Le design en toute indépendance

Philippe Carini, designer graphiste indépendant et également enseignant en écoles d’arts appliqués, nous parle de son métier ainsi que de sa vision du design. 

Philippe Carini, rappelez-nous votre parcours 
P.C. Je suis diplômé de l’Ensaama – Olivier de Serres en design industriel. J’ai d’abord exercé pendant quelques années en tant que designer produit, notamment pour concevoir du mobilier ainsi que des produits destinés aux arts de la table, pour des marques comme Invicta ou Geneviève Lethu. Par la suite, je me suis orienté vers le graphisme, en commençant par la publicité, dans le domaine de la communication immobilière, puis de la communication RH. Après cela, j’ai rejoint The Brand Company, l’activité design de TBWA, puis je me suis associé au sein de l’agence Creox où j’ai notamment géré la marque de sport Ironman. J’y ai également eu l’occasion de lancer deux magazines dont Trail Attitude, le premier magazine de trail en France. Enfin, je me suis tourné vers le packaging en rejoignant Ulteam Design où je suis intervenu pour des annonceurs comme Leclerc ou encore des marques de spiritueux. Depuis 2013, je suis designer graphique indépendant et j’interviens dans les domaines de l’identité de marque et du packaging, pour des secteurs très variés. En parallèle, j’enseigne dans différentes écoles d’arts appliqués.

Quels sont les avantages et inconvénients du statut de graphiste indépendant en 2024 ?
P.C. On peut gérer son emploi du temps, ce qui constitue un énorme avantage, surtout quand, comme c’est mon cas, on travaille à la fois pour des clients en direct et pour des agences. Le principal inconvénient réside dans le fait que l’on ne travaille en général que sur un bout de projet. On a très rarement la possibilité d’en piloter l’intégralité.

L’enseignement, c’est important pour vous ?
P.C. Très important et c’est d’ailleurs l’une des choses que je préfère. Compte tenu d’une typologie de parcours assez différent de celui de mes confrères, étant intervenu dans des environnements divers, il n’est pas facile de me positionner dans tel ou tel domaine. Ce qui pourrait apparaitre comme un défaut dans la sphère professionnelle constitue à l’inverse un gros avantage dans le domaine de l’enseignement. Et d’autant plus avec la démarche pédagogique sous forme de workshop pour laquelle j’ai opté. D’autre part, cette diversité des domaines dans lesquels j’interviens me permet de ne pas du tout être déconnecté de la réalité. Il y a en effet trop souvent un décalage entre ceux qui font et ceux qui enseignent. Il faut être en mesure de transmettre des choses importantes et pas seulement sur un plan technique. Ainsi, pour les étudiants, avoir l’opportunité de mener des projets jusqu’au bout en se voyant apporter des informations provenant d’un vécu professionnel riche et varié est très intéressant.

Le design tel que perçu et pratiqué en France vous satisfait-il ?
P.C. Je constate que beaucoup de petites et moyennes entreprises n’ont encore jamais fait appel au design. Entre l’IA et les logiciels qui se revendiquent user friendly, et en y rajoutant tout le gloubi-boulga qui va autour, on s’aperçoit que, si tout le monde parle de design, seulement un très petit nombre en fait vraiment. C’est évidemment beaucoup moins le cas pour les grands groupes, mais pour les petites entreprises, le design est une falaise infranchissable, qui paraît d’autant plus hors d’atteinte que les coûts peuvent sembler élevés. En tout cas, c’est ce que je vois et lis. D’autre part, quand j’accompagne des entrepreneurs sur des aspects d’identité visuelle ou de design digital, je ne vois pas trop la motivation et je n’ai pas vraiment le sentiment que le design est important pour eux. C’est étonnant, car j’étais persuadé qu’il y aurait un sursaut. Et franchement, à part les grandes entreprises, la situation n’a pas vraiment évolué depuis 30 ans. Et pour corser le tout, quand on voit le nombre de diplômés en design et le petit nombre de jobs en face, on voit mal comment le marché pourrait évoluer de façon satisfaisante. En dix ans il y a eu tellement d’écoles et de formations qui ont vu le jour que certaines entreprises ne travaillent plus qu’avec des alternants : c’est efficace et pas cher !

Un message pour terminer ?
P.C. On a la chance de faire un métier créatif où si, comme c’est mon cas, on travaille dans des domaines variés, on rencontre des gens très différents, et donc l’on ne s’ennuie pas, ce qui est déjà pas mal. Et c’est parce que l’on ne s’ennuie pas qu’il ne faut surtout pas ennuyer les autres ! Et cela tombe bien, le design, ça vous évite d’être ennuyant.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1333