Fritsch-Durisotti : déjà 30 ans !

Design fax interview Antoine Fritsch et Thierry Coste, respectivement fondateur et associé de Fritsch-Durisotti, agence de design industriel qui vient de fêter ses 30 ans.

Antoine Fritsch et Thierry Coste : que retenez-vous de ces 30 ans ?
A.F. On a fait éditer deux bouquins sur nos 30 ans de créations et de rencontres, où l’on présente les créations les plus iconiques ainsi que les personnes que l’on a rencontrées pendant cette période et qui se sont exprimées sur l’agence. La première chose qui nous marque, c’est que tout est passé tellement vite !
T.C. Quand on parcourt le carnet de rencontres, on s’aperçoit qu’on dépasse toujours le projet pour s’intéresser à l’expérience qu’ont permise ces rencontres. Les produits c’est bien, le progrès aussi, mais ce que l’on retient surtout c’est le plaisir. Et on a eu des projets plaisir grâce aux femmes et aux hommes que l’on a rencontrés. L’exercice a prouvé que l’on se remémorait surtout les gens et pas les projets : collaborateurs, clients, stagiaires, partenaires. Quand l’on songe que l’on a vu passer 90 stagiaires en 30 ans ! Tout cela est très touchant, car l’important c’est ce que l’on vit avec les gens.

Quelles sont les évolutions majeures que vous avez constatées durant ces 30 années ?
A.F. Le sillage évolue. On a démarré avec le début des ordinateurs pour le graphisme, on a commencé avec la table à dessin et des maquettes faites à la main. Aujourd’hui, on est sur du numérique – 3D, impression 3D, vidéo. La réalité technique fait que l’on va plus loin, plus vite. On peut faire davantage d’expérimentation et de façon beaucoup moins laborieuse. On ne rêve évidemment pas de revenir en arrière, mais on tient beaucoup à conserver notre atelier d’expérimentation et de prototypage, ce qui nous différencie de nombre de studios. Nous disposons de vrais outils pour toucher la matière et ne pas être que dans le virtuel. D’ailleurs, les clients apprécient cela et viennent nous voir parce que nous disposons de cette spécificité, sachant que faire du design produit est difficile et exigeant. Nous, ce que l’on veut, c’est transformer, c’est-à-dire passer d’une idée à une offre produit qui répond à une problématique d’usage forte et qui va rencontrer son public. Le chemin est semé d’embuches et il faut mettre de l’excellence à tous les niveaux, et cela n’a pas changé. Enfin, la connaissance des matériaux et des process est au cœur de la problématique.
T.C. Tout ce temps gagné grâce à la technologie doit être réalloué de façon pertinente et réfléchie à une meilleure prise en compte du facteur humain. Il nous faut mieux ausculter les attentes explicites et implicites des entreprises clientes et des utilisateurs.
A.F. Dans ce cadre, on passe d’ailleurs beaucoup de temps à faire de la cocréation avec nos clients.
T.C. Le temps passé en amont doit être important, et d’autant plus important que la technologie nous fait gagner du temps. Il faut élever le débat sans cesse, car c’est qui qui fait croître la valeur du design.

Pourquoi le design industriel est-il encore si peu reconnu, du moins en France ?
T.C. C’est le cas lorsque l’on n’a pas réussi à expliquer clairement la valeur du design en matière de stratégie, de marque et d’offre. Si ces aspects sont occultés, la valeur du design industriel est faible.
A.F. C’est pour cela que nous passons beaucoup de temps à expliquer à nos clients ce qu’est la chaîne de valeur du design : cela donne une réelle valeur à ce que nous pouvons apporter. On valorise ainsi mieux notre travail, ce qui est important pour se développer. Cela étant dit, il n’y a toujours pas, en France, de gros cabinets de design produit comme dans le monde anglo-saxon, germanique ou asiatique. 
T.C. Le design englobe tellement de facettes que souvent ceux qui ne le connaissent n’en perçoivent que la composante stylistique.
A.F. D’ailleurs, si un client ne veut que du style, on va le faire, mais en lui indiquant gentiment que le design va au-delà – et en allant plus loin que la demande initiale pour lui ouvrir l’appétit.

Comment voyez-vous les 30 prochaines années ?
T.C. On pourrait rêver que le mode de pensée du designer se répande, car c’est un mode vertueux pour se questionner et mettre l’utilisateur au cœur d’une problématique. Si on pouvait élargir cette culture du doute et cette humilité du designer, ce serait une bonne chose.
A.F. La notion de responsabilité doit être encore plus au cœur des projets et cela va aller beaucoup plus loin dans les années qui viennent. Bien plus en profondeur et avec davantage d’expertise, sans oublier les fondamentaux du design et l’écosystème qui est derrière. Dans ce cadre, le designer a toute sa place.

Un message pour terminer ?
T.C. Il faut toujours plus miser sur l’intelligence collective en élargissant nos pratiques et en incluant les parties prenantes. L’apport de l’intelligence collective est flagrant. On n’a jamais eu la philosophie du design d’auteur, bien au contraire. Le design est une pratique collective, en équipe et avec nos partenaires et clients.
A.F. Je n’aurais pas dit mieux !

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1285