Ines Khoudja, head of design à la MAIF et également en charge du design de service, nous en dit plus sur son parcours et sur la façon dont se positionne le design au sein de cette importante mutuelle, par ailleurs société à mission.
Ines Khoudja, quel est votre parcours ?
I.K. Je suis designer et j’ai fait mes études à l’ENSCi, dans une approche décloisonnée du design, c’est-à-dire sans standard et avec beaucoup d’expérimentation. D’autre part, j’ai grandi en Tunisie et le fait d’arriver à Paris m’a ouvert les yeux sur d’autres perspectives en matière d’application du design. Après mon diplôme, j’ai rejoint un cabinet de conseil en innovation, Possible Future (ndlr : aujourd’hui intégré au sein de Capgemini Invent), comme designer en innovation durable avec une vraie volonté d’accompagner des entreprises de divers secteurs. Au bout d’un moment, confrontée au champ limité du conseil, j’ai voulu franchir la frontière pour rejoindre l’entreprise afin de voir comment le design pouvait accompagner la transformation globale.
En quoi consiste votre job à la MAIF ?
I.K. Deux mots au préalable sur la MAIF : c’est un assureur militant. Autrement dit, une mutuelle où l’utilisateur est à la fois assureur et assuré. Il s’agit d’une caractéristique clé qui influe sur les expériences que le design conçoit : on fait vivre des expériences de bout en bout, du moment où l’utilisateur nous rejoint jusqu’au moment où il peut se trouver en difficulté, comme lorsque d’un dommage, d’un vol ou d’une catastrophe naturelle. La dimension émotionnelle est par conséquent très importante dans notre approche. Je précise par ailleurs que nous sommes une entreprise à mission, aspect qui a été pour moi un facteur déclenchant pour rejoindre la MAIF : contribuer au projet social est l’une de mes valeurs fortes. Pour ce qui concerne la fonction design, il y a 68 designers à la MAIF qui travaillent selon un axe directeur qui consiste à mettre en avant la symétrie des attentions. Les designers sont répartis en trois équipes : la première équipe s’occupe de l’ensemble des contacts digitaux entre la MAIF et les sociétaires ; la deuxième équipe se situe en miroir de la première en prenant en charge toutes les interfaces digitales à la main des conseillers et des gestionnaires – c’est le back office ou les coulisses de l’expérience ; et à l’interface de ces deux équipes se trouve l’équipe design de service qui travaille en amont sur la définition des offres et qui a une vision globale de l’ensemble des parcours sociétaires. Pour ce qui me concerne, mon rôle est double : je suis responsable de l’équipe design de service et je représente également l‘ensemble des designers aussi bien en interne qu’à l’extérieur de l’entreprise. Pour information, nous avons beaucoup de partenariats avec des écoles et autres institutions.
Quel est le rôle du design à la MAIF ?
I.K. L’objectif du design que le sociétaire soit toujours au cœur des problématiques, et par conséquent, faire en sorte que la stratégie et les processus qui s’y rattachent intègrent efficacement la démarche et les outils du design. Et cela s’entend au sens large, car il n’est pas suffisant de prendre en compte uniquement les problématiques de l’utilisateur : il faut intégrer celles de l’écosystème dans son ensemble. D’autre part, nous sommes aussi des assureurs-préventeurs. On a ainsi mis en place un service qui s’appelle Aux Alentours qui permet, par exemple, au sociétaire de visualiser si le lieu où il veut s’installer est sujet à des risques climatiques. Le but n’est évidemment pas de créer de la peur, mais de proposer des solutions concrètes comme un diagnostic inondation, ou tout autre dispositif – dont certains sont finançables par l’État. Le design a donc un véritable rôle pour aider à une prise de hauteur afin d’anticiper les usages et les risques, mais aussi pour permettre une vision globale de l’expérience que nous proposons à nos sociétaires. Dans ce cadre, si les designers ne sont évidemment pas les seuls à concevoir, ils ont par essence une facilité à mettre en cohérence et en synergie les moyens humains et matériels pour délivrer la proposition de valeur la plus efficace et la plus juste possible. L’idée c’est d’apporter une réponse juste par rapport au moment de vie qui est traversé.
Votre regard sur le design en France ?
I.K. Vaste question ! Ce pour quoi nous militons à la MAIF est l’intégration grandissante du design au sein de l’entreprise, aussi bien en matière d’acculturation que de fonctionnement. Il est donc nécessaire d’œuvrer pour une collaboration renforcée entre les designers et les autres métiers, d’abord parce que le designer ne peut agir seul sur des problématiques complexes en utilisant uniquement les outils du design. Cela étant, la force du designer est de savoir naviguer dans des contextes incertains : il sait piloter l’incertitude. Dernier point, qui n’est pas spécifiquement français, il faut réussir à combiner démarche stratégique et intervention opérationnelle.
Un message pour terminer ?
I.K. Je découvre le rôle du design intégré, et il y a une chose, notamment, que je remarque : il faut comprendre la contrainte sans l’intérioriser à l’excès, afin que le design puisse déployer son plein potentiel.
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1335