Dragon Rouge X Tenzing

Mathieu Sakkas, CEO France de Dragon Rouge, et Kazem Tabrizi, associé fondateur de Tenzing, parlent de la coalition de leur deux entités, dénommée Common Initiative.

Mathieu Sakkas, Kazem Tabrizi, pourriez-vous vous présenter et situer vos structures respectives ?
KT. Je suis passionné de mon métier du conseil. Je le dis souvent parce que je n’ai jamais considéré le conseil comme un tremplin vers d’autres fonctions. J’aime être challengé, me trouver dans des situations complexes avec la réelle volonté d’être utile. Je suis d’origine iranienne et j’ai vécu en Iran. Cela me permet de combiner deux approches, l’approche française qui est très attentive à la démarche et aux moyens, et l’approche iranienne qui est particulièrement orientée résultats. Quant à Tenzing, il s’agit d’un cabinet de conseil en stratégie opérationnelle créé en 2016 avec une raison d’être forte qui est de réduire l’inégalité sociale et professionnelle. Nous sommes une sorte d’ovni dans le conseil : on recrute des jeunes qui n’auraient pas accédé pas au conseil naturellement. Tenzing est détenu par une association à but non lucratif. L’ensemble des dividendes est redistribué à des associations. Nous comptons 48 collaborateurs (on espère atteindre les 50 cette année) et avons réalisé en 2022 un chiffre d’affaires de 6,7 millions d’euros.
M.S. Pour ce qui me concerne, après des études de musique et de cuisine, je me suis retrouvé un peu par hasard en agence pour faire de la stratégie de marque. Le branding est génial du point de vue du conseil, avec la construction d’assets pérennes pour l’entreprise. Du fait notamment de ma formation musicale, j’essaie d’être aussi créatif que rigoureux. Je suis sensible à ce qu’a dit Kazem concernant sa double culture, que j’ai aussi, mais du côté grec : les Grecs sont aussi très orientés solution, un peu comme le design ! Dragon Rouge est le dernier gros international indépendant. Nous avons réalisé une marge brute de 30 millions d’euros au niveau mondial, dont 13 millions en France. En matière d’effectifs, nous sommes au total 280 personnes, dont 120 sur Paris. 

Pourquoi avoir donné naissance à la coalition Common Initiative ?
M.S. D’abord, pour se distinguer de ceux qui sont seulement dans le manifeste et l’injonction. Nous voulons mettre autour de la table tous les acteurs en mesure d’opérer la transformation de l’entreprise. Et puis, bien sûr, se rassembler sur une vision commune pour trouver ensemble les moyens de générer plus d’impact pour l’entreprise. Disons que l’on passe du marketing de la marque au marketing de la preuve. Une transformation n’a de sens que si l’on peut démontrer son impact. C’est ce qui nous drive avec Common Initiative. Additionner nos forces et prouver leur impact sur la société. Il faut aussi dire que ce projet est issu de frustrations d’entreprises désemparées par le nombre d’acteurs qui proposent de remettre en question des modèles sans entrer forcément dans une démarche concrète. Un CEO a besoin d’être accompagné sur le comment faire. Le logiciel de pensée doit évoluer et notre ambition est d’y aider. 
K.T. C’est aussi une rencontre de personnes. On a appris à se connaître et à travailler ensemble. Il faut être sûr que les gens avec qui on se lie sont dignes de confiance. C’est le cas.

Pourquoi ce terme de coalition ?
M.S. Pour nous, une coalition est un rassemblement de gens qui se sont authentiquement engagés et travaillent sur des solutions pour aider l’entreprise. Soyez certain que rapidement d’autres acteurs vont rejoindre Common Initiative et que nous allons devenir l’un des grands acteurs de la place. On a tous connu les dégâts des regroupements entre acteurs du design et du conseil, avec une perte de sens. C’est l’inconvénient de la fusion. Dans nos métiers, il faut beaucoup d’engagement et il faut que les entreprises puissent avoir accès à des expertises précises. Quand on va voir nos clients, on ne les pousse pas à aller voir untel ou untel, mais on leur propose un choix. Dans cette optique, on a décidé de ne pas faire de deal d’apporteur d’affaires entre nous, car cela biaise la relation. Philosophiquement, on ne veut pas être trop orienté business. On veut être en mode solution.
K.T. Ce point-là est clé. Quand on va ensemble à des rendez-vous, c’est l’un ou l’autre qui est mis en avant. En enlevant la composante business entre nous, on se concentre sur ce qui est dans l’intérêt du client. Personne ne se substitue à personne. Vous le savez, chez Tenzing on a renoncé à nos dividendes. On veut faire bouger les mentalités sur le sujet. On veut faire du business autrement et notre coalition vise à incarner cela.

Comment voyez-vous les mois à venir ?
M.T. Notre coalition rencontre déjà beaucoup de succès : nous avons un boulevard devant nous. Le marché ne se rend pas compte combien les clients sont désespérés. Ils ont de gros chantiers à gérer avec des injonctions contradictoires permanentes. Ils sont tiraillés sur tous les plans. Avec nous, ils peuvent trouver des solutions vertueuses. Et cela fonctionne.

Que signifie transformer par la marque ?
M.S. Je crois fortement au fait de transformer l’entreprise par la marque. Mais pas celle qui s’arrête juste à des signes graphiques et verbaux. Si derrière le travail sur la marque il y a les bonnes personnes pour faire évoluer l’entreprise, alors c’est très efficace. Quoi de mieux que la marque pour être le réceptacle de l’histoire collective et des valeurs communes ? C’est plus facile d’engager derrière une histoire que derrière des organigrammes. Mais il faut des solutions fortes d’organisation et de changement. Il faut du concret en matière de transformation. 
K.T. On rentre par le prisme qui semble le plus pertinent. Par la marque, cela fonctionne. Par la stratégie, cela marche aussi. Mais ensemble on apporte une approche globale. On a gagné des missions ensemble parce que nous apportons beaucoup plus de valeur que si l’on était venu isolément. 
M.S. Notre coalition est l’alternative la plus crédible aux Big Four du consulting. C’est pour cela que pas mal d’acteurs veulent rejoindre Common Initiative. On refuse du monde, car nous sommes très exigeants. C’est une coalition pour des gens qui ont des convictions solides. Il faut aborder les grands sujets avec notre pouvoir du design qui est énorme pour faire fonctionner les imaginaires de l’époque.

Un message pour terminer ?
K.T. À partir du moment où les entreprises se posent la question de comment se transformer, il y a désormais Common Initiative pour les accompagner.
MS. On pourrait effectivement terminer l’interview là-dessus ! J’ajouterai que le milieu des agences a trop longtemps été individualiste : en période de crise, la coutume était de se replier sur soi, sans logique d’alliance. Il faut désormais se dire que chaque jour nous avons l’occasion de planter les graines du monde que l’on a envie d’avoir. Si nous agissons tous de la sorte, alors on pourra davantage choisir plutôt que subir.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1275