66 Origin : design d’expérience

Interview de Philippe Mihelic, directeur de la création et CEO de 66 Origin, agence spécialisée dans le design d’expérience.

Philippe Mihelic, pourriez-vous présenter ?
P.M. J’ai commencé chez Publicis dans la pub en 1995 et on a eu très vite envie de développer le digital. Il y avait tant de choses à faire que l’on a décidé, en 1997, six anciens de Publicis, de créer Fullsix. On s’est immédiatement organisé en équipe projet, deux commerciaux, un centralien, un créa et deux tech, en ayant  la certitude que ces différents profils devaient désormais toujours travailler ensemble. Fullsix a très bien fonctionné et on a vendu à Havas en 2015, moment où j’ai décidé de me retirer, car on était devenu un peu trop industriel. Juste après, La Poste est venue me proposer de faire de l’innovation. Ils cherchaient un profil disruptif  pour prendre en charge leur lab Yellow Innovation, structure que j’ai décidé d’excuber lors des phases de recherche et d’intégrer pour les phases d’industrialisation. 

Quel est le positionnement de 66 Origin ?
P.M. Nous sommes très focusés sur la création, mais on fait essentiellement de l’innovation. Plus précisément, on fait du design d’expérience. On va travailler des expériences utilisateur et on va exécuter ces expériences avec des profils experts du marché, dont des designers. En ce sens, nous avons une approche globale. On a trois casquettes : l’axe corporate, avec beaucoup de design fiction où l’on intervient sur les plans stratégiques des clients afin de se projeter dans le futur avec des scénarios possibles ; l’accélération de start-up en early stage où l’on vient en complément d’une expertise manquante en facturant 50 % du coût de notre prestation et en prenant les  50 autres % en equity ou sous forme de BSA (on mise sur la start-up et on prend le risque). Il s’agit d’une vraie collaboration avec une composante humaine forte. On travaille de cette façon avec Quipo qui propose des solutions  pour dématérialiser le ticket de caisse ; et troisième axe, on développe nos propres produits. On travaille en ce moment sur la mobilité douce où il y a besoin de beaucoup d’interactions avec son smartphone. On a élaboré  une proposition avec un écran intégré à une potence et des contrôleurs au guidon afin de ne pas avoir à lâcher ce dernier.   

Comment travaillez-vous ?
P.M. J’ai cette double casquette, à la fois d’agence, avec quand même il faut bien le dire cette prétention de tout savoir et ne comprenant pas toujours pourquoi le client n’est pas systématiquement enthousiaste, et le côté annonceur où l’on perçoit combien les contraintes internes sont pesantes. De ce fait, j’ai pu positionner une offre combinant créativité et respect des réalités industrielles. Ma première ligne de conduite est de demander un brief le plus court possible (140 caractères) pour cracker les différents paint points : pas la peine de faire un avion quand un pédalo suffit. À partir de ce brief, je réponds littéralement sous la forme d’un magazine, ce qui permet de donner une image très fidèle du résultat final. Dans ce magazine, on réalise le design du modèle économique, la méthodo, le type d’expérience proposée. L’avantage du format magazine est qu’il se distribue et qu’il donne envie de lire, quel que soit l’endroit où l’on se trouve.

Ensuite, comment procédez-vous ?
P.M. Cette démarche initiale sous forme de magazine assure la cohérence du projet. Ensuite, on passe à la phase de prototypage et on fonctionne comme on le ferait dans le cinéma : mon film c’est mon projet et je vais chercher sur le marché les profils qui vont bien – mon designer, mon DA, mon chef de projet, mon développeur, mon ingé, etc. Peu importe la typologie du projet, je monte une équipe composée de seniors et je m’engage à sortir un proto en quatre mois maximum, quel que soit le niveau de complexité auquel nous sommes confrontés. Notre écosystème comprend plus de 250 personnes, ce qui nous permet de monter des équipes finement structurées. Je vais aussi chercher des noms connus et des étoiles montantes du design pour donner une certaine patte au projet.

Quels sont pour vous les freins à l’innovation ?
P.M. Il y a cinq raisons pour lesquelles une entreprise n’innove pas : une culture qui rend l’entreprise prisonnière de ses habitudes (« on a toujours fait comme ça ») ; des systèmes d’information qui empêchent ou retardent les roadmaps d’innovation ; du mal à être orienté utilisateur (on fait on avec ce que l’on a déjà) ; un état d’esprit et des mentalités qui résistent au changement (on ne veut pas sortir de sa zone de confort) ; la médiation entre le court terme et le long terme (le court terme est le plus souvent privilégié). Nous savons évacuer ces barrages, du fait, notamment, de notre façon de travailler. On n’est pas vraiment fan du télétravail et on aime bien la notion d’équipe projet assise autour d’une même table. Ensuite, on n’a pas à gérer ces strates successives de juniors et seniors. On ne travaille qu’avec des profils opérationnels et experts sur nos sujets, en mode ensemble et en présentiel.

Quelles sont vos ambitions ?
P.M. On ne veut pas grossir comme on l’a fait avec Fullsix. On veut prendre la méthode inverse et continuer à travailler avec les experts du marché. Notre objectif, c’est la qualité et la vitesse. On ne sortira jamais quelque chose dont on ne sera pas fier. On refuse souvent de faire tel ou tel projet pour un client donné parce que l’on n’y croit pas. Notre mindset c’est la collaboration parfaite avec un client partenaire. Ensuite, le talent, ça compte, mais pas autant que l’envie et la motivation de faire, d’avoir de l’impact et de travailler des choses qui ont du sens. Pour toutes ces raisons, on veut rester petit. 

Un message pour terminer ?
P.M. Comme je vous l’ai dit, nous sommes actuellement sommes en train de designer un vélo. Pour ce faire,  on a travaillé avec une designer qui fait plein de choses, mais pas de vélo. Je lui ai dit « peu importe que tu n’aies jamais fait de vélo : l’important est que tu me fasses le design du meilleur vélo urbain ». Je ne voulais pas d’un réflexe de designer trop focusé sur le domaine. Là, j’ai eu quelque chose de vraiment différent et nous travaillons avec les bonnes personnes pour industrialiser le projet. Cela pour vous dire que si l’on travaille toujours avec des experts, on évite de faire travailler des experts connaissant trop bien un secteur donné.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1280