Hervé Lemoine, directeur du Mobilier national, nous fait part des actions et actualités de l’institution, ainsi que de sa vision du design français.
Hervé Lemoine, pouvez-vous nous présenter en quelques mots le Mobilier national ?
H.L. Le Mobilier national est une très ancienne institution qui hérite de l’ancien régime, avec pour mission de veiller, notamment, à l’aménagement des résidences royales. Dès l’origine, elle pour mission l’aménagement et le décor, quel que soit le pouvoir en place, et a toujours été à l’origine de nombreuses commandes de tapisseries, mais également de mobilier contemporain – pour information, et c’est d’ailleurs l’une des singularités des régimes jusqu’à la fin 19e : ils n’envisageaient de vivre que dans du contemporain. Aujourd’hui, le Mobilier national a pour mission de soutenir les métiers de la création et les métiers afférents comme les métiers d’art. L’institution est plus forte que jamais en étant un élément moteur en France dans ces secteurs de la création et des métiers d’art, en se dotant des moyens nécessaires pour montrer et valoriser ce qui se fait dans ces domaines dans les secteurs dont je viens de parler. Et d’autant plus avec le rapprochement qui va s’opérer en janvier 2025 entre le Mobilier national et la Manufacture de Sèvres qui va permettre de renforcer encore davantage le support à la création en s’étendant à la céramique et aux arts du feu.
Depuis combien de temps le Mobilier national est-il en lien avec le design ?
H.L. Cela remonte à 1964 : sous l’impulsion d’André Malraux s’est créé l’Atelier de Recherche et de Création, ou ARC, dont l’objet était de pousser l’acculturation des créateurs français au design, alors que cette dynamique explosait dans les pays d’Europe du Nord ou en Italie. Et cela a bien fonctionné puisque les plus grands designers français ont fait leurs armes à l’ARC, et cela continue aujourd’hui, autant avec les jeunes créateurs qu’avec les créateurs les plus renommés.
Vous avez également une action en faveur du design social ?
H.L. Effectivement, nous favorisons l’émergence d’un design social avec des pièces destinées au plus grand nombre. On ne peut pas au 21e siècle se limiter à faire des bureaux de ministres ou d’ambassadeurs, aussi créatives soient-elles. Il faut penser et produire des projets qui concernant tout le monde, comme notre récente participation à la création de la borne France Services. Autre exemple, la réalisation d’un nouveau charriot de distribution de médicaments pour les EHPAD dans le cadre du Ségur de la santé. Toutes ces créations ont fait l’objet d’un concours permettant de s’inscrire dans l’action de l’État en faveur des territoires.
Quelles sont vos actions spécifiques en faveur du design et des designers ?
H.L. Il y a déjà l’ARC qui permet d’associer les designers à de grands projets de politique publique, comme par exemple le mobilier scolaire : c’est une façon efficace de soutenir le talent des designers et de leur donner une forte visibilité. Ce sont des projets médiatiquement très suivis, car ils intéressent la presse et ils permettent de mettre en avant les compétences françaises. Autres actions : depuis la crise sanitaire, nous avons mis en place une politique d’acquisition de nouvelles pièces auprès de jeunes designers engagés dans de l’auto-édition. Car, avant d’accéder à des fabricants ou diffuseurs de renom, il faut passer par de l’auto-édition. Il s’agit d’un engagement financier important, car nous acquérons 50 à 60 pièces produites, ce qui constitue un gros coup de pouce. Nous recevons plusieurs centaines de propositions et nous avons un comité qui sélectionne les plus innovantes ou les plus intéressantes. Et ces pièces ont pour vocation à entrer dans les collections nationales. Certaines pièces sont également exposées lors de salons internationaux. Ainsi, au Fuorisalone a été organisé un évènement spécifique avec une scénographie particulière qui a permis de voir certaines de ces pièces ayant été acquises. Il faut également mentionner notre mission d’ameublement des lieux officiels de la République où nous proposons à nos dépositaires certaines pièces de jeunes créateurs. Cela permet de valoriser la jeune scène française du design. D’autre part, nous encourageons aussi souvent que nous l’estimons nécessaire la rencontre entre designers et fabricants ou producteurs. Le VIA le fait également, mais c’est intéressant pour nous de donner vie grâce à une édition en série à de nouvelles pièces qui peuvent d’ailleurs déjà se trouver dans nos catalogues. En effet, certaines pièces n’ont pas connu de débouchés et nous pouvons leur donner une postérité en revisitant notre catalogue. Je pense, par exemple, à la chaise pliante de René-Jean Caillette, sortie dans les années 1980, demeurée une chaise unique. Nous sommes parvenus à intéresser à l’édition un partenaire industriel, Fermob, qui va fabriquer cette chaise afin d’être offerte au plus large public possible, sa vocation étant d’être vendue peu cher.
Qu’en est-il des concours ?
H.L. Nous sommes une institution publique soucieuse d’assurer transparence et équité. Les concours sont par conséquent un bon moyen d’embrasser large. Ainsi, notre prix Jeune Création dont les résultats sont annoncés lors de la Paris Design Week, avec inauguration par nos ministres au Mobilier national. Ce prix avec un thème différent chaque année est ouvert à toute la jeune génération de designers qui sort des écoles. Pour 2024, le thème est la création d’une matériauthèque écoresponsable qui prendra place aux Gobelins. Autre initiative, avec villa Noailles lors de la Design Parade de Toulon, un jeune designer sera reçu un an chez nous afin de mettre sa création dans le cadre d’une scénographie originale. Là encore, c’est une façon de mettre en lumière de nouveaux talents à travers la promotion ou l’incubation, avec différentes modalités d’action (presse, concours, expositions, etc.).
Quelle est votre analyse sur la création française en matière de mobilier, et au-delà sur le design français ?
H.L. Le regard que j’ai est que nous sommes dans un moment tout à fait intéressant où, enfin, les arts décoratifs, les métiers d’art et les designers se sont réconciliés. Il y a pu avoir par le passé des oppositions fortes et des chapelles, avec les tenants de l’ornement et ceux qui le considéraient comme un ajout quasi pornographique au mobilier. On dépasse désormais ces antagonismes et nous sommes beaucoup plus dans la vérité de la création d’un mobilier français qui a toujours su marier les influences. Enfin, architectes, designers et artisans s’entendent pour créer du mobilier. On a dépassé ce cap conflictuel et c’est ce qui, à mon avis, nous vaut un moment français formidable avec des collections qui s’enrichissent de traditions et de savoir-faire divers. D’autre part, l’union fait la force : puisqu’il y a moins de querelles de chapelle, on se rend compte que, quelles que soient les missions premières de telle ou telle institution, on a intérêt à se serrer les coudes et à avancer ensemble afin de bénéficier de l’aide de structures publiques qui peuvent faciliter l’exportation de talents français, notamment avec Business France. Ensemble on va plus loin et on est plus fort : nos amis italiens l’ont compris depuis bien longtemps. Ce mouvement d’unité va permettre de mieux faire connaitre la création française en France et à l’international et lui assurer les meilleurs débouchés possibles. Enfin, ce grand pôle public que nous allons constituer avec Sèvres est une formidable opportunité pour disposer d’un vaisseau amiral pour aider cette flottille de talents que nous avons en France.
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1322