LIXIL : design international

Antoine Besseyre des Horts, leader (VP) LIXIL global design pour l’Asie, nous en dit plus sur son métier ainsi que sur sa vision du design, tant en Asie et qu’en France.

Antoine Besseyre des Horts, quel est votre parcours ?
A.B.H. Je suis diplômé de l’École de design Nantes Atlantique. Après avoir effectué un stage dans le domaine de la recherche et de l’innovation à la SNCF, j’ai travaillé chez Alstom pendant quelques mois. Ce fut intéressant, car ils voulaient aller au-delà de la simple fabrication de matériel pour se positionner sur une offre porteuse de leur propre identité. Puis je suis parti à Londres chez Landor à la fois pour perfectionner mon anglais et pour apprendre à réfléchir sur la marque de façon plus globale. Ce fut une expérience très enrichissante, car Landor voit le design comme un outil stratégique. Grâce à ces diverses compétences acquises dans le domaine du design de marque, j’ai rejoint le centre européen de design d’Electrolux en Italie. Cela m’a permis de mettre en pratique mes connaissances en matière de design produit, notamment en travaillant sur un vaste éventail de marques. J’ai pu ainsi concevoir les identités visuelles de marques comme Electrolux, AEG ou Zanussi, tout en tenant compte des particularités de chaque marché. Puis, j’ai rejoint Grohe qui se trouvait dans une phase de transformation avec un top management qui avait établi le design à un niveau stratégique, avec tout ce que cela suppose comme leviers sur l’expression de la marque et ses développements. En 2014, LIXIL a acheté Grohe et l’on m’a demandé de partir en Asie à Bangkok comme VP design, rattaché au CEO Asie. J’avais le titre, il a fallu créer la fonction : j’ai dû embaucher, et surtout, définir les stratégies design. J’occupe toujours aujourd’hui cette fonction de VP du design, avec le pilotage de deux bureaux, l’un à Singapour où je réside désormais, et l’autre en Chine. Je rapporte à la fois au CEO de la région Pacifique et au CEO Chine.

En quoi consiste votre fonction chez LIXIL ?
A.B.H. D’abord, j’agis de façon à avoir un impact à très court terme sur le business en interagissant avec des architectes ou des promoteurs qui développent des projets un peu partout en Asie.  De façon plus large, LIXIL a énormément investi dans le design, surtout en comparaison avec la concurrence : l’entreprise dispose de huit studios dans le monde qui interagissent. De façon opérationnelle, je pilote les trois marques principales de l’activité water et j’interviens également un peu pour l’activité kitchen. Cela représente de très gros challenges vis-à-vis de nos concurrents. Les deux studios dont j’ai la charge représentent un effectif global d’une vingtaine de personnes, avec des compétences et des profils différents. La diversité est pour nous une évidence, compte tenu de l’hétérogénéité de nos marchés et de nos clients.                                                                                        

Quelle est votre vision du design en général ?
A.B.H. Comme disait Raymond Loewy, “La plus belle courbe d’un produit est la courbe des ventes”. C’est ainsi que le design doit toujours combiner créativité et stratégie : le design, c’est de la créativité ciblée. Je suis également très sensible au fait que Steve Jobs a pu dire que “Plus notre expérience et notre savoir sont diversifiés, plus notre cerveau est apte à créer des connexions. L’apport d’éléments nouveaux suscite de nouvelles associations, dont certaines engendrent des idées innovantes” : eh bien, le design c’est exactement cela, c’est-à-dire une capacité à créer de la connexion. Plus largement, le design est une approche centrée sur les désirs et les besoins qui permet un discours analytique et raisonné afin d’optimiser sa pertinence ainsi que son adoption par le consommateur. C’est un défi permanent, tant sur le plan politique, sociétal ou économique. Actuellement, on revient en arrière par rapport à certains modèles d’affaires. La réflexion stratégique est donc toujours en évolution et il convient de donner de plus en plus de sens à l’offre dans un contexte de ressources limitées. Mes 20 ans d’expérience me font dire que le design est avant tout un outil stratégique, car il sait transformer ses capacités de connexion en produit concret avec cette capacité d’aligner les différents métiers et fonctions. Quand on élève le design au niveau stratégique, on renforce le capital de la marque et on optimise la proposition de valeur. Pour arriver à cela, il est nécessaire de moins parler du design en tant que tel, mais davantage de la façon dont ses actions et décisions influent sur ce qu’est l’entreprise, son positionnement et son offre. Il s’agit pour le design de savoir parler en matière de business pour avoir des discussions avec des gens dont la priorité porte plutôt sur l’investissement et la rentabilité. 

Votre vision du design en Asie et en France?
A.B.H. Le design en Asie est en fort développement avec cette particularité culturelle qui font que les entreprises travaillent différemment la marque que les Occidentaux. Il n’y a pas de barrière pour une marque de passer, par exemple, du téléphone à la voiture : les consommateurs n’y voient aucun problème. Ce même consommateur a beaucoup plus de flexibilité que ceux d’autres régions du monde. L’environnement concurrentiel étant très important, la vitesse d’exécution et la pertinence sont donc des facteurs clés. C’est pour ces raisons, notamment, qu’il faut disposer d’offres spécifiques à chaque région. D’autre part, les Asiatiques ont une capacité d’acceptation à l’erreur qui est importante. Quand ils se trompent, ils considèrent que c’est un apprentissage qui va servir à relancer un produit plus performant. Pour ce qui concerne France, on parle trop du design comme une activité liée à l’esthétique et on ne parle pas assez de business. On est davantage dans l’émotionnel que dans le concret. On ne dit pas assez que le design est essentiel à la création de valeur. Faire de beaux objets ne suffit pas, il faudrait plus parler en matière d’impact. 

Un message pour terminer ?
A.B.H. Je suis confiant dans le design. Même s’il y a encore de l’incompréhension ou du désinvestissement en la matière dans certains grands groupes, les designers leaders doivent prendre la parole et donner du grain à moudre aux business leaders. Le design doit impérativement être promu comme un outil stratégique, sinon l’IA va dégager le design.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1350