W&Cie : clara futura

Denis Gancel et Gilles Deléris, respectivement CEO et directeur de la création de W&Cie, nous présentent leur dernier ouvrage intitulé Ecce Dico – Abécédaire amoureux et illustré de la vie en agence.

Denis Gancel et Gilles Deléris : quelle verve littéraire !
G.D. Bon, si le ton n’est pas toujours léger, on n’est pas là pour donner des leçons, mais pour partager des moments de vie et des expériences. Il s’agit surtout de donner envie aux jeunes étudiants et aux jeunes collaborateurs de s’engager dans un métier qu’ils boudent de plus en plus. En réalité, cela fait 20 ans qu’ils ont commencé à bouder, mais ça monte tous les ans un peu plus. On est aujourd’hui assez loin de l’esprit Culture Pub et on ne se bat plus pour entrer en agence. Au début du siècle, il y a eu un changement de perception de nos métiers : la planète brule et certains estiment que les pratiques de la communication sont parfois irresponsables. Et puis, bien sûr, la crise sanitaire a donné aux collaborateurs l’impression avec le télétravail qu’être en agence ou ne pas y être est la même chose. Et surtout, beaucoup de questions se posent sur pourquoi faire ce métier et pour quels accomplissements. Cela dit, même si l’on sent comme un changement depuis ces trois ou quatre dernières années, on constate, par exemple au travers des enseignements que l’on dispense dans des institutions comme Sciences Po, qu’il règne de façon générale un esprit assez anti-communication. Nous faisons un métier formidable et utile qui est délaissé et pour lequel on a du mal à recruter. On s’est dit qu’avec cet ouvrage on allait apporter notre pierre à l’édifice et puis, peut-être, conjurer le sort.
D.G. Il y a un côté poil à gratter, quelque chose qui s’est renversé, un peu comme une tarte Tatin. Le plus beau des métiers est devenu un métier repoussoir et on pointe les agences du doigt. Cette génération Z est intraitable sur la question du sens. Elle ne transige pas, même si elle doit en payer le prix. À nous, par conséquent, de montrer patte blanche. On a été un levier d’hyperconsommation, mais il faut savoir que nous avons quitté cet univers. On persiste et on signe : une agence règle des problèmes de communication dans le sens le plus noble du terme. On peut donc être au rendez-vous des attentes des jeunes. On n’est pas là pour faire surconsommer, mais pour que les gens puissent manier du beau et du vrai.

Comment faire ?
G.D. Le secteur de la communication fait écho aux sirènes de l’époque. On sort de l’hyperconsommation pour entrer dans la responsabilité sociétale. Et si l’on veut que les transformations aboutissent, ce ne sera pas possible sans les agences.
D.G. On est témoin du problème et on a la solution !
G.D. On a une clientèle qui appelle à d’autres sujets que la consommation pure et dure. On fait ce métier avec enthousiasme, passion et éthique. On ne veut pas fourguer n’importe quoi à n’importe qui. On n’est pas les seuls à penser comme cela : il y en a beaucoup comme nous, simplement ils passent sous le radar
D.G. L’on se doit d’accueillir cette génération. Vous savez, 4 000 personnes sont passées par W&Cie depuis sa création. On enseigne, on prend des stagiaires, on a une école de la marque et on essaie de partager les valeurs qui nous habitent. Ecce Dico est destiné aux jeunes étudiants et jeunes pros. Ils veulent pouvoir expliquer à leurs parents pourquoi ils veulent aller en agence, car même nos clients s’inquiètent quand leurs enfants expriment le désir d’aller en école d’art ou en agence. À nous de montrer qu’il y a d’autres façons de faire notre métier.

Allez-vous repositionner votre agence pour une perception différente ?
G.D. Il ne s’agit nullement de repositionner l’agence. Ce que l’on fait est inscrit au fond de nous-mêmes, comme avec le Contributing. C’est plutôt sur le terrain du savoir-être qu’il faut agir. On ne parle pas de la production de l’agence, mais de pourquoi se lancer dans une entreprise de cette nature.
D.G. Notre propos est délibérément positif. C’est plus facile de faire pleurer que de faire rire. On a donc censuré tout ce qui portait sur une critique peu constructive et connue et commenté ce qui participe d’un discours corporatif négatif. On ne donne de leçons à personne. L’agence nous a tout apporté, et c’est de surcroît un métier où l’on peut entreprendre facilement, se tromper et recommencer. Il est à la portée de tous, à condition d’en avoir l’énergie.

Quelle est votre vision du business ? 
D.G. Deux astéroïdes nous impactent. D’abord, l’international. On est tous impactés. Nous avons un déficit en France de 92 milliards à l’export : nous devons reprendre position. Si on ne le fait pas, ce sera une domination de l’Asie et des États-Unis. Seules les agences qui auront fait le pas de l’international – nous ferons d’ailleurs bientôt une annonce à ce sujet – pourront s’en sortir. Le deuxième astéroïde c’est l’IA avec la dilution du droit d’auteur. Il y a une bataille à mener autant créative que juridique et le piège serait de tomber dans un discours de revendication. 
G.D. On s’engage dans l’IA. L’IA ne va pas tuer la création, mais va tuer les créatifs qui ne savent pas s’en servir. Cette matière est sidérante et extraordinaire avec néanmoins une face sombre qui consiste en la puissance de feu des acteurs en présence. De gros joueurs pourraient prendre la place et il faut se montrer rapide et intelligent pour se positionner en tenant compte de l’absence totale de retenue qu’entraîne cette technologie. C’est une logique de l’instant qui fait que l’on a deux heures pour créer : nous sommes dans un rapport à la création qui est bouleversé. Il va falloir des créatifs et des équipes à jour, sinon on va disparaitre. 
D.G. Il y a un point positif en matière d’éthique publicitaire : l’IA va rendre un service énorme de productivité dans des contextes de rendus déraisonnables. On n’a pas su depuis 30 ans mettre un terme à la compétition entre agences organisée par les annonceurs. L’IA pourrait nous arranger.
G.D. Il faut également aiguiser le regard des créatifs, pour que ce qui sort de l’IA puisse être analysé, sachant que l’on n’est pas aussi réactif que la machine. À nous d’être des curateurs de l’IA avec le risque, si on ne l’est pas, d’arriver à une similarité de créations. Ceci dit, ce que je trouve formidable quand même avec cette technologie est sa capacité à créer des solutions auxquelles l’on ne s’attend pas. Il y a une sorte d’émerveillement, de sidération avec l’opportunité de créer de nouveaux langages. On ne peut aller que vers le haut.
D.G. Les agences vont devenir des éditeurs : prendre des risques et faire des choix. Il ne s’agit pas de faire ce que la machine fait mieux que nous, mais de choisir entre plusieurs recommandations. Il ne s’agit pas non plus de faire le visuel, mais de choisir le bon. La fonction de sélection un peu archaïque réservée à la hiérarchie va désormais être le quotidien des créatifs.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1290