Design avec style

Interview de Romain Chareyre, directeur du design de Style & Design et président fondateur d’Essensed, par ailleurs filiale de Style & Design.

Romain Chareyre, pourriez-vous vous présenter ?
R.C. D’abord, je voudrais préciser que je ne crie pas sur tous les toits ce que je fais, hormis pour mes clients et mon marché. Cela dit, j’adore parler, mais je ne suis pas un fan des réseaux sociaux. Diplômé de l’ISD en 2001, j’ai eu la chance de pouvoir entrer tout de suite chez Volkswagen pour dessiner des camions, des utilitaires et des voitures. On a en particulier développé la gamme de camions Constellation, notamment pour le Brésil, puis l’utilitaire Crafter et sa déclinaison minibus, et enfin le SUV Touareg. J’aime le dessin et la conception, mais surtout le fait d’appréhender des propositions physiques. C’est d’ailleurs une chance de dessiner des choses à l’échelle humaine. Néanmoins, à un certain moment, je me suis dit que dessiner des voitures toute ma vie ça allait être compliqué. Alors, m’est naturellement venue l’idée de créer ou de rejoindre une agence de design pour capitaliser ce que j’avais appris : un design industriel avec de la force dans l’usage. Volkswagen avait en effet une force dans le processus design qui était impressionnante : c’était moteur dans l’entreprise. Le design était vraiment un levier de performance pour créer de la valeur et l’acte d’innover servait un propos. Ayant eu la chance de rencontrer Idestyle qui était dotée de gros moyens de conception, j’ai monté Idestyle Studio pour apporter la valeur design chez Idestyle. Et là, je me suis dit que l’on pouvait utiliser les acquis de l’automobile dans le nautique. Malheureusement, en 2009 il y a eu la crise et Idestyle a explosé en vol, mais sont demeurées la partie digitale d’Idestyle et l’activité maquette, le tout sous l’appellation Style & Design.

Quels sont vos principaux domaines d’intervention ?
R.C. On continue à faire du design, mais en embarquant plus d’ingénierie, et de façon générale, en pilotant l’ensemble de la chaîne de valeur de la conception, en incluant le digital. On a travaillé pour Renault, Honda ou Toyota, mais sans perdre de vue deux combats qui nous sont chers : l’aéronautique et le nautique. On a convaincu Bénéteau, lors du renouvellement de leur gamme hors-bord de cinq à neuf mètres, en amenant une vision globale en matière de qualité perçue. On a aussi réalisé une deuxième génération de cabin-cruiser et de GT jusqu’à 14 mètres. On a déposé pas mal d’innovations dans ce marché du nautique en récoltant beaucoup de prix européens et en instituant des marqueurs forts repris par certains concurrents, comme le pont carré, un accès à la mer différent ou encore de nouvelles manières de circuler. Bref, on a combiné design et architecture. On part de l’usage et on développe des architectures produit : on est intervenu sur une vingtaine de bateaux environ. Pour Zodiac (ndlr : Safran Seats), on a amené des concepts de sièges pour les différentes classes. Chez eux, on est rentré par le marketing innovation et on s’est rendu compte qu’ils considéreraient souvent les designers comme des artistes et que les « vrais gars » c’étaient les ingénieurs. On a réussi à développer une sorte de culture automobile chez eux. On les a accompagnés dans la transformation de leur processus de développement. Dorénavant, dès les premiers temps de design, on sait intégrer les contraintes technologiques, normatives et industrielles. On a accompagné Zodiac pendant trois ans sur l’intégration de la qualité perçue. De ce fait, on a regardé les autres acteurs et on a aussi accompagné Steria (ndlr : Airbus Atlantique) et Recaro Aircraft Seating. On a également travaillé avec des compagnies aériennes asiatiques sur de la business et de la first class. On a fait à peu près 25 projets en aéronautique avec des compléments industriels, jusqu’aux données bonnes pour production.

Quelles sont vos fonctions exactement ?
R.C. J’ai deux fonctions : je suis directeur du design de Style & Design et président fondateur d’Essensed. Ce dernier rôle est dû au fait qu’en tant que designer, j’engage beaucoup de matières peu vertueuses (composite, etc.) et j’ai du mal à assumer que le designer puisse être déconnecté de la décarbonation. Essensed est une filiale (dont je suis actionnaire) de Style & Design. Opérationnellement, je conduis le développement de l’offre design de Style & Design – huit designers sur un effectif de 160 personnes – et je développe cette filiale (avec deux designers) qui accompagne les moments de création (design, marketing, product management, etc.) sur la compréhension des impacts dans les moments de conception. Il s’agit de sortir des schémas traditionnels pour comprendre pourquoi on fait les choses. Je crois beaucoup en Essensed car je pense nécessaire de réécrire le design en ayant en tête un schéma pour générer un impact positif en matière de décarbonation. On sait d’ailleurs évaluer l’impact carbone d’une forme 3D en direct, en intégrant les matériaux qui seront utilisés ainsi que les processus de fabrication. Notre métier est en train de changer et ne doit pas être seulement entre les mains des spécialistes couleurs et matières. Il faut être durable dans son impact et sa performance.

Quelle la vision de votre métier ?
R.C. Je n’ai pas encore fait le bilan de mon impact environnemental depuis que je conçois des produits : j’avais toujours de bonne raison d’utiliser un plastique. Aujourd’hui, il faut faire différemment et nous avons un champ d’opportunité lorsque l’on prend systématiquement en compte les impacts carbone. Ce n’est pas simple, mais c’est le bon chemin. D’autre part, j’essaie d’avoir une vision pragmatique de mon métier et de le rendre le plus normal possible, c’est-à-dire connecté au reste du monde et compréhensible par tous. Quand on dessine une pièce, elle doit être industrialisable avec un bon impact environnemental. L’intérêt du design consiste en cette manière d’aborder les problématiques en reformulant le problème pour voir le problème derrière le problème. Le designer n’est pas mieux que les autres, il ne peut rien faire tout seul, mais c’est vrai qu’il que sa démarche spécifique lui confère une responsabilité très forte dans l’entreprise : faire de belles choses au service de la performance globale. Pour ce qui me concerne, j’aime transformer les entreprises et transformer la matière. Quand je peux démontrer que l’opérationnel est le bon complément de la stratégie, cela aboutit à des schémas de valeur hyper intéressants.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1278