Christopher Santerre, designer industriel, utilise le design pour aider les entreprises à produire en France des produits écoconçus.
Christopher Santerre, quel est votre parcours ?
C.S. J’ai été diplômé de l’ENSCi en 2014. En 2016, j’ai monté ma structure, L’Increvable, avec Julien Phedyaeff, un autre diplômé de l’Ensci. Il s’agissait d’une entreprise d’électroménager proposant des produits durables et écoconçus, reprenant en cela le projet de diplôme de Julien. Cela nous a occupés trois années avec de très belles remontées presse. Cependant, faute de perspectives financières et industrielles, je me suis mis à mon compte en poursuivant la direction de L’Increvable pour proposer des produits durables et fabriqués France, dans le but pour d’une vie plus soutenable.
Comment s’organise votre activité aujourd’hui ?
C.S. J’interviens pour des entreprises de type ETI qui produisent en France. C’est le cas, par exemple, de MoonBikes qui fabrique des motoneiges ou bien de Zeste (produit, branding et ton de la marque), la seule gourde inox fabriquée en France – dans une usine Guy Degrenne en Normandie. C’est également le cas de Reus’eat qui fait des couverts réutilisables une bonne dizaine de fois, et compostables, à partir de la drêche de bière (ndlr : issue du malt, la drêche est un co-produit de la bière ; il s’agit de sa matière solide après filtration au cours du brassage – source : unepetitemousse.fr). C’est encore le cas du vélo à assistance électrique et à cadre ouvert Voltaire Rivoli. Et c’est toujours le cas de Karbikes à Strasbourg qui propose un quadricycle à assistance électrique ayant vu le jour à la suite d’un appel d’offres de l’ADEME pour un véhicule intermédiaire (ndlr : un véhicule intermédiaire est un véhicule de transport de personnes ou de marchandises dont les caractéristiques se situent entre celles de la bicyclette et celles de l’automobile – source : Wikipédia). Enfin, c’est le cas de Capic qui fabrique des cuisines professionnelles pour les hôtels et restaurants pour qui j’ai réalisé le branding et la signature produit, ou encore de Daan Tech qui fabrique un four révolutionnaire où le design est vraiment au service de l’industrialisation française puisqu’il y aura un nouveau site de production. Toutes ces réalisations démontrent ma philosophie : fabriquer en France des produits écoconçus, c’est-à-dire générant un impact minimal.
Votre vision du design semble très affirmée !
C.S. Ma vision et ma conviction sont qu’il faut utiliser le design comme un outil pour porter des modes de vie plus soutenables – ce qui est un objectif planétaire et pas seulement propre à la France. Le design, avec sa capacité à créer des usages et de la désirabilité ainsi qu’à intégrer divers modes de fabrication, confère un rôle stratégique au designer pour accompagner les entreprises à lancer des offres plus vertueuses. De surcroît, envisager le design de cette façon permet de favoriser des savoir-faire locaux tout en diversifiant les activités à la fois du client et de ses fournisseurs, comme c’est le cas avec Zeste ou Reus’eat. C’est aussi une façon intéressante de créer une dynamique avec des matières moins impactantes et 100 % naturelles. Au final, cela valorise le tissu industriel existant tout en permettant la naissance de nouveaux sites industriels établis selon des schémas vertueux. Dans ces conditions, le design est un facteur déclencheur, car il permet d’obtenir l’adhésion du public dans des conditions intéressantes d’usage, de performance et de prix. Pour résumer, le design est au service des industries locales, décarbonées au maximum.
Il n’en demeure pas moins que l’acculturation au design en France n’est pas à son niveau idéal…
C.S. Il y a effectivement toujours en France une problématique de compréhension du design : cette discipline n’est pas connue, ou bien elle est méconnue ou encore elle est mal utilisée comme lorsque l’on y fait appel à la dernière minute. Au contraire, l’apport du design est maximal lorsqu’il arrive en amont d’un projet. Et si l’on ajoute les enjeux de durabilité, il y a un très gros effort à fournir pour que le design soit perçu et utilisé à sa juste valeur, notamment par les petites structures. C’est une sorte de mission que je me donne d’aller voir les chefs d’entreprise pour leur expliquer pourquoi et comment le design est un levier stratégique pour eux. D’ailleurs, avant d’intervenir sur un projet, je me place dans une perspective stratégique, car le design est trop souvent perçu comme un coût alors qu’il est un investissement qui va permettre de faire vivre longtemps le produit. Nous sommes sur ce plan très en retard par rapport à nos voisins européens, en particulier, et avons un gros travail d’acculturation à fournir. Heureusement, nombre d’institutions y travaillent et beaucoup d’actions sont mises en œuvre : tout cela va dans le bon sens.
Votre sentiment sur le design français ?
C.S. Je dirais que l’on est un pays de créateurs et d’inventeurs. Depuis des années, la France rayonne par son histoire et ses figures, aussi bien passées qu’actuelles. Je pense que notre amour pour les choses bien faites doit continuer à se diffuser parmi les toutes les sphères de la société. Le design doit se propager à l’ensemble des parties prenantes et acteurs de la vie. Cela passe par des expositions et évènements pour que le design ne soit plus perçu comme une discipline réservée seulement à des privilégiés ou des initiés. Les entreprises ont leur rôle à jouer dans cette optique. Mais je suis très optimiste.
Un message pour terminer ?
C.S. Je le répète : je suis convaincu que le design industriel est l’une des clés pour voir émerger et diffuser de modes de vie plus soutenables. Et les entreprises qui par envie ou par contrainte veulent intégrer le design doivent le faire sous ce prisme de la soutenabilité, ce qui permettra de surcroît d’embarquer le plus de monde possible.
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1329