Alpine : de la bonne matière

Stéphanie Petit, responsable du studio Couleurs, Matériaux et Finitions chez Alpine, nous en dit plus sur son métier et sur la stratégie d’Alpine en ce qui concerne l’approche couleur et matière.

Stéphanie Petit, quel est votre parcours ?
S.P. J’ai fait l’école Penninghen et j’ai poursuivi avec un diplôme d’architecture d’intérieur. Après cela, j’ai rejoint une agence d’architecture où j’ai notamment travaillé sur des projets pour LVMH. En parallèle, j’ai participé à des concours via l’Institut Français de la Mode pour présenter plusieurs fois mon projet de fin de diplôme et j’ai fini par être repéré par quelqu’un de chez Renault qui m’a fait rencontrer Carole Favart, responsable couleur et matière de ce constructeur automobile. Une fois chez Renault, j’ai commencé à travailler sur des projets de camions pour Renault Sport, en lien avec Flavio Briatore, durant deux saisons. Et comme j’avais une formation 3D, dont ne disposaient pas les designers couleur et matière à l’époque, j’ai été impliqué pour monter la cellule de visualisation 3D permettant directement de s’immerger dans les intérieurs des voitures. J’ai poursuivi mon chemin et je suis intervenue sur des véhicules à la demande de Patrick Le Quément, puis pour Laurens van den Acker. C’est là que j’ai commencé à travailler sur des concepts comme DeZir avec des effets et des anoblissements dans le but de raconter de vraies histoires. De fil en aiguille j’ai remonté les échelons, comme lead designer, grâce à Laurens qui a réussi à créer un lien fort entre les concepts et les véhicules série. Ensuite, on m’a proposé de passer chef de projet design afin de manager des développements de véhicules pour ce qui concerne le management de projet, ce qui m’a permis d’avoir une vue globale sur la chaîne de la conception, de la création, du développement et de la production du véhicule. Notons qu’à l’époque, il y avait très peu de femmes qui étaient chefs de projet design. Sur cette fonction, deux points sont à considérer : d’abord, chaque voiture demande un cycle de quatre ans pour aller de la conception à la production, ensuite le design est là un outil d’interfaçage avec les autres métiers. Après la création, on devient le porte-parole du design, aussi bien pour les designers, qu’auprès des autres métiers. Ainsi, j’ai été chef de projet design sur Arkana et son dérivé coréen, puis sur Megane E-Tech. J’ai à ce propos vécu l’arrivée de Luca de Meo qui avait souhaité que l’on reprenne certains éléments du véhicule. En parallèle,  je suis intervenue sur le renouveau de la Clio, ce qui correspondait à l’arrivée Gilles Vidal. Enfin, au bout d’un certain temps j’ai voulu quitter l’entreprise pour à la fois revenir sur de la création, mais aussi changer de secteur. J’ai donc fait une formation dans l’idée de monter une brocante restaurant. Cependant, peu de temps après mon arrêt sabbatique,  Anthony Villain (ndlr : le directeur du design d’Alpine) m’a contacté et m’a proposé de les rejoindre. J’ai d’abord dit non, mais, devant son insistance ainsi que celle de Laurens, j’ai finalement dit oui !  Je suis alors arrivée chez Alpine pour travailler sur la stratégie et l’innovation couleur et matière, et au bout d’un an, Anthony, voyant que je manageais l’équipe de façon à ouvrir la créativité, m’a proposé de prendre la responsabilité du studio couleur et matière. Actuellement nous sommes six au total, dont deux prestataires externes. 

En quoi consiste votre fonction chez Alpine ?
S.P. On intervient sur tous les aspects tant visibles que structurels des voitures. Par exemple, grâce à l’impression 3D, on peut générer des pièces en volume en intégrant les composantes aspect et finition. Ainsi, on travaille avec le design interne et le bureau d’études sur les sièges des Alpine. Et idem pour les jantes. Le métier couleur et matière ne consiste pas à juste traiter de l’aspect : c’est un métier à la fois créatif et technique, fortement lié à la stratégie de l’entreprise, ce qui, pour Alpine, signifie à la fois performance, légèreté et aspect haut de gamme. On utilise donc de vrais matériaux, comme du vrai cuir ou du vrai aluminium. Chez Alpine, il n’y a pas de faux, tout est vrai – carbone, cuir ou aluminium. Ma responsabilité s’étend aux véhicules de série, aux animations de gammes qui en découlent (séries limitées et one-off) ainsi que les show cars. La volumétrie moyenne annuelle est de 10 projets auxquels il faut rajouter les séries limitées et un show. Comme vous le constatez, c’est conséquent rapporté à la taille de l’équipe. 

Comment voyez-vous évoluer les couleurs, matières et finitions dans l’automobile ?
S.P. Chez Alpine, il faut travailler sur la durabilité, notamment du fait l’électrique, car il serait bizarre de travailler sur des matières non recyclables pour des véhicules dits zéro émission. Pour ma part, j’aime autant travailler sur de vraies matières, comme le cuir parce que, tant que les gens mangeront de la viande, il sera toujours plus vertueux de produire du vrai cuir pour les sièges. Il aussi intéressant de récupérer les chutes de carbone de l’aéronautique et de les travailler pour nos véhicules. Cela dit, chaque marque à sa propre stratégie, et il est donc difficile de généraliser.

Un mot sur votre vision du design en France
S.P. Aujourd’hui, les designers ont tout à jouer, et ails peuvent le faire avec une grande liberté d’action. Ils peuvent se servir de nouveaux codes pour créer de nouveaux objets. Le design, c’est ce qui nous entoure et il y aura de toute façon plein de choses intéressantes à faire.

Un message pour terminer ?
S.P. On a fait la Renaulution avec Luca di Meo et cela a donné, entre autres, que l’Alpine 290 et la R5 ont été primées voitures de l’année : c’est très positif par rapport à tout ce qui a été entrepris depuis cinq ans. 

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1349