Black[Foundry] : fontes alpha

Les deux cofondateurs et dirigeants de Black[Foundry], Grégori Vincens et Jérémie Hornus, font le point sur les nouveautés de l’agence.

Grégori Vincens et Jérémie Hornus, vous semblez très déterminés pour cette année 2024
J.H. Effectivement, cette année on a décidé de mettre un coup d’accélérateur sur le retail (ndlr : la vente de fontes) et on a des plans précis en la matière. Le 6 février est sorti un tout nouveau concept, la fonte alpha. Le principe est de proposer des licences de fontes en développement. Elle sont environ 50 % moins coûteuse que les fontes habituelles, mais avec un jeu de glyphes moins complet et seront mises à jour en fonction de leur succès, des feedbacks des clients et de nos envies de les développer. 
G.V. Avant la bêta il y a l’alpha. On aime cette idée qu’une idée typographique puisse être émise par un créateur ou une fonderie. On pose une idée dans un espace digital, ce qui constitue déjà un début d’univers. L’idée est de favoriser la création et la co-création pour pouvoir évoluer.  
J.H. Le design est là, mais on est à l’écoute de demandes de script et de caractères spéciaux. L’objectif n’est évidemment pas de proposer aux gens de créer des fontes, mais de lancer des designs tous frais : on peut proposer des designs qui ont un ou deux mois, c’est-à-dire un temps de gestation raccourci. Mais on n’enlève en rien l’approche très professionnelle : il y a par exemple un vrai design space. D’autre part, on ne passera pas par une version bêta, il y aura directement une version finale. En deux mots, les fontes alpha sont plus rapides à obtenir, pour moins cher. Et puis, elles sont évolutives avec des mises à jour gratuites pour ceux qui ont acheté l’alpha.
G.V. L’espace-temps de la fonte alpha est différent, avec davantage de spontanéité. On est moins dans la complexité de finaliser une fonte. On met sur le marché nos idées et on les commercialise. On travaille avec notre communauté d’agences, de clients, de designers. C’est aussi une façon de prendre le pouls de cette communauté.
J.H. On sort cinq fontes alpha et on finalisera celles qui seront les plus demandées. 
G.V. On est dans une industrie où on doit mettre les choses dans la main de l’utilisateur. Il faut être suffisamment abouti pour être commercialisé et assez malléable pour être modifié. C’est un peu issu du design sprint, du run, où on lance des idées avec des itérations courtes dans un esprit d’amélioration continue. Il s’agit de travailler la trajectoire d’une idée en fonction de sa prise en main et utilisation. C’est un état d’esprit de designer, mais aussi de créatif.

Il y a également un autre changement
J.H. Oui : depuis 2017 on pouvait télécharger les fontes trial gratuitement. Suite à des usages de trails détournés, dans des contextes professionnels et commerciaux, effectués le plus souvent sans volonté malhonnête, on a introduit un bridage des trials en enlevant à la volée des glyphes. Cependant, pour ne pas gêner les pros de la création, et notamment ceux qui veulent pitcher, on peut toujours télécharger les fontes complètes. La version d’essai a été recentrée sur les pitchs.
G.V. N’oublions pas que les designers et les agences, mais aussi les designers intégrés, sont des prescripteurs, car c’est in fine le client qui paie la licence directement auprès de nous. 
J.H. De façon générale, les fontes c’est beaucoup du logiciel. On a tout un processus de release et de workflow totalement intégré et sans couture et en particulier pour les mises à jour. Rappelons que nos mises à jour sont toujours gratuites dans le cas de la maintenance, et ne sont payants que les ajouts de style et systèmes d’écriture.

Et vous lancez bientôt un nouveau logiciel ?
J.H. On est en train de développer Fontra, logiciel open source qui tourne dans le navigateur et qui permet de dessiner des fontes selon plusieurs dimensions.  
G.V. C’est un logiciel de conception de fontes en temps réel nativement web based qui fonctionne sur PC et Mac. Dans la communauté typographique mondiale, voilà un principe rassembleur et universel. Pas de problèmes, par exemple, pour créer des fontes chinoises.
J.H. Sur le projet Fontra, nous travaillons avec le designer de fontes Just van Rossum (ndlr : frère de Guido,  le créateur du langage Python). 
G.V. Fontra c’est un peu le Figma de la typographie. On en en cours de développement et on lancera quelque chose de solide d’ici la fin de l’année. Avec cette idée et cet objectif d’être les plus innovants en ingénierie et R&D sur la fonte elle-même, sur la façon de la construire, et en même temps très créatif et très craft. C’est toujours la même démarche pour nous : être dans les tendances du marché et en contact avec la créativité mondiale. 

Votre regard sur l’évolution de la typographie en France et en Europe ?
J.H. On a cette grosse entreprise américaine, Monotype, qui est arrivée en France et qui rachète à tour de bras des fonderies indépendantes. Forcément, on se pose des questions sur la façon dont le marché va évoluer. Ils ont un catalogue énorme et en tant que fonderie indépendante on peut difficilement rivaliser, mais on a d’autres atouts !
G.V. Le point important est que l’on veut absolument rester indépendant et maître de notre créativité. C’est un choix stratégique et d’entreprise. Et puis on connait très bien le marché français et en même temps on est très internationaux. On regarde la stratégie des acteurs comme Monotype, mais on prône la diversité, les alliances et l’intelligence collective.

Un message pour terminer ?
G.V. Vive la créativité qui nous ouvre de nouveaux horizons et qui permet de réfléchir à d’autres modèles. Tout cela nous rend heureux. 
J.H. Suivez nos sorties en retail cette année, car cela va bouger beaucoup plus vite que les années précédentes !

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1309