Strate : déjà 30 ans

Guillaume Lom Puech, directeur général du groupe Strate, nous fait part de l’activité de l’école, ainsi que de sa vision du monde de l’éducation et du design.

Guillaume Lom Puech, comment allez-vous ?
G.L.P. Ça va très bien. On clôture cette effervescence de rentrée avec cette belle exposition qui vient d’avoir lieu (ndlr : Future[s] Fiction[s]). Pour ce qui me concerne, j’ai pris la direction générale du groupe Strate au printemps dernier et suis parti avec un vrai enthousiasme et avec la contribution de toutes les équipes, étudiants, professeurs, collaborateurs et intervenants, dans une volonté commune de développer des choses et des projets.

Pas mal de nouveautés en ce moment ?
G.L.P. Oui, effectivement. On fête les 30 ans de Strate avec une programmation qui s’étale sur l’année. Le premier évènement est un workshop pour rappeler que l’école a 30 ans, avec trois campus et 1200 étudiants répartis entre Paris, Lyon et Bangalore. Rappelons cependant que nous sommes une école familiale et à taille humaine dotée d’un esprit très collaboratif. Et je voulais rappeler cette dimension collaborative, ainsi que cette science du faire, avec ce workshop qui aboutira à une expo en fin d’année. On a travaillé avec Carbone 4 (ndlr : cabinet-conseil spécialisé sur les enjeux énergie et climat, fondé en 2007 par Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean) sur la définition des nouveaux imaginaires, à l’aide du design fiction, pour se projeter dans les 30 ans à venir. Dans cette optique, les enjeux de l’éducation, du design et de la société sont déterminants. Carbone 4 avec son approche scientifique des enjeux de transition liés aux ressources et de changements de modèles a cette capacité à se projeter. Il était intéressant de voir comment se combine le design avec ces grands enjeux et pourquoi le design est légitime à y répondre. Il s’agit de montrer comment les designers s’emparent de ces problématiques. C’est également une façon d’affirmer le rôle du design dans une approche plus systémique qu’industrielle. Et puis, l’école de design de demain sera légitime si elle sait questionner ces enjeux fondamentaux, notamment par la science du faire, celle qui donne la capacité à faire converger sciences molles et dures. Le design est un levier essentiel pour rassembler ces deux composantes. Bref, ces 30 ans marquent la légitimité du design à appréhender la complexité de la société : nouveaux imaginaires et nouveaux usages. Ce premier workshop a donné le micro aux étudiants et on rebouclera cet évènement avec le dernier évènement de l’année qui aura lieu en juin 2024 avec l’exposition des diplômes. Il y aura également d’autres évènements, et notamment un colloque de recherche, avec des chercheurs, praticiens et enseignants, sur la thématique de la position du design dans la société, ce qui donnera lieu à un livre blanc de recherche.                                                                                 

Comment voyez-vous évoluer le secteur de l’éducation en matière de design ?
G.L.P. Pour moi, et compte tenu de la façon dont je conduis les enjeux pour Strate, il y a une question sur notre capacité en tant qu’école de design à être beaucoup plus présent sur les grands sujets. Les écoles se sont développées sur une approche métier, avec des filières et des options en fonction des spécialités choisies. Mais, comme la diversité des projets sur lesquels on travaille donne une légitimité aux designers à répondre à des problématiques complexes – santé, nutrition, transition écologique, etc. –, on doit favoriser une évolution pour s’approprier les connaissances et développer notre capacité à répondre à ces sujets. Les designers doivent davantage se positionner sur une problématique que sur une finalité métier. C’est pour cela que nous développons des programmes nationaux et internationaux, avec le Canada, la Chine ou l’Italie, sous forme de doubles diplômes. Par exemple, avec Politecnico di Milano sur la problématique de territoires. D’autre part, le design pose la question de l’expérience qui est par essence plurielle, car tous les secteurs éducatifs sont concernés : écoles d’ingénieur, écoles de management. Nous sommes dans une période trouble qui est vraiment propice au design. On est d’autant plus créatif que le contexte est troublé. Il y a donc un intérêt à intégrer du design un peu partout. Cependant, mon rôle n’est pas d’aller mettre du design dans d’autres secteurs éducatifs, mais de voir comment une école de design peut aborder différents domaines, comme les sciences de gestion ou les sciences politiques. Cette mutation me paraît importante.

Votre regard sur le design français ?
G.L.P. Quand je discute avec mes homologues ou quand je voyage, je constate que la vision du design français vue de l’extérieur est assez connectée avec les arts appliqués et les arts décoratifs, même si nous avons des écoles qui proposent une approche systémique et stratégique. À Strate, nous avons même des formations pour redesigner des modèles économiques ou des supply chains. Et c’est d’ailleurs là-dessus que l’on vient nous chercher. L’enjeu stratégique du design est un point fort très français, mais quand on sort de l’éducation, tout change. On n’est pas encore assez visibles sur ces aspects stratégiques et économiques.

Un message pour terminer ?
G.L.P. Cette année est spéciale pour moi. Une prise de poste sur une institution prestigieuse et un plan de transformation à cinq ans. C’est un vrai travail collectif de redesigner une école. D’où se poser la question de ce qu’est l’éducation et de la façon dont nous devons aborder de nouveaux territoires de réflexion et d’action. Mon challenge est d’engager une équipe avec la volonté d’aller dans cette direction. Et puis, bien sûr, prendre le temps des célébrer nos 30 ans. Et si on se pose la question des 30 prochaines années, c’est bien parce que les 30 dernières ont permis d’aboutir à un résultat solide. Utilisons les outils du design pour nous réinventer.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1296