Le design et Sciences Po

Maxime Marzin, directeur du Centre pour l’entrepreneuriat à Sciences Po, et Corinne Leforestier, responsable pédagogique du master Entrepreneuriat, design et innovation et responsable du tronc commun Data & Digital et Grand Challenges, également à Sciences Po, s’expriment au sujet de leur approche pédagogique du design.

Maxime Marzin et Corinne Leforestier, pourquoi le master Entrepreneuriat, design et innovation ?
M.M. Il est né d’une intuition d’un lien entre la méthodologie des sciences sociales et le design. À partir de là, on a construit une offre qui permet de positionner nos étudiants pour rejoindre des structures d’entreprises de type ONG, start-up, etc. qui ont des besoins en matière de capacités managériales spécifiques pour répondre à des contraintes d’innovation en ayant recours à des profils bien structurés en sciences sociales et en innovation. Nous répondons à des demandes spécifiques de type innovation disruptive, notamment. Voilà le postulat de départ.
C.L. Le vocable design est bien mis en valeur dans ce master avec le nouvel intitulé, mais il était sous-jacent lorsque le master s’appelait Innovation et transformation numérique (ndlr : créé en 2017). L’innovation numérique étant très transversale, il nous paraissait utile d’être plus explicite et spécifique sur le nom, mais aussi pour ce qui concerne le contenu. C’est l’École du management et de l’impact qui héberge le master, avec d’autres masters en spécialisés finance ou RH. Juste une précision : 60 % des diplômés de Sciences Po travaillent en entreprise. 

Comment avez-vous positionné le master Entrepreneuriat, design et innovation ?
M.M. Depuis toujours, Sciences Po traite des sciences sociales portées sur l’action, avec des engagements forts au sein de l’entreprise ou du secteur associatif. En d’autres termes, il y a une grande proximité entre les objectifs et méthodes du design et l’ADN des sciences sociales telles que nous les pratiquons depuis 150 ans. Face à une problématique donnée, un étudiant de Sciences Po interroge le sujet de manière à voir le morceau de société concerné par le produit : il s’agit d’une analyse holistique ou en trois dimensions, contrairement au marketing par exemple. Et c’est bien cela qui fait la différence par rapport à ceux qui viennent du design via les sciences de gestion ou l’ingénierie. Le cas typique est quand vous faites un business case sur un sujet d’innovation. L’étudiant en gestion va regarder le marché, le segment de marché. L’étudiant de Sciences Po va questionner le sujet de société qui va avec. Il y a donc une certaine capacité à mettre les choses en perspective de façon spécifique. On en revient aux sciences sociales portées vers l’action… d’où cette jonction avec le design. L’autre pilier de ce master est l’entrepreneuriat, c’est-à-dire cette capacité à détecter et saisir les opportunités : on équipe les étudiants pour cela. Et puis, on leur apprend à faire avec les moyens du bord. Ce sont ce mindset et cette aptitude qui permettent de bâtir un pont entre sciences humaines et entrepreneuriat : on passe de la réflexion à l’action. Et il ne s’agit pas uniquement de créer des start-up, mais de rejoindre tout type de structures : intégrer un département innovation, stratégie ou directement des unités opérationnelles. Il y a donc eu cette une intuition dont je vous parlais au début de l’interview sur le lien entre sciences sociales et design, mais on a aussi des cas très concrets dont l’une des illustrations est le product management : la capacité de nos diplômés à se mettre entre le savoir-faire technique des concepteurs et les souhaits non exprimés des utilisateurs. La formation Sciences Po est très appréciée par les équipes de product management du fait de sa capacité à appréhender une problématique de façon large et ensuite à discuter avec les équipes de développement. On a donc tout intérêt à faire reconnaitre le master Entrepreneuriat, design et innovation sur cet aspect du product management.
C.L. Pour information, nous avons une vingtaine d’étudiants qui passent chaque année dans ce master. Ce master dure deux ans et comprend deux procédures d’admission : via le collège universitaire ou à partir de l’extérieur via des cursus variés, mais nécessairement de type Bac +3. Quant aux frais de scolarité, ils dépendent des revenus des parents et vont de 0 à 14 000 euros.

Comment faites-vous le lien entre design et management ?
M.M. Le design dispose de compétences de management qui sont de plus en plus reconnues. Cela dit, les étudiants qui se saisissent de cette opportunité de master doivent trouver l’emploi qui leur permet de s’exprimer de façon homogène à l’enseignement reçu. Pour l’instant, le marché peut absorber 20 diplômés par an, mais nous pensons que cette jauge sera progressivement augmentée, car le marché est face à des problématiques inédites et le design est une réponse forte. Notre formation s’adresse à des acteurs qui ont conscience des obligations de ruptures et de compétences spécifiques nécessaires pour les traiter. Cela demande des profils bien particuliers. Très concrètement, si l’on prend le Web3 ou le métavers : personne ne sait vraiment ce que l’on peut faire avec. Nous formons nos étudiants à poser les bonnes questions, à poser les bons diagnostics sur des domaines quasiment non connus ou peu définis. De façon générale, nous insistons sur les trois points cardinaux du design : faisabilité, désirabilité et soutenabilité. C’est très important. Une solution doit être désirable pour celui qui va l’utiliser. Il n’y a pas d’argument d’autorité qui va dire ce qu’il faut faire ou non. Tout passe par l’utilisateur et son envie d’utiliser ou non. Enfin, le lien avec le sujet de l’impact est fort. 

Un message pour terminer ?
M.M. Un étudiant de Sciences Po rencontre plus de praticiens et de professionnels que dans n’importe quelle autre formation. Sur 4 000 enseignants, 3 000 sont des praticiens ou sont enracinés dans la pratique de leur métier. 

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1265