Metamarque : au-delà de la marque

Frédéric Messian, CEO de Lonsdale, parle de son nouvel ouvrage Metamarque, dans lequel il indique notamment que la marque « englobe et intègre tous les enjeux de l’entreprise qu’elle désigne ».

Frédéric Messian, alors, ce nouveau livre ?
F.M. J’ai eu beaucoup de bonheur à écrire ce livre. Sa genèse est liée au fait que dans notre industrie il y a quelque chose qui me gênait depuis les années 2000 avec l’ouvrage de Naomi Klein, No Logo, qui décriait la tyrannie des marques, qui mettait en exergue le danger que les marques faisaient vivre à l’humanité. Force est de constater que 20 ans après, elle s’est trompée : les marques sont au contraire hyper responsables et le monde n’a jamais autant eu besoin des marques. Les marques sont absolument incontournables. De façon générale, on oppose souvent de façon caricaturale la dimension « je suis en un agent économique tourné vers la performance » et « je suis un acteur qui agit pour le bien de la cité ». Il n’y a pas à opposer ces deux dimensions, car elles se rejoignent et se combinent, et les marques en sont le meilleur exemple. Nicolas Hieronimus, le directeur général de L’Oréal,  qui a écrit la préface de mon livre, ne dit pas autre chose quand il affirme que les marques sont des acteurs sincères de la construction du monde. Et c’est parce que nous aidons au quotidien à construire un monde meilleur que cela fonctionne. Un exemple significatif : pendant la Covid, il y avait trois files pour se faire vacciner, la file Pfizer qui était comble, la file Moderna qui était également comble et la file Sputnik qui était vide parce que ce nom de marque faisait peur. Cela indique bien que la marque rassure, surtout quand elle est transparente et professionnelle. Le besoin de réassurance est déterminant.

Pourquoi ce titre Metamarque ?
F.M. Comme vous le savez, meta signifie au-delà de. Les marques longtemps considérées comme simples objets marketing et sont devenues leviers d’anticipation : la marque détient une fonction magique et immatérielle qui permet un temps d’avance sur la réalité du moment, et notamment en matière de management ou de transformation. C’est assez frappant avec Decathlon qui se sert de sa nouvelle identité pour engager son nouveau plan stratégique et pour irriguer des processus clés comme le marketing, la R&D, la distribution ou le management. C’est ainsi que la marque a intégré l’ensemble des dimensions sociales, sociétales et environnementales. Autrement dit, la marque est un acteur de la vie démocratique et notamment pour les aspects qui concernent la diversité, l’inclusion et la modernité. Il y a un interstice laissé libre par les puissances publiques et les marques s’y sont glissées et pour parler de bien d’autres choses que de produits ou de services. Et ajoutons que grâce aux réseaux sociaux, entre autres, les marques sont irréprochables, car toute déviance est immédiatement sanctionnée. Il faut une expérience de marque irréprochable de bout en bout.

La marque serait donc un levier à la puissance si considérable ?
F.M. La marque est la synthèse, le drapeau et le moteur d’engagement des équipes, des clients et des partenaires : cela est très caractéristique avec des marques comme L’Oréal ou LVMH, dont le projet d’entreprise projet est symbolisé et illustré par la marque. Et puis, lorsque l’on regarde toutes les études disponibles, l’on constate que les marques n’ont jamais été autant sollicitées. En matière de sécurité alimentaire, par exemple, et en excluant quelques contre-exemples rarissimes, les grandes marques sont les plus fortes garantes de la qualité de ce que nous consommons. D’autre part, le plus grand agent culturel est la marque et bien plus qu’une ou un ministre de la Culture, quel que soit son talent. La marque est un driver formidable si tant est qu’on lui laisse son terrain d’expression. Je m’en réjouis et pas seulement à titre professionnel, car les marques nous font avancer. Il y a 20 ans se tenait un débat sur le rôle des marques et tous les mauvais prophètes ont été démentis. La place des marques est importante, et plus que jamais, dans l’imaginaire collectif. Enfin, ce que le livre ne dit pas c’est que le design permet de rendre tout cela explicite : les transformations s’effectuant au prisme de la marque, quand la marque change, tout change. C’est d’ailleurs en cela que notre métier est génial.

Comment se porte Lonsdale ?
F.M. On en train de finaliser l’acquisition d’une agence américaine d’une quarantaine de personnes à New York. Voilà qui va nous placer dans les gros joueurs à l’échelle mondiale. Cela dit, on ne veut pas être un réseau de plus, mais faire briller un design à la française parmi les gros réseaux qui sont tous anglo-saxons. Les Français n’ont pas la même façon de faire du design que les Américains. À ce propos, le monde des marques d’il y a 20 ans est mort, et avec lui le règne de la marque mondialisée. L’accompagnement de type bulldozer n’est plus de circonstance et une bonne agence de branding se doit de détenir une connaissance intime des différents publics auxquels elle s’adresse : chaque pays a ses particularités.

Comment va le marché ?
F.M. Le marché est bataillé et il y a très peu de visibilité, car nos grands clients pilotent au trimestre et si le trimestre n’est pas bon, tout s’arrête. Cela génère un niveau de stress très important avec un gros impact humain, car il est difficile dans ces conditions de fidéliser les équipes, tout comme il est difficile d’embaucher de nouveaux talents, compte tenu du peu de marge économique dont nous disposons. De toute façon, pour affronter les grosses transformations, la taille est déterminante. On a donc plutôt moins de mal à recruter que certains de nos confrères, plus petits. C’est pour cela que pour arriver à recruter, certains font de la surenchère salariale ce qui est dangereux. Il faut faire attention à ce que l’on fait. Il y a deux extrêmes où il ne faut pas s’aventurer : débaucher à prix d’or et à l’autre bout faire des compétitions non rémunérées ou accepter des budgets intenables dans la durée. Nous on défend des budgets normaux pour fonctionner correctement et continuer à investir. Alors, face aux acheteurs, il faut tenir les prix et savoir démontrer pourquoi le marketing et le design ont de la valeur. Le paradoxe dans tout cela est quand on voit la valeur que créent les marques : elle n’a pas de prix.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1319