Stories : voyage aux Philippines

Dan Otmezguine, CEO de Stories, nous fait part des caractéristiques du marché philippin et des réalisations que son agence y a effectuées.

Dan Otmezguine, quelle est votre vision des Philippines ?
D.O. C’est un pays déroutant, et en même temps assez familier. Pour vous faire l’historique complet, j’ai commencé à travailler en Asie dès les années 2008, au départ de Stories, en me retrouvant à accompagner une délégation de Nicolas Sarkozy. Là, j’ai vu comment fonctionnaient les relations en Chine, qui restent dans un cadre très professionnel, en tout cas dans une relation de business. Aux Philippines, il y a une culture et une latinité très spécifiques à ce pays, un petit peu à l’instar de ce que l’on peut retrouver au Vietnam. Les Philippins ont réussi à combiner leur passé colonial espagnol et leur proximité avec les États-Unis. Il y a donc une double influence latine et anglo-saxonne, avec cependant de fortes racines. Les Philippins parlent l’anglais et le tagalog (ndlr : la langue philippine) qui comprend des mots espagnols. Ce mix peut paraître curieux, mais pour nous, les Français, tout cela est finalement assez proche. On y retrouve beaucoup de convivialité, avec une culture plus tactile que les Chinois ou les Japonais. Les Philippins apprécient de se réunir en terrasse pour boire un café et manger une pâtisserie, et tout cela avec de grandes tables qui permettent de venir en famille. C’est en quelque sorte une illustration du concept baking therapy qui est une approche parisienne mixée avec une culture colorée, dynamique et contemporaine. Le mode de vie philippin est très tourné vers le plaisir, vers la réunion, avec beaucoup de monde dans les centres commerciaux. Par exemple, les décorations de Noël démarrent en septembre : il s’agit de faire durer la fête de septembre à décembre. Cela dit, c’est un pays dur avec beaucoup de pauvreté et des gouvernements politiques qui ont pu être très répressifs, notamment pour éradiquer la drogue. À côté de cela, il y a une croissance annuelle de l’ordre de 6 à 7 % avec une population jeune.

Comment en êtes-vous arrivé à travailler pour les Philippines ?
D.O. À ma connaissance, nous sommes la seule agence française de retail à être aux Philippines. Même les marques françaises ou européennes ne sont présentes qu’à travers d’agents ou de groupes de distribution, comme SSI Group par exemple. Nous, nous travaillons en direct. Avant, on passait par notre bureau de Singapour, mais nous l’avons fermé pendant la crise sanitaire. Pour nous, l’Asie représente 30 % de notre chiffre d’affaires. C’est le bureau de Singapour qui nous a permis de développer les Philippines. Et, il faut le souligner, on a des ressources et des bras de levier insoupçonnés dans l’administration ou les institutions françaises, notamment grâce à des rencontres avec les représentants de l’ambassade française aux Philippines ou encore ceux de la Coface ou Bpifrance. Quand on veut s’exporter et qu’on sait aller chercher l’information, des boulevards s’ouvrent. Sans la Coface ou Bpifrance, jamais je n’aurai fait de l’international. Pour information, Stories est une équipe de 12 personnes basées à Paris, auxquelles il faut rajouter trois agents en Chineet on effectue environ quatre allers-retours par an en Asie.

Quelles sont les caractéristiques du marché philippin ?
D.O. Il y a une maturité pour construire des offres avec un fort contenu d’expérience. Nos clients ont la maturité pour nous acheter du conseil et sont attentifs à la sensibilité française et au détail du signe et de son code. Et ils te suivent de A à Z. Ils ont la volonté de structurer et développer une marque. Ils viennent chercher un média permanent, ce que l’on sait très bien faire chez Stories. Et, point important, ils ne sont pas juste dans des problématiques de coût. Depuis 2017, nous collaborons avec Healthy Option, une entreprise spécialisée dans les produits biologiques et sans gluten. Nous les avons aidés à évoluer d’un magasin de produits de parapharmacie à l’aspect très médical vers un magasin de produits biologiques et multifonctionnels (cosmétiques, fruits et légumes, viande, épicerie) avec un esprit Mother Nature. Cela signifie prendre soin de soi et être capable de donner grâce à des habitudes alimentaires saines. Aujourd’hui, nous avons développé pour cette marque un concept de marché ouvert. On a pratiquement construit un marché qui émane de notre culture française, une sorte de lively market, en plein cœur des malls de Manille. Nous avons inauguré cet endroit il y a un mois avec le maire de Manille, entouré d’une foule impressionnante. La fréquentation est incroyable dans ce format de 800 m², au lieu de moins des 300 m² habituels de la marque. Ce qui est très étonnant est que l’on a une image concept pour les magasins de moins de 300 m² qui est plutôt cocoon avec des espaces par univers de conseil et une mise en avant produit, avec un parcours client construit avec des pontons comme dans les rizières. Dès que l’on passe les 800 m², on est dans une expérience de marché ouvert. D’un côté de la proximité avec de l’achat hebdomadaire, et de l’autre, une grande expérience avec un grand café et de la découverte produit. Cela permet de toucher une nouvelle clientèle. On travaille aussi pour Wine Story, entreprise qui importe tous les grands vins de Bordeaux. Là, il s’agit de faire découvrir aux Philippins des vins de Bordeaux grâce à une immersion dans des vignes et une cave, reconstituées de façon à la fois physique et virtuelle. Le premier concept était très statutaire, et, pour le deuxième, on a transformé la cave comme un bar à vins avec une expérience vers l’hospitality. 

Votre bilan de votre expérience philippine ?
D.O. Les Philippines, pour moi, c’est un vrai succès, d’autant plus que je n’ai pas été aussi présent que j’aurais pu l’être en Chine, alors que l’on était parmi les premiers à y travailler. On intervient cependant toujours pour la Chine, mais sans stratégie d’implantation. Notre chance chez Stories, c’est que 100 % de nos réalisations en Chine au cours des dix dernières années sont 100 % chinoises. On n’intervient que pour des retailers chinois. On sait parfaitement ce que signifie travailler pour des marques chinoises et pour des industriels chinois : c’est un très gros avantage, par rapport à des agences qui ne collaborent que pour des marques occidentales qui vendent en Chine.

Un message pour terminer ?
D.O. J’ai créé une conférence sur le dernier mètre émotionnel où j’explique que le déséquilibre du retail n’est pas sur un axe nord-sud, mais est-ouest. Le retail à l’Est est totalement décomplexé : il n’y a qu’à voir les supermarchés en Ukraine, même aujourd’hui. Pour en revenir à l’Asie, dans les centres commerciaux chinois, on vend des voitures comme des canapés. Et, du reste, toujours pour un Chinois, une voiture n’est ni plus ni moins qu’un téléphone sur roues. Et puis, pour ce Chinois, l’important n’est pas que le prix soit bas, mais que le prix proposé constitue une bonne affaire : on ne dira pas que l’on fait une remise de 30 %, on mettra en avant que le client va payer 70 % du prix. Cela fait toute la différence !

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1353