir aussi de cette opposition entre le service public et le capital. Les designers issus de ce master pourront travailler aussi bien pour la collectivité que pour l’entreprise privée.
E.K. Dans le cadre de ce master, nous avons signé un partenariat avec la Tongji University en Chine, ce qui permettra une double diplomation Strate X Tongji. L’enseignement du master est donc dispensé en anglais, dans l’optique d’accueillir des étudiants internationaux.

Votre objectif pédagogique ?
E.K. Nous avons la volonté d’un design systémique qui prend en considération le fonctionnement des mondes vivants.
E.B. Nous souhaitons élargir les modes d’intervention des designers dans une approche non itérative et plutôt linéaire. On veut créer et innover, mais aussi être capable d’accompagner le renoncement ou coconstruire avec les acteurs du terrain. Nous ne sommes pas forcément orientés problem solving.
E.K. Nous voulons aussi résoudre des problématiques éparpillées et les mettre en lien. Il y a également une forte proximité de cette formation avec le design fiction, ce qui permet de pouvoir réfléchir à un niveau stratégique : nous avons donc prévu des cours de prospective ainsi que des cas concrets en matière de design fiction.

Quel est le planning ?
E.K. Le démarrage de cette formation aura lieu en septembre prochain et les inscriptions sont en cours.
E.B. Précisons que le master sera d’abord ouvert sur le site de Sèvres, puis également sur Lyon lors de la rentrée 2025. ■

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1327