Florent Lasbleiz : artisan du design

Florent Lasbleiz intervient depuis 30 ans en matière de design produit. Il nous fait part de sa vision du design et de son métier.

Florent Lasbleiz, quel est votre parcours ?
F.L. J’ai fait l’école des beaux-arts de Brest avec notamment comme professeur Olivier Mourgue qui m’a beaucoup influencé pendant ma formation et dont j’ai apprécié la modestie et la simplicité. Ensuite, j’ai fait l’armée – c’était obligatoire à l’époque – puis j’ai été pendant huit ans designer et directeur artistique de l’agence RCP à Tours. À l’issue de cette période, je suis parti chez Proludic, le leader européen des aires des jeux, où j’ai touché aux aspects de la technique et de la fabrication. Depuis 2008, je suis designer indépendant. Je travaille seul, ce qui convient à mon côté solitaire et perfectionniste et quelque peu monomaniaque ! Sans horaire fixe, je travaille souvent jusqu’à trois heures du matin. Mais il faut dire qu’être designer n’est pas un travail, c’est ma passion et ma vie.

Comment vous positionnez-vous et comment procédez-vous ?
F.L. J’ai travaillé dans de multiples domaines depuis 15 ans que je suis indépendant. De la pièce unique avec des artisans jusqu’à de la série avec des leaders mondiaux. Cela va du ferroviaire aux aires de jeux. Ces derniers temps, j’interviens beaucoup dans le médical. Mais ma vraie spécialité c’est l’humain. Dessiner des objets n’est pas ce qui me préoccupe. Ce que j’essaie surtout de faire c’est de dessiner des sourires sur les visages des personnes qui utilisent mes créations. Que ce soit un tramway ou un lit d’hôpital, c’est la même démarche. Actuellement, je dessine des objets pour les chirurgiens et je participe donc à sauver des milliers de gens par an. Idem pour les aires de jeu : je permets à des milliers d’enfants de s’amuser. C’est cela qui est fantastique. Quant à mon approche méthodologique, elle dépend des clients. Il y a beaucoup de bouche à oreille de la part d’anciens clients qui m’en présentent d’autres. Cela va de celui qui veut rentabiliser son parc de machines jusqu’à celui qui a un besoin très précis dans un contexte normalisé. Cela dépend aussi des moyens et de la taille de l’entreprise. J’ai aussi bien des inventeurs et des start-up qui viennent me voir que de grands groupes. Je fais également beaucoup de design prospectif. Mes missions vont de quelques jours à des interventions qui s’étalent sur plusieurs années. Cela dit, comme je suis seul et que je et fais tout de A à Z, il m’arrive de refuser des missions, car je suis chargé au maximum. Disons que j’ai toujours eu du travail devant moi, ce qui est une chance. Depuis 30 ans que je crée des formes. J’ai mis en place une démarche que j’ai appelée « formaloqui », autrement dit les formes parlantes, et qui traite le design comme un véritable langage faisant appel à tous les sens. C’est un travail modeste d’artisan. Dans cet esprit, les MOF sont mes héros : ils font simplement et le résultat est parfait. Je me vois donc comme un artisan du design et c’est pour cela que je ne peux pas – et ne veux pas – grossir.

Quel est votre regard sur le design produit ?
F.L. J’ai le regard de celui qui fait, qui dessine des choses et qui travaille seul. Je vois passer quantité de théories et de règles sur le design et je suis d’accord avec tout et en même temps avec rien. Tout dépend du contexte et d’ailleurs le design change en fonction de celui à qui l’on s’adresse. À ce propos, je trouve que l’on devrait trouver un autre terme que celui de design, car il devient beaucoup trop galvaudé. Ainsi, je suis un designer produit qui pourrait s’appeler tout aussi bien concepteur de produit. Je n’ai pas d’autres ambitions. Et puis, disons-le, ceux qui expliquent ce qu’est le design sont souvent ceux qui n’y ont jamais touché. Par ailleurs, beaucoup de gens complexifient le design et pour moi ce n’est vraiment pas le sujet. Au contraire, je crois beaucoup aux petits gestes, comme travailler avec des entreprises polluantes qui veulent être plus vertueuses. Enfin, le design produit ne peut se concevoir en tant que tel. Il s’agit d’une démarche collective, collaborative, qui réunit des profils très différents et qui ont envie ensemble de faire quelque chose de fort et de nouveau. Avec comme règle, la sincérité et la simplicité. Il s’agit en fait de juste aider les gens à avoir une vie meilleure, ce qui est déjà beaucoup.

Votre vision du design français ?
F.L. D’abord faire du made in France c’est passionnant, mais compliqué. On ne peut faire du made in France que sur des produits à forte valeur ajoutée. C’est quasiment impossible lorsque les marges sont serrées. Cela dit, avec les nouvelles technologies comme l’impression 3D, on va bientôt y arriver, même sur de la grosse série, compte tenu de la vitesse d’évolution des machines et des matériaux. Le seul problème c’est l’impact sur la main-d’œuvre, car la 3D remplace beaucoup de monde. 

Un message pour terminer ?
F.L. Je vois plein de jeunes tristes et je tiens à dire que le design est un très joli métier. Et puis si on rate une création, ce n’est pas grave, ce ne sont finalement que des objets ! L’important est de s’amuser.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1305