Bernard Moïse et Lan Ting ont fondé E-ART à Hangzhou en Chine, une école qui se décrit comme étant une plateforme sino-française d’enseignement supérieur artistique et de production.
Bernard Moïse, Lan Ting, comment en êtes-vous arrivés à fonder E-ART ?
B.M. Pour rappel, je suis designer diplômé de l’ENSCi, puis j’ai monté mon agence et poursuivant en parallèle un parcours de plasticien – que je développe d’ailleurs beaucoup en ce moment, et notamment en Chine. J’exerce également depuis une vingtaine d’années dans l’enseignement : École Boulle, directeur d’atelier à l’ENSCi ou en montant le Centre Michel Serres avec la communauté HESAM. Tout cela m’a donné le goût de l’enseignement et de l’innovation pédagogique en matière de design. Enfin, je suis directeur pédagogique de Camondo Méditerranée. J’ai rencontré Lan Ting en Chine pour monter E-ART, une école de création pour les Chinois avec une pédagogie française et des enseignants français en résidence, puis en distanciel avec la Covid. Nous sommes une école d’art où les étudiants apprennent le français et les arts français et ont envie pour certains d’entre eux de continuer leurs études en France. Nous sommes un portail bien référencé auprès de toutes les institutions de l’art et du design en Chine : on est reconnu comme étant le bon canal sino-français. On commence également à être bien reconnu par les Français.
L.T. la structure est basée sur Hangzhou. Toutes les équipes administratives sont en Chine et tous les professeurs sont des Français, depuis trois ans en distanciel. Pour ce qui me concerne, j’ai étudié dans une école des beaux-arts en Chine, puis suis venue en France à École supérieure d’art et de design Toulon Provence Méditerranée où j’ai appris le français. Je suis ensuite revenue en Chine, embauchée par l’ambassade de France chez Campus France, structure qui s’occupe de la promotion de l’enseignement français en Chine, où je suis restée six ans. Puis j’ai monté avec des amis une résidence pour y accueillir artistes et designers français. C’est en quelque sorte le début de E-ART.
B.M. Lan Ting est modeste : elle est une véritable experte de l’enseignement français en Chine. Quand on s’est rencontré, on s’est aperçu que nous avions des expertises tout à fait complémentaires : moi en France et Lan en Chine. On s’est rapidement accordé pour construire une sorte d’école que l’on avait voulu intuitivement un peu rêvée, avec une pédagogie assez libre par rapport aux standards habituels. Nous ne sommes ni rattachés à une université ni à un quelconque organisme chinois. On a donc pu imaginer des modèles et des formats originaux d’apprentissage. Cette connaissance du réseau chinois de l’art tant dans les circuits intentionnels, universitaires ou scolaires nous a de fait positionnés comme un portail des institutions françaises en Chine lors de la Covid, du fait de notre compréhension du marché et de la culture chinois de l’art.
L.T. On a aussi trouvé des artistes chinois pouvant être présents lors d’évènements français en Chine : curateurs et artistes. On a donc pu aider Beaubourg, le VIA et d’autres comme La Villette et son projet Micro-Folie qui vise à regrouper toutes les données de musées pour développer des évènements numériques itinérants. Avant la Covid on a organisé beaucoup de conférences pour les universités et écoles d’art chinoises, et également pour E-ART, avec des acteurs français.
B.M. Et puis nous sommes très développés sur les réseaux sociaux. D’autre part, nous avons une structure juridique chinoise, ce qui facilite les choses. Pour résumer, il y a assez peu de Français en Chine qui disposent à la fois de notre expertise et de notre double présence, en Chine et en France.
Comment fonctionne le cursus pédagogique d’E-ART ?
L.T. Notre pédagogie est basée sur des rencontres avec des acteurs français de tous les milieux, ce qui permet d’amener des visions très différentes. Dans cette optique, nous sommes porteurs et facilitateurs d’échanges culturels. D’autre part, nos étudiants choisissent leurs modules en fonction de leurs besoins et envies, en accentuant soit le volet théorique, soit le volet conférence, soit le volet projet. Pour information, nous avons 60 étudiants par an, et si au départ la scolarité s’étalait sur deux ans, nous nous dirigeons dorénavant vers un cursus d’un an. Cela s’explique par le fait que nos étudiants ont pour la plupart déjà effectué une licence ou un master (ndlr : qui durent respectivement quatre et sept ans en Chine). Notre objectif est de privilégier une réflexion approfondie et on sélectionne des étudiants qui ont déjà une bonne base de réflexion et de pratique.
B.M. Il s’agit d’un double enseignement, en langue française portant sur la culture française qui se combine avec la partie workshops, projets et cours théoriques. On peut aussi nous voir comme une prépa pour des gens déjà bien formés qui aspirent en partie à continuer leurs études en France. C’est un format original : un mix entre prépa et école avec cet enseignement de l’art à la française. Tous les enseignements sont en français (avec une traduction via des assistants-coordinateurs pédagogiques).
Un message pour terminer ?
B.M. Dans notre projet d’école d’art française en Chine après trois ans de confinement en Chine, nous pouvons dire que le modèle 100 % distanciel a finalement été très intéressant pour nous. On capitalise sur les acquis et on voit que cela a ouvert des portes : les Chinois utilisent la Covid de façon positive, avec une dynamique qui s’est créée et l’apparition de nouveaux outils. En Chine, il y a une forte demande pour continuer un enseignement à distance. Cela nous permet de développer une forme de plateforme numérique franco-chinoise, et au-delà internationale. Nous sommes dans une réflexion sur ce que pourrait une école d’art aujourd’hui au-delà des schémas connus.
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1268