Groupe ADP : le design a décollé

Baptiste Valois est head of design strategy chez Groupe ADP, opérateur aéroportuaire. Il nous parle de son métier et de la place du design dans son entreprise.

Baptiste Valois, pourriez-vous vous présenter ?
B.V. J’ai débuté mon parcours professionnel chez Accor, où je suis resté sept ans, à la direction Design & Technical Services qui s’occupe des projets de rénovation et de construction d’hôtels en Europe, Moyen-Orient et Afrique. Ensuite, j’ai rejoint Korian pour y créer la fonction architecture d’intérieur et projet. Il s’agissait de mettre en œuvre la démarche architecturale et design produit dans un environnement immature, contrairement à chez Accor. Puis, de nouveau l’hôtellerie avec Adagio pour revisiter le concept de parties communes et d’appartements privatifs. Pour l’anecdote, le concept Adagio a été créé la même année que Mama Shelter, contrairement à ce que l’on croit. Là, il s’agissait de rebâtir l’expérience client avec une segmentation des usages et la définition d’une méthodologie adaptée, le tout décliné sur différentes zones cibles. Depuis quatre ans, je suis chez Groupe ADP, dans le cadre de la création d’Extime, la marque d’hospitalité du Groupe ADP. Pour information, la création de cette marque s’inscrit dans un contexte où l’expérience client se résumait au passage au duty free, puis à l’attente dans la salle d’embarquement, principes qui n’avaient pas bougé depuis 40 ans. J’ajoute, pour donner une idée du volume des flux sur lesquels nous travaillons, qu’un terminal d’aéroport traite en moyenne une dizaine de millions de passagers par an.

Quel est votre rôle chez Groupe ADP et en quoi consiste le design dans une entreprise de ce type ?
B.V. Je pilote la fonction design pour le Groupe ADP, qui comprend au total 6 000 collaborateurs, au sein de la direction qui rassemble ce qui ne relève pas de l’aéroportuaire : c’est-à-dire tout ce qui concerne le voyageur après son passage aux contrôles de sécurité. En synthèse, je m’occupe de l’expérience passager dans un aéroport, hors aéroportuaire. Dans cette optique, le Groupe ADP a, comme je vous le disais, créé Extime, une marque d’hospitalité qui englobe l’ensemble des expériences dans les zones duty free, lounge, embarquement, food & beverage, média et, enfin, travel essentials (ndlr : la consommation de dernière minute). Il me paraît important de noter que l’excellence du design est l’un des trois piliers de la marque Extime, avec l’excellence du service et l’excellence de l’offre. Pour l’excellence du design, on a voulu penser le concept Extime au niveau macro, comme un enchaînement de différentes expériences tout le long du parcours client, ceci afin de répondre à l’ensemble des usages que l’on peut croiser lors d’une attente d’avion. L’objectif est de transformer ce qui est perçu comme une pénibilité, combinée à un pic de stress antérieur lié au contrôle de la personne et du bagage. L’idée est de transformer tout cela en une belle expérience avant l’envol. Le plaisir doit remplacer l’attente et l’impatience.  

Comment avez-vous procédé ?
B.V. On a regardé ce qui existait ailleurs, notamment en matière de duty free et de restauration. On a ensuite groupé l’ensemble des prestations sous une marque unique, Extime, en la liant avec les démarches de design de service et de design architectural. Notre volonté était d’incarner de manière plus humaine les différentes fonctions attendues. Par exemple, les points d’information ont été transformés avec l’apparition d’un maître de maison qui vient à vous avec un grand sourire et qui s’assure que l’expérience se déroule bien. Nous sommes dans l’anticipation plutôt que dans le curatif. Et nous sommes très sensibles aux petites attentions et au don de soi : on traite les passagers comme des hôtes pour éviter à tout prix qu’ils subissent une expérience désagréable. Et puis, lorsque l’on s’occupe du design du lieu, on fait appel aux plus grands architectes d’intérieur et designers de la scène locale. Le Groupe ADP étant un réseau de plus de 30 aéroports dans le monde, la marque Extime a pour vocation à être franchisée dans tous les aéroports du monde, selon le même modèle économique qu’une franchise de marque hôtelière. Cela signifie que le propriétaire foncier est l’expert aéroportuaire et que nous sommes les experts de l’expérience de la zone réservée (ndlr : pour rappel, après les contrôles de sécurité). L’esprit Extime est globalisé avec une expérience sans couture, depuis la zone de sureté jusqu’à l’entrée dans l’avion. C’est une expérience unique. Ainsi, nous avons traité les lieux de façon à raconter une histoire, terminal par terminal, avec l’ambition de proposer un fil rouge avec un design d’expérience local – le sens of place –, une architecture d’intérieur locale et un design local. Autre exemple, nos boutiques dans les terminaux comprennent des restaurants gastronomiques avec des chefs généralement étoilés, où l’on développe des expériences olfactives et sonores locales, comme c’est le cas à l’aéroport Paris-Charles de Gaulle où on a travaillé avec Dorothée Meilichzon, une ancienne de Strate, qui réalise beaucoup de projets d’hôtellerie et également avec Hugo Toro et Maxime Liautard. Pour les boutiques, on travaille systématiquement sur les empreintes locales au travers de codes liés à l’aéronautique de façon raffinée avec moult détails pour permettre des niveaux de lecture différents. Ainsi, au T1 Paris-Charles de Gaulle, nous avons rendu hommage à Ernest Hemingway et Paris est une fête dans une ambiance des années 1920 et 1930, avec un ensemble de détails liés au monde de l’aéroportuaire et du voyage.

Comment travaillez-vous ?
B.V. Opérationnellement, mon équipe travaille selon la démarche du design management. Nous pilotons la composante expertise design dans la gestion d’un projet sous un angle à la fois design et architectural. Sans cette expertise on ne pourrait pas atteindre ce niveau de détail, face au poids de différentes fonctions qui entrent en jeu dans des projets complexes : opérations, maintenance, etc. Et comme la fonction design est puissante et qu’elle détient un fort niveau d’expertise, nous avons la capacité de piloter des projets. Nous sommes dès l’origine sur le pilotage des budgets et des plannings. Mon équipe comprend trois personnes, mais nous travaillons intensivement en matriciel et rassemblons plusieurs dizaines de personnes dans les équipes projet. Nous ne sommes évidemment pas les seuls décisionnaires, mais nous sommes le pilote identifié des projets design et architecturaux pour la marque Extime, qui recouvrira l’ensemble de la zone réservée à partir de janvier 2024.

Votre vision du design français ?
B.V. La créativité française est certainement l’une des plus poussées en ce moment. Le traitement de l’expression créative de nos designers est certainement le plus personnel et le plus identifiable, avec nos amis italiens bien sûr ! Tout cela au sein d’un design mondialisé et textualisé, quasiment galvaudé et soumis au pouvoir des réseaux sociaux, avec cette dictature de l’image. Nous avons de grands noms internationaux et également, de mon point de vue, une jeune garde avec un potentiel énorme. D’ailleurs, le Groupe ADP souhaite miser sur cette jeune garde, ce qui n’exclut évidemment pas de travailler avec les grands noms reconnus de longue date du design français.

Un message pour terminer ?B.V. Il y a un combat à mener pour le design : réussir à distinguer les différents métiers du design, sans pour autant siloter. Le design n’est pas que de l’esthétique, c’est un processus de développement dans un objectif qui n’est pas que créatif. Le design peut résoudre de grandes et fortes problématiques d’usage.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1299