Cécilia Tassin, désormais présidente de Black and Gold, nous fait part des perspectives de l’agence ainsi que de sa vision des marques et des tendances.
Cécilia Tassin, comment allez-vous ?
C.T. Pas mal du tout, en dehors du fait que cette période de transition est touffue. Mais c’est une aventure de changement très excitante ainsi qu’une nouvelle page pour l’agence.
Vous êtes désormais présidente de Black and Gold. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C.T. C’est l’aboutissement d’un processus qui a démarré il y a assez longtemps : la transmission de l’agence par son fondateur, Daniel Dhondt, à un collège d’associés composé d’Élodie Orieux et Yannick Soubrier, tous les deux DG, et de moi-même. Autrement dit, on avait les clés du camion depuis un certain temps, mais la carte grise n’était pas à notre nom. Début 2024 est intervenu le rachat des parts de Daniel Dhondt par le collège d’associés qui détient désormais 63 % des actions à parts égales, le solde étant détenu par Capelia, un fonds d’investissement. Nous avons choisi Capelia après pas mal de rencontres, car ce n’est pas un fonds financier classique, mais un fonds d’entrepreneurs qui accompagne le développement de projets entrepreneuriaux. Ce rachat d’actions constitue un gros changement, mais qui s’inscrit finalement dans la continuité. Disons que cela s’est fait de façon naturelle. Et on est très heureux d’avoir déjà pu garantir la pérennité et l’indépendance de l’agence. Pour terminer ce chapitre, je vous annonce que l’agence va fêter ses 35 ans en 2025 !
Où en êtes-vous du développement international ?
C.T. L’agence s’est recentrée sur Paris et Shanghai après avoir tenté d’autres aventures, notamment aux États-Unis, avec un certain succès d’ailleurs. Après recentrage, nous sommes désormais 55 personnes à Paris et 15 à Shanghai, seul bureau étranger qui a survécu à la crise sanitaire. On a réussi à Shanghai parce que l’équipe est 100 % chinoise et a su surmonter cette crise, à la différence d’autres agences étrangères composées non exclusivement de collaborateurs chinois. Et puis, on est présent en Chine depuis plus de 15 ans et on s’est fait un nom dans le consumer branding avec des groupes internationaux, dont les équipes sont également 100 % chinoises.En matière d’activité, le chiffre d’affaires France est de 7,5 millions d’euros, et de 1,4 million d’euros pour la Chine où l’on récolte les fruits d’un marché qui s’est concentré.
Quelles ont vos ambitions ?
C.T. Ma feuille de route est de consolider ce qui nous distingue : redonner ses lettres de noblesse au consumer branding en se dotant des moyens pour toujours mieux connaître et comprendre le consommateur. Notre entité Blackbox, cabinet d’étude et d’innovation intégré à l’agence, permet d’éclairer notre pratique du branding et nous donne l’opportunité d’intervenir à la fois de façon très verticale et très en amont. On va de la réflexion stratégique jusqu’aux tests d’offres et de nouveaux designs. Nous croyons plus que jamais en cette atypicité Blackbox et en ce consumer centricity que nous allons évidemment continuer à les développer. Et puis, on va accélérer deux axes : le premier c’est l’innovation positive, toujours dans cette perspective d’aller encore plus loin pour se saisir des défis posés par la consommation – diversité, enjeux sociétaux, etc. Nous avons la responsabilité de nous positionner aux côtés des marques pour garantir leur résilience et leur pérennité et leur donner la capacité d’inspirer et développer de nouvelles opportunités d’offres de produits et services avec le meilleur impact possible. Il est nécessaire de raisonner en matière de go to market plus soutenable en s’inspirant de l’innovation qui va dans le bon sens. Assez logiquement, dans la continuité de notre Blackbox, on a développé de nouveaux outils qui se prêtent à l’accompagnement de ces innovations dans le bon sens, comme la constitution de communautés auprès desquelles nous sourçons insights et signaux faibles pour des innovations plus engagées et pour forcer le design circulaire sur toute la chaîne de valeur. Nous développons également des méthodologies de tests de nouveaux concepts, car les nouveaux usages doivent être testés un peu différemment : ils demandent plus d’efforts et d’implication de la part du consommateur. Il est nécessaire d’aller plus loin que le déclaratif, de dépasser la salutation de principe pour aller voir comment faire adhérer. D’où l’enjeu de développer des tests d’usage et d’adoption. En parallèle, on est en cours de certification EcoVadis avec l’idée qu’au niveau de l’agence et de la gouvernance on doit aller vers le mieux de façon continue. Le deuxième axe, c’est évidemment l’IA. La question n’est pas de savoir si on adopte ou pas l’IA, mais de voir comment l’adopter. Il y a des gens à l’agence qui ont connu l’arrivée des ordinateurs, alors qu’auparavant il y avait le calque et le banc de reproduction. L’IA est un évènement de la même ampleur. Pour nous, c’est un nouveau moteur, une nouvelle boîte à outils au service de nouvelles façons de travailler. C’est d’abord un chantier de productivité pour accélérer certaines étapes et permettre de recetter les équipes et la matière grise sur de la haute valeur ajoutée, avec un fort enjeu expertise conseil. Notre métier n’est pas de la créativité pure : nous sommes au service des enjeux de la marque. Par conséquent, gagner du temps sur ce qui ne constitue pas de la réelle valeur est intéressant. Pour autant, on ne sera certainement pas que des curateurs. Il faut voir l’IA est comme une façon de prendre de la hauteur et de valoriser toujours mieux notre expertise conseil. D’autre part, et puisque nous avons cette activité de conseil en innovation et de consumer knowledge, nous savons l’efficacité de l’IA dans les processus d’idéation dans le but de créer des stimuli, de construire des routes et des scénarios inédits ou encore en cours de workshop pour visualiser en live des idées. Sur ces sujets, on a une collaboration assez forte avec notre filiale chinoise qui est très avancée sur l’implémentation de ces pratiques.
Comment voyez-vous évoluer les marques ?
C.T. Pour la France, en particulier, on suit de très près les tendances de consommation, car elles constituent les grandes aspirations que les marques doivent suivre. Pour moi, il y a trois grandes tendances. D’abord, on ne peut pas faire l’impasse du contexte d’inflation et son impact sur le pouvoir d’achat. Cela dit, la fin du monde et la fin de mois sont des enjeux qui ne s’opposent pas nécessairement. L’anti-gaspillage et la consommation vertueuse peuvent parfaitement se conjuguer et cela est d’ailleurs très travaillé par les marques. On citera à ce propos la réduction des emballages, voire leur effacement avec le vrac, la consigne ou l’emballage non jetable, mais aussi des solutions de maîtrise de ce que l’on consomme avec du dosage, des packs de regroupement et la fin de l’équation un pot égal à un repas, comme c’était habituel dans le baby food. Bref, des usages mieux maîtrisés en pleine conscience. Et cela percute bien côté consommateur. Deuxième tendance incontournable, commune à la France et à la Chine : l’idée que l’alimentaire est au centre des stratégies de bien-être et de santé. En France, spécifiquement, nous sommes dans une démarche particulièrement préventive, qui paraît durable, conjuguant plaisir et bien-être, avec une exigence de naturalité et de savoir-faire familiers ou artisanaux. Il y a des marchés dont la croissance est dopée par cette recherche de bienfait, comme celui de l’ultrafrais avec le yaourt skyr. Enfin, troisième tendance, un peu contradictoire avec ce qui vient d’être dit, nous sommes face à une forme d’hédonisme compensatoire et désespéré. On surinvestit le ici et maintenant, faute de pouvoir investir l’avenir, au sens propre et figuré. Cela se manifeste très concrètement dans une surpremiumisation de certains marchés : chocolats ultraluxe ou haute pâtisserie. On est là dans le domaine de l’expérience de l’ultraluxe que l’on peut quand s’offri, même si l’on ne dispose pas de moyens conséquents. Dans cette optique, les réseaux sociaux sont d’ailleurs très aidants. On a aussi le pet care avec des accessoires raffinés ou de l’alimentation bio et gourmet : de façon générale, tout ce qui va permettre de gâter son animal de compagnie, faute de pouvoir envisager des dépenses plus importantes.
Un message pour terminer ?
C.T. Je pense que le design français doit être regardé de près. Il serait bien nous quittions un peu le culte de l’auteur pour s’intéresser à la culture des agences. On a des designers qui portent de façon médiatique l’image du design auprès du grand public. Cela n’enlève rien à leur talent, mais dans le même temps rendons-nous compte du professionnalisme et des savoir-faire des agences. Elles sont des partenaires de premier plan dans la construction de la valeur des marques. L’agence est la parfaite illustration de l’intelligence collective où la solution n’est pas une fulgurance individuelle. On peut vraiment s’enorgueillir de nos agences françaises et de leur capacité collaborative.
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1321