2designers = vive l’industrie

Stéphane Neveu et Yan Schnell, cofondateurs en 2021 de 2designers, agence de design industriel et d’innovation située en Alsace nous dressent, en particulier, un constat du design industriel en France.

Stéphane Neveu et Yan Schnell, pouvez-vous vous présenter ?
Y.S. Je suis designer industriel depuis pas mal d’années. J’ai effectué mes études à l’Institut Supérieur de Valenciennes (ndlr : actuellement Rubika), où j’ai par ailleurs découvert le journal Design fax ! J’ai ensuite travaillé en Belgique, puis à Lyon comme designer intégré chez Metalic et je suis finalement arrivé à Strasbourg chez Créaconcept. Cette agence a changé de nom en 2006 pour s’appeler Innovation in Design et a finalement fermé en 2019. Avec Stéphane, on a voulu continuer ensemble, d’abord via une couveuse d’entreprises, sous le nom 2designers, et en 2021 on a créé la société.
S.N. Mon parcours a débuté en 1993 à l’École de design des Pays de la Loire qui était l’une des premières écoles de design dans la région. Je suis ensuite monté à Strasbourg chez Créaconcept en 1994 où je suis resté jusqu’en 2006 puis je suis passé chez Innovation in Design de 2006 à 2019. Yann et moi on s’est rencontrés chez Créaconcept en 2002. C’est dire que l’on se connaît assez bien, aussi bien pour nos qualités que nos défauts…

Quelle est l’activité de 2designers ?
S.N. On fait principalement du design industriel et du design produit. On se diversifie également dans le rendu réaliste ainsi que le nettoyage de fichiers pour optimisation en vue de les intégrer dans les sites web. On fait également du design graphique et nous sommes facilitateurs pour aider des populations de tout service de l’entreprise à bien amener leurs idées. Du design thinking en quelque sorte. Ce sont des sessions d’un à deux jours sur des sujets de diversification ou d’amélioration de produits existants. On fait aussi de l’IHM (ndlr : Interface Homme-Machine) pour la partie graphique et UX afin de formaliser le parcours entre utilisateur et machine dans le but de simplifier au mieux les interactions. Enfin, on fait de la modélisation de structure.
Y.S. On a un logiciel de CAO pour communiquer avec les bureaux d’études, ce qui nous permet d’aller très loin dans la modélisation. Cela dit, on n’est pas un bureau d’études et on ne dessine pas les plans de pièces. 
S.N. On a le langage technique pour se comprendre avec un bureau d’études, quel qu’il soit. Et comme de plus en plus les ingénieurs ont des formations de sensibilisation à notre métier, c’est plus simple qu’avant, car l’intérêt du design commence à être mieux compris désormais. Même s’il y a encore trop de gens qui découvrent notre métier !

Quels sont vos clients ?
S.N. On travaille beaucoup dans le médical avec des groupes comme Merck Millipore, l’un des plus gros employeurs de la région Alsace. On travaille également pour des start-up du médical comme CellProthera qui conçoit des machines permettant de modifier les cellules sanguines pour ensuite faire une injection au niveau du cœur dans le but d’éviter les infarctus. On travaille aussi pour Axilum Robotics, société qui conçoit des robots qui automatisent les impulsions magnétiques au niveau du crâne dans, notamment, les cas d’Alzheimer.
Y.S. En ce moment on travaille également sur de la machine industrielle pour deux sociétés, l’une franco-allemande et l’autre française, ainsi que sur d’autres projets comme Siel Bleu avec une gamme de produits destinée aux EHPAD afin que des personnes âgées puissent faire de la gymnastique douce.

Quel est votre regard sur le design industriel tel que pratiqué en France ?
Y.S. On en parle souvent entre nous : dans l’industrie, on est souvent assimilé à des dessinateurs. Les gens en France ne connaissent pas bien le métier de designer, contrairement à l’Angleterre ou à l’Allemagne. En France, le mot design est mis à toutes les sauces et on finit par ne plus trop comprendre ce qu’il veut dire. Plutôt que des mots, on s’efforce de faire notre métier le mieux possible pour que nos clients et les clients de nos clients soient fiers de leurs produits. 
S.N. J’ai le même sentiment et je ne trouve pas que les choses ont beaucoup changé en 30 ans. On est toujours en train d’expliquer à quoi on sert dans les entreprises, même si cela s’est amélioré. Le marketing l’a bien compris, mais il faut encore convaincre les bureaux d’études, notamment sur la valeur ajoutée de notre métier qui est évidemment d’ordre technique et esthétique, mais qui concerne également l’utilisateur. La vraie valeur, au départ, est d’ordre conceptuel. Cela dit, quand on explique avec diplomatie à quoi sert le design et quelle est sa valeur, nos interlocuteurs comprennent assez vite. L’éducation de départ est donc déterminante : les Allemands, par exemple, l’ont très bien assimilé. En France, on n’éduque pas, mais on donne des aides. Alors, on peut bien donner des aides à tout va : les start-up ferment au bout de trois à cinq ans. On aide, on aide, mais derrière il n’y a pas l’accompagnement dans la durée. Le design c’est pareil : il faut un accompagnement sur le long terme.

Un message pour terminer ?
S.N. On est optimiste sur le fait qu’il faut absolument réindustrialiser. Pas d’industrie, pas de design industriel ! Il faudra du temps, car la France se désindustrialise depuis 40 ans, mais la roue est en train de tourner et cela offrira des opportunités de produits sur lesquels on pourra travailler. On est fort sur l’industrie de pointe, mais il y a des pans entiers de l’industrie qui ont disparu. On fait partie de ces designers qui y croient. On a encore de très belles entreprises et les accompagner au quotidien est un plaisir. 
Y.S. J’espère vraiment que notre métier va continuer et qu’on va former davantage de designers industriels. Cette dimension de l’industrie n’est pas forcément connue de tous les designers. Sans être ingénieur mécanique, il faut quand même être très sensibilisé aux notions techniques et technologiques.
S.N. Les bureaux d’études n’ont pas toujours d’argent pour le design : ils se débrouillent, ou du moins c’est ce qu’ils croient. La vérité est que tant qu’un designer n’est pas intervenu en amont d’un projet, on perd beaucoup de valeur sur le produit. Il y a souvent quelqu’un en interne qui fait office de designer, mais c’est un pis-aller. Le design c’est un coût, d’accord, mais ce coût est ridicule par rapport à l’enveloppe globale d’un projet, surtout si l’on considère le bénéfice, pas seulement économique, que génère le recours au design. En conclusion, le design est un métier spécial pour des gens qui sont formatés différemment. Mais c’est un métier indispensable à l’industrie.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1314