Yann Mignot, directeur de création associé chez Saguez & Partners, revient en particulier sur le travail réalisé pour l’hypermarché E. Leclerc de La Roche-sur-Yon.
Yann Mignot, pouvez-vous nous détailler ce projet qui a été récompensé ?
Y.M. Il s’agit d’un projet livré en 2021 et conçu avant et pendant la crise sanitaire. C’est la réhabilitation d’un bâtiment qui se présente comme deux boites montées l’une sur l’autre. Notre intervention combine design d’espace et d’usage en challengeant toutes les ouvertures extérieures pour faire laisser place à la nature afin que le consommateur ait l’impression de vivre les saisons. On a voulu un principe d’éclairage vertueux et plus largement dans une optique de nouveau retail conçu pour 10 ans, avec des choix privilégiant les axes durables pour ne pas se démoder trop rapidement. Lors des étapes de conception avec les architectes, on a fait en sorte d’avoir des couleurs chaudes sous ce plafond de 14 mètres de haut pour casser des codes de la distribution classique. On n’a pas voulu de bandeau caisse et préféré mettre ensemble des métiers qui ont un lien entre eux. On a joué de codes similaires avec des toitures à différents niveaux, comme une sorte de salon des bons produits du coin, en quelque sorte. Le magasin peut évoluer en fonction du marché et des saisons, avec des plafonds indépendants dont certains sont autoportés et un éclairage LED situé à 12 mètres. La surface de vente n’est pas suréclairée dans une logique d’économie d’énergie et le design de l’espace des produits frais permet un aménagement en fonction du produit du moment. C’est un commerce qui saura évoluer sans tout casser. On a aussi tué la couleur blanche, hormis pour les produits technologiques, et on a composé avec des grèges et des taupes. La satisfaction des clients a été immédiate. Le tout est chaleureux, même avec une telle hauteur sous plafond. Vous l’avez compris, notre objectif a été le bien-être du consommateur. Et puis, nous nous sommes aussi situés dans une optique durable avec par exemple un sol à 100 % cradle to cradle. En matière de résultat d’exploitation, le chiffre d’affaires du magasin a augmenté de 30 % après réhabilitation, notamment parce que notre concept sait fidéliser le client. Ce projet présenté aux MAPIC s’est retrouvé le grand gagnant de la compétition : on est super fiers et également très contents pour ce client qui a quand même pris un risque avec ce concept d’évolutivité du magasin.
De façon générale, comment voyez-vous évoluer l’univers du retail ?
Y.M. Le design de demain est un design qui va devoir évoluer sans tout jeter. Il faut avoir des partis pris beaucoup plus affirmés sur des bases de meubles standard et miser beaucoup plus sur la colorimétrie. L’identité visuelle est déterminante pour nous. Dans le mot marque il y a le fait de marquer. Et puis, l’évolution du retail est forcément en lien avec celle du e-commerce. La Covid a sur accéléré le e-commerce qui n’est pas toujours en phase avec les lieux physiques. Les marques vont donc devoir investir pour que les usages soient au même niveau dans le e-commerce et les lieux physiques. Ainsi, peut-être que le commerce physique doit avoir tout l’assortiment en stock pour créer une homogénéité avec le e-commerce. Mais ce qui me paraît le plus dommageable est que tout le monde s’est copié. Quand l’on va au Forum des Halles, l’on peut y voir quatre concepts de boutique homme de marque différente qui sont quasiment identiques. Il va falloir sortir du tout pareil et se créer sa différence. Véhiculer des valeurs de marque spécifiques, c’est important. Autre point, il faut revenir à un commerce de liens, car on vit tous face à un internet très froid. Le commerce physique doit être un commerce de surprises. Proposer une expérience, mais surtout pas une expérience gratuite. Une expérience qui sert vraiment à quelque chose. Le commerce physique doit apporter quelque chose de plus que le e-commerce, avec par exemple des effets de saisonnalité, de surprises, comme le hall de la Samaritaine qui change constamment. Les marques qui se répètent et se dupliquent sont malheureusement à l’encontre de cela. Il est nécessaire de donner du plaisir dans le quotidien des gens. Une magie qui parle et qui promet de l’inattendu, avec des vendeurs experts en mesure d’aller plus loin que les informations que l’on trouve facilement sur le Net. Combiner surprise et expertise. Le commerce ne doit pas être réduit à être un dépotoir à colis vendus sur le Net. Soyons imaginatifs comme mettre des cabines d’essayage dans les points relais, ce qui apporte une vraie plus-value. Aux designers de conseiller les marques pour qu’elles aillent plus loin et qu’elles innovent. Le commerce physique est très lié à l’émotionnel, et si on veut être vertueux il faut lui redonner toute sa place. Sinon, on risque de se retrouver dans un monde de drones transportant les achats effectués en ligne. Cela manquerait un peu de poésie !
Quelle est la spécificité de Saguez & Partners dans ce contexte ?
Y.M. Je précise déjà que tout va très bien chez Saguez, avec une période de gros projets. On est en croissance et on investit dans de nouveaux marchés comme les bureaux, l’éducation, les grands projets urbains, la santé, l’hôtellerie. Saguez a plusieurs cordes à son arc avec environ 140 personnes au niveau du groupe. En 2016, on était déjà sur de bonnes bases une démarche de récupération et de recyclage. Ainsi, on n’a pas de climatisation dans notre bâtiment, mais on arrive à avoir un différentiel de 5 à 8 degrés avec la température extérieure en jouant intelligemment des espaces et des matériaux. On est aussi une agence qui se contrôle en continu et qui évalue en permanence ses fournisseurs dans une optique RSE. Le Saguez de demain c’est une démarche bas carbone et circulaire appliquée à l’ensemble de l’agence et sur tous ses projets. Notre écosystème est piloté et on essaie de l’influencer au maximum. Et même si l’économie de projet est faible, l’intelligence de conception nous inscrit dans une démarche durable. Ainsi, la matériauthèque Saguez est 100 % bas carbone. On est d’ailleurs en train de mettre en place un outil ludique pour engager davantage nos collaborateurs. Nous disposons d’une méthodologie propre d’écoconception qui prend en compte l’ensemble du cycle de vie du produit. Nous sommes davantage pour le réutilisable que pour le recyclable. On forme tous nos jeunes collaborateurs et nous investissons à 100 % dans des formations dans le durable et l’environnemental.
Un message pour terminer ?
Y.M. Je dirais aux jeunes designers que Saguez est une vraie école. On forme les futures générations de designers. On explique tout sur les matériaux, sur les chaînes de valeur. On mise beaucoup sur les retours d’expérience. Travailler chez Saguez est une opportunité d’apprendre tous les jours.
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1304