House of Codesign : design et plus

Éric Lemoine, cofondateur de House of Codesign, nous parle de son entreprise à mission dans laquelle démarche et outils du design sont fortement mis à contribution.

Éric Lemoine, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
E.L. J’ai démarré ma carrière chez Apple et suis entrepreneur depuis que j’ai l’âge de 25 ans. Je suis investisseur dans plusieurs start-up et également CEO de Reloaded. J’ai co-fondé House of Codesign en 2017, société dans laquelle Groupe Alpha a acquis 15 % du capital il y a un an (ndlr : le Groupe Alpha, fondé par Pierre Ferracci en 1983, “investit tous les champs de la chaîne de l’emploi et contribue à construire de nouveaux espaces de dialogue social et territorial, intégrant les enjeux de santé et de sécurité au travail, les dynamiques de développement local et de conduite de changement ou encore les problématiques de formation tout au long de la vie”). Cette prise de participation est l’occasion pour House of Codesign d’apporter à Groupe Alpha de nouvelles méthodes de travail inspirées du design.

Éric Lemoine, qu’est-ce exactement que House of codesign ?
E.L. House of Codesign c’est d’abord un lieu, à Saint-Ouen dans le 93, ouvert depuis depuis six ans. Nous sommes devenus une entreprise à mission, ce qui a constitué un tournant stratégique clé pour nous. Il s’agit de faire naître et accompagner des idées génératrices d’impact social ou environnemental. Pour information, 95% du chiffre d’affaires réalisé en 2023 a été généré par des projets à impact social et environnemental. Autre aspect important, nous sommes sur des modèles distribués qui sont différents des modèles traditionnels de type centralisé ou décentralisé. Notre modèle comprend des collaborateurs en CDI, des filiales et des indépendants qui travaillent pour nous 2/3 de leur temps. Nous rémunérons ainsi chaque mois une vingtaine de personnes. Au-delà de notre base physique à Saint-Ouen, nous disposons d’un lieu à Marseille et d’un autre à Bruxelles, HCB, qui est le petit frère de Saint-Ouen, que nous avons établi avec un partenaire immobilier propriétaire du centre d’affaires local. 

De quelle manière sont constituées vos équipes ?
E.L. Nous avons des designers ainsi que des profils issus du monde du pilotage des projets, de la communication et du marketing. On aime particulièrement les moutons à cinq pattes avec des parcours variés, car c’est dans les parcours atypiques que se trouve la richesse. Et, cela va de soi, notre principe de travail est basé sur le collectif.

Comment intervenez-vous ?
E.L. On accompagne les grands comptes privés ou publics dans un processus de design, de construction et de déploiement. Il ne serait pas envisageable de se limiter à la seule phase du design, ce serait quelque part raser gratis. En tant qu’entreprise à mission, nous avons un double référentiel, économique, bien sûr, mais aussi en matière d’impact. N’oubliez pas que les entreprises à mission sont auditées tous les deux ou trois ans selon leur taille. Par conséquent, lorsque nous prévoyons d’intervenir pour un client, nous regardons toujours dès le départ s’il sera possible de produire ou non un impact. Nous n’avons aucun parti pris : par exemple, si un grand pétrolier vient nous voir et que nous voyons la possibilité que notre intervention produise un impact positif, alors nous travaillerons avec lui. C’est donc dès le cadrage de la mission que cet aspect de l’impact sera pris en compte : pas d’impact, pas de mission ! Dans ces conditions, il nous arrive de temps en temps de refuser une mission. Notre position est que l’on peut bosser avec tout le monde si on peut avoir de l’impact et si le client s’engage.

Comment utilisez-vous la démarche et les outils du design ?
E.L. Nous les utilisons souvent dans des problématiques de transformation en nous appuyant sur une logique de codesign. Cela remonte au début des années 2000 lorsque j’ai voulu impliquer davantage les clients pour leur permettre de mieux visualiser, car la projection mentale est quelque chose de compliqué. D’où une mise en place d’ateliers et d’outils de prototypage rapide, tout cela pour aller droit au but et impliquer au maximum. On a testé et validé nos méthodologies en intégrant notre lieu à Saint-Ouen qui est dans cette optique un véritable asset stratégique du fait de la qualité du lien que l’on arrive à mettre en place. Le fait de s’y réunir avec nos clients permet de mieux se connaître les uns les autres, d’accélérer les prises de décision, et, évidemment, d’apprendre à travailler ensemble. Cela est d’autant plus vrai que nos équipes avec leur diversité ont la maîtrise de la facilitation. Nous utilisons également l’intelligence collective et le design pour utiliser tous les ressorts de la création, avec une forte pression temporelle pour accélérer l’entraide. Cette fraternité est très intéressante notamment dans des entreprises très traditionnelles, où, tout d’un coup, on tombe la veste et on travaille main dans la main. Notre composante collective est fondamentale et se combine avec les méthodes de design du marché, mais aussi avec des méthodes que nous avons créées.  

Quelles sont vos offres ?
E.L. Elles sont de trois types : travailler sur la raison d’être, le design de service et les programmes d’innovation et transformation. Je vais vous donner quelques exemples pour illustrer cela : pour la raison d’être, on a travaillé avec Kestrel, société qui a connu un fort développement international. On a passé trois jours avec 45 cadres dirigeants du monde entier pour créer un commun de raison d’être en s’aidant d’ateliers avec de l’intelligence collective et du design. Cela a permis de produire un manifeste et des contenus. Pour le design de services, on a conçu la Maison de l’autisme à Aubervilliers, avec la volonté d’en faire le lieu emblématique de la cause de l’autisme en France. C’est une cause portée par le président de la République, Emmanuel Macron, et validée par lui. Ce fut un travail à la fois très intéressant et très émouvant. On a évidemment reconnecté à la raison d’être et on a proposé une vision macro du lieu avec des familles d’offres basées sur la temporalité – on est là pour une heure, une journée ou bien on est résident permanent. On a également un jumeau numérique en ligne de la Maison de l’autisme en ligne. Mais, autant la maison physique est géniale, car elle est telle que nous l’avons souhaité, le tout en 18 mois, autant la partie digitale pêche, car conçue avec le Système de Design de l’État qui est très bien pour du web 1.0, mais très top down et pas du tout collaboratif. Du coup, on n’a pas le même niveau de service entre le physique et le web. Autre sujet de design de service, on a conçu Pix il y a sept ans pour Éducation nationale et c’est un succès quasi planétaire ! C’est vraiment le projet dont je suis le plus fier avec la Maison de l’autisme. Pour mémoire, Pix est un GIE qui accompagne la transformation numérique de l’école et l’État par le codesign. Concernant les programmes d’innovation et de transformation, on travaille par exemple avec la Direction des achats monde de L’Oréal sur un programme innovation en utilisant le codesign pour résoudre les irritants les plus importants, pour créer des modèles d’échange de bonnes pratiques entre fournisseurs ou encore pour lancer un programme de décarbonation fournisseur. Finalement, un programme d’innovation et de transformation est une somme de designs de services. 

Un message pour terminer ?
E.L. Je veux insister sur cette notion d’impact positif qui doit être la grille de lecture du monde par le design. Je rêve d’un ministère de la Résolution des irritants ! On n’est pas assez dans le concret et cela crée des tensions sociales permanentes. Le design peut efficacement aider en réglant des problèmes quotidiens qui rendent la vie des gens très inconfortable. Le codesign a le pouvoir de vraiment améliorer les choses.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1326