Useryka : expérience design

Yannick Lelogeais est fondateur de Useryka, agence spécialisée en « management des projets innovants par l’expérience utilisateur et le design global », et également secrétaire de la Fédération Designers en Nouvelle-Aquitaine. 

Yannick Lelogeais, quel est votre parcours ?
Y.L. J’ai toujours été animé par la création technique : Jules Vernes, Star Wars… Mon grand-père travaillait chez Caterpillar et à 12 ans je me suis passionné pour le Lego Technic. Et puis, je suis Normand et j’habitais à côté de Renault Cléon et mon Michel Lecomte était mon professeur de dessin au collège. Il arrivait en Alpine Renault et m’a encouragé à dessiner. C’est donc très tôt que j’ai eu en tête comme de mixer passion de l’automobile et création technique. Dans les années 1980, je suis allé voir à Beaubourg une exposition et j’ai vu que tout se combinait dans l’automobile : le design, la gouache, la maquette et le dessin technique. Bref, après mes études d’ingénieur, j’ai réussi à faire un stage au centre de style de Carrières-sous-Poissy, spécialisé sur les avant-projets pour PSA. C’était le début de la 3D et j’ai pu me former sur le logiciel que l’entreprise utilisait à l’époque. Ensuite, j’ai effectué ma coopération chez Saint-Gobain en Italie, ce qui m’a permis de me rapprocher du design italien à Turin. Là, je pensais pouvoir intégrer l’industrie automobile, mais ce fut très compliqué, car je ne connaissais pas CATIA (ndlr : logiciel de conception assistée par ordinateur créé au départ par la société Dassault Aviation pour ses propres besoins sous le nom de CATI) et ma maîtrise de la langue anglaise n’était pas suffisante. Du coup, j’ai envoyé mon CV chez des carrossiers italiens et je suis parti chez Stola qui travaillait pas mal pour Renault. J’ai donc débarqué dans l’automobile française par l’intermédiaire des Italiens ! J’ai ensuite rejoint un prestataire qui m’a fait travailler chez Renault Sport ou je suis resté sept ans. Il me manquait quand même un diplôme de design sur mon CV : je suis donc allé faire un an de master à Strate. J’y suis allé pour m’ouvrir les idées, et réfléchir sur les drones, la robotique de service, la cobotique et les exosquelettes qui commençaient à pointer le bout de leur nez. Cela m’a passionné de mixer mécanique, humain et nouveaux usages. Après cela et pendant 10 ans, j’ai fait différentes PME où j’ai pu valoriser mon expertise en matière d’architecture du produit, d’industrialisation et de design. Mais j’ai toujours été bloqué par le techno-push du style « on verra plus tard, il faut lancer au plus vite ». Je considère qu’en France nous sommes les champions du monde des démonstrateurs ! Puis j’ai rejoint Robotics Industry dont le fondateur était autodidacte. Là, j’ai beaucoup retravaillé l’usage avec des cahiers des charges 2.0 comportant des spécifications d’usages et techniques que j’ai appelé expérience design. Du coup, on a commencé à vendre de l’expérience design en tant que prestataire chez Suez, Arquus ou Thalès avec cinq livrables : scénario d’usage, cahier des charges, architecture et planning. Avec ce concept d’expérience design, le porteur de projet est sur une route parfaitement claire, avec des illustrations de ses idées. Enfin, et après quelques autres pérégrinations, je me suis dit il y a un an que l’expérience design était une prestation intéressante et j’ai monté l’agence Useryka pour la promouvoir.

Comment intervenez-vous ?
Y.L.J’interviens sur deux types de structures : d’abord, les grands groupes ou entreprises qui disposent de certains moyens et pour lesquels il faut faire de l’avant-projet. Là, on y va en réseau avec des experts de la mécatronique et du soft. J’interviens également auprès de start-up ou de PME sous forme de prestations réparties sur quelques journées par mois. Il s’agit de suivre le développement de produits en intégrant toutes les évolutions technologiques, notamment électroniques, mais en assurant un fil rouge avec en tête de liste la réparabilité et le recyclage. On se situe ici dans l’expérience opérationnelle – je parle de ceux qui montent, utilisent, réparent et recyclent. Beaucoup de produits sont trop chers à monter et à démonter, ils n’ont plus d’avenir. Le design c’est l’architecture globale du produit, qui tient compte de l’ensemble du cycle de la durée de vie, de la fabrication au recyclage. Étant pas mal en liaison avec les accélérateurs et incubateurs de la région bordelaise, je constate que nombre de subventions sont données à perte : un démonstrateur n’est pas suffisant si l’architecture globale n’a pas été pensée. Certains le comprennent, et c’est bien.

Quels sont vos objectifs sur ces prochaines années ?
Y.L. En premier lieu, je m’interroge sur le fait de rester seul ou de former une équipe interne au sein de ma structure afin d’être en mesure de proposer une prestation complète. Au-delà, mon objectif : est d’aider à la réindustrialisation française en amenant des dossiers réalistes et faisables. Après avoir pas mal fréquenté de PME et de start-up, je constate beaucoup de précipitation du fait d’une pression financière ou de l’urgence d’obtenir des subventions. Et à l’autre bout du spectre, les très grosses entreprises ont des directeurs de l’innovation qui doivent travailler de façon agile dans un contexte très siloté. Dans tous les cas, le design permet de travailler en transversal : c’est un excellent outil d’interface.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1302