Labbrand : le goût des études 

Vladimir Djurovic et Aurélie Plessier, respectivement CEO et directrice générale de Labbrand, agence internationale de stratégie et de création de marque, nous parlent de leur agence et de leur vision du design.

Vladimir Djurovic et Aurélie Plessier, pouvez-vous nous rappeler le positionnement de Labbrand ?
V.D. Nous sommes une agence de branding proposant une approche systémique du branding end to end. C’est une démarche que j’ai conçue et construite dans le but de libérer toute la puissance que la marque peut offrir aux entreprises. On est en quelque sorte une maison des services du branding, avec un étage stratégie, un étage design et d’autres étages comme l’expérientiel, la communication ou les interactions de la marque avec ses parties prenantes. L’aspect expérientiel a démarré en 2015 avec Madjor, c’est-à-dire 10 ans après Labbrand. Et en 2019, on a monté SpringPillar pour apporter une capacité de transformation, d’acculturation et de management de la marque. Les trois marques, Labbrand, Madjor et SpringPillar sont aujourd’hui regroupées au sein de l’entité Labbrand Group. En matière d’effectif, nous sommes une centaine de personnes réparties en quatre bureaux, Paris, New York, Singapour et Shanghai. Notons que la part hors Chine est en forte croissance.
A.P. Paris est le plus gros bureau, en dehors de la Chine, avec 15 personnes, ce qui nous positionne néanmoins comme une boutique du design. À Paris, nous sommes d’une part spécialisés dans le conseil, la création et la stratégie de marque, et d’autre part dans les architectures d’offres et l’analyse sémiologique. Nous sommes également spécialisés en stratégie verbale et naming. Enfin, nous détenons une forte expertise d’études. De façon générale, nos équipes sont passionnées par la marque et l’humain avec 2/3 d’experts en sciences humaines et sociales et 1/3 dans le marketing et la créativité.
V.D. On revendique un positionnement très particulier : une agence avec un département études parfaitement intégré. Paris a porté cette construction à l’excellence, car c’est de Paris qu’est mené le travail pionnier sur l’aspect consommateur et innovation de marque.

Comment travaillez-vous ?
V.D. On démarre par un travail exploratoire sur l’imaginaire des marques et on va aussi travailler, plus classiquement, sur l’évaluation de concepts. On est particulièrement intéressés par l’amont, la sémiotique appliquée, le pré-quali – ce qui indique notre vraie culture de l’étude, assez rare dans l’univers des agences de  design.
A.P. Point important dans notre vision : on veut être les individus au cœur de la démarche. On n’utilise pas de la donnée de seconde main, mais on se base sur des insights que nous recueillons directement. On est en circuit court chez Labbrand ! Quand je parle d’insights, j’englobe les insights d’aujourd’hui, mais aussi les insights culturels, actuels et à venir. En Chine, bien sûr, mais aussi dans les autres bureaux. Par exemple, pour repositionner une marque de luxe aux États-Unis, on va investiguer les codes du luxe américain, et ils sont très différents, notamment, de ceux de l’Europe. Pour revenir à notre façon de faire, on va travailler les imaginaires de marque lors des études, avec une méthodologie dite du rêve éveillé. On ne veut pas être frustrés en manquant d’éléments tangibles pour construire une narration de marque. Là, on va chercher un imaginaire via l’expérience du produit : cela nous permet de développer des stratégies ancrées dans des relais tangibles. C’est une jonction entre business, stratégie et créativité.

Quel est votre regard sur le design tel que pratiqué en France ?
V.D. Pour moi qui suis en Chine, j’ai un poste d’observation intéressant. Je note que l’influence du design français en Chine a tendance à faiblir depuis 2015, date où les acteurs français, tant agences qu’écoles, étaient assez dynamiques. Les agences françaises étaient plutôt petites et ne restent donc comme agences étrangères principalement que les grosses agences anglo-saxonnes. Pour ce qui concerne sa perception, le design français est davantage perçu comme relevant de l’art de vivre et de ce fait est moins relié au design professionnel. C’est dommage, car j’ai une autre idée du design français, surtout par rapport à la Chine. Il y a d’abord un point commun entre ces deux pays : c’est ce qui a trait à la logique. L’avantage de la France est qu’elle dispose de surcroît d’un côté très créatif. Il y a une école française du design qui intègre à la fois le côté systémique et le côté créatif, école dont Labbrand se réclame. Bref, le design français est plus dans l’émotion que celui d’autres pays. Beaucoup d’ingénieurs dans les entreprises chinoises apprécient ce côté créatif du design français, d’autant que notre côté logique les réassure.
A.P. J’abonde dans le sens de Vladimir. Cette vision du design à la française s’incarne d’ailleurs dans l’usage que font les agences françaises de l’intelligence artificielle : il y a à la fois cette logique qui mesure le gain de temps et le gain économique liés à l’IA, mais il y a aussi cette appétence pour ces champs créatifs qui s’ouvrent lorsque l’on parle d’art génératif, concept finalement très français. Cette façon de jouer avec les mots et de manier l’IA à un autre niveau, combinée à notre savoir-faire en matière de prompt engineering est aussi une caractéristique bien française. En restant sur cette problématique du design français, je voudrais aborder le sujet de l’écodesign pour constater que nous ne sommes pas du tout en avance en France, à l’instar de la domotique. On dit que l’écodesign c’est bien, mais on ne voit pas vraiment le marché se transformer. Chez Labbrand, on a décidé de s’attaquer au sujet. On a fait notre bilan carbone pour mesurer projet par projet quel est notre impact afin de faire évoluer nos façons de travailler, mais aussi notre façon d’aborder la stratégie et notre façon de générer des concepts créatifs. Cela illustre notre démarche empreinte de logique, ainsi que notre envie de mieux travailler, tout en challengeant la création. Enfin, je ne veux pas faire l’impasse sur la crise de la valeur du design français, et en 2024 on y est complètement. C’est un enjeu majeur que de bien vendre notre apport créatif : il est déterminant de valoriser cet apport aux yeux de nos clients, en particulier à un moment où beaucoup de salariés de la création veulent être free ou se rassembler en collectif. Il y a un souhait d’indépendance qui n’est pas critiquable en soi, mais qui pose le problème du coût. Pour quelques milliers d’euros, voire moins, on peut via une plateforme disposer d’une identité graphique facilement et rapidement. Il nous faut nous placer clairement face à ces sujets : on est devant une vraie question de prix de vente, ce qui sous-tend notre capacité à bien vendre le design. D’où un manque d’audace généralisé, une peur de la critique, une peur des coûts et une peur des faux pas, en particulier chez l’annonceur, compte tenu de la crainte de réactions négatives des réseaux sociaux. Résultat, on constate une pression tarifaire extrême et tout le monde sort des règles du fairplay. Et comme en plus comme on a cet enjeu du travail, ce n’est vraiment pas le moment de continuer dans cette voie. Quand on est une grosse agence, que les salaires tombent tous et que le marché est tendu, on doit au contraire se montrer fairplay. Et chez Labbrand on est fairplay : ainsi, on a gagné un projet chez Renault avec Nomen, et on a eu la même idée en même temps. Du coup, on a décidé de faire un communiqué de presse unique pour Labbrand et Nomen. C’est comme cela que l’on est plus fort et qu’ensemble on fait grandir le marché.

Un message pour terminer ?
V.D. D’un point de vue commercial, en Chine, le design français a fortement attiré les industriels et les marques, mais, entre-temps, beaucoup de talents chinois ont voyagé. Il faut donc désormais davantage raisonner en termes d’hybridation : quand je suis en Chine, je me considère comme un hybride entre différents designs. Et puis, il  faut aussi regarder comment apporter des choses depuis la Chine pour enrichir le design français. Cela marche dans les deux sens. Par exemple, je vois en Chine de fortes avancées sur l’expérientiel et le digital. Si chez Labbrand on peut contribuer au design français en apportant cette hybridation, on en serait très fiers. On en revient toujours à ce mélange de logique et de créativité… 

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1315