Céline Savoye, directrice de lille–design, fait le point sur l’association ainsi que sur l’étude récemment menée sur le design dans les Hauts-de-France.
Céline Savoye, comment allez-vous ?
C.S. Ça va, mais nous sommes quand même très perturbés, car l’association lille–design est entrée depuis quelques mois dans un processus de liquidation. On aurait pu penser qu’après l’année de célébration du design à Lille et en Métropole, tout irait pour le mieux pour ce qui concerne le déploiement du design. Eh bien non ! Il est vrai que nous avons dû faire face à une vraie problématique budgétaire, avec une trésorerie tendue, sans possibilités de rebondissement. Les années Covid ont été très dures, le Club d’entreprises a beaucoup souffert, le tout avec des subventions en nette diminution depuis 2018. De surcroît, on a terminé un programme européen. Il y a aussi un contexte spécifique avec la Métropole européenne de Lille qui s’interroge sur le type de design qu’elle souhaite porter. Il y a un temps d’arrêt, certainement pour aller plus loin. Un temps de réflexion.
lille–design a néanmoins conduit une intéressante étude récemment. Pouvez-vous nous en parler ?
C.S. Nous sommes très heureux d’avoir pu sortir le designScope. Pour rappel, nous en avions préconisé le principe à l’occasion des Assises du design. Il s’agit d’une photographie très concrète du design en entreprise dans les Hauts-de-France. Nous avons ciblé tout type d’entreprise, pas seulement les grosses ou les petites. Et soyons francs : à la lecture des résultats, on peut être pris de quelques vertiges. En effet, les champs de la connaissance du design en entreprise sont restreints : l’on parle essentiellement de mobilier, un peu de design produit, et surtout de design graphique. Autant dire que le design est utilisé de façon assez basique : graphisme, design interactif. Je dois dire que je ne m’attendais pas à ce point à une connaissance aussi partielle du design. Pourtant, on avait proposé des dispositifs d’aides conséquents dans le cadre des plans de relance. Résultat, tout le monde s’est rué sur le design produit pour redéfinir une gamme de produits et le design graphique n’avait pas été, ou très peu, sollicité. Tout cela paraît finalement assez contradictoire.
Comment s’est déroulée cette étude sur un plan opérationnel ?
C.S. Une fois que l’on a bâti le questionnaire, nous avons confié les opérations à la CCI qui a fait appel à un cabinet pour les contacts téléphoniques. La consigne était de choisir 600 entreprises et donc d’en appeler 6 000. L’échantillonnage était parfaitement représentatif des entreprises de la région. Aucun biais. Je précise qu’il a fallu trouver les financements pour mener cette étude : tout cela a été un travail considérable. L’idée au départ était de réaliser une photo du design tous les cinq ans.
Quels sont les premiers enseignements que vous tirez de l’étude ?
C.S. D’abord, on s’interroge sur des missions comme les nôtres, c’est-à-dire les structures régionales de sensibilisation au design. On en est encore et toujours à devoir expliquer ce qu’est la discipline du design. Ensuite, mon sentiment est qu’il faut faire le design et non plus l’expliquer. Rien ne vaut des exemples, des démonstrations, des cas réussis. Peut-être qu’au détour des années 1980 quelque chose s’est mal passé : le design a été essentiellement assimilé au mobilier. De ce fait, ceux qui ne pratiquent pas le design pensent mobilier. Quant à ceux qui connaissent le design, ils restent majoritairement entre eux. Il n’y a pas de capillarité. Il y a ceux qui font du design et il y a les autres : cela ne se mélange pas. Tout compte fait, c’est peut-être par manque de démonstration que les petites entreprises ne voient du design que le mobilier ou le produit. Vraiment, il faut être plus démonstratif.
Quelle serait pour vous la structure idéale de promotion du design ?
C.S. Il faudrait une structure de promotion du design avec un fort engagement des entreprises qui pratiquent. Les grosses entreprises peuvent donner l’exemple et fédérer ceux qui ne pratiquent pas. On ne peut pas avoir que des experts et des pratiquants. Il faut donc des gens qui ne connaissent pas et que l’on peut accompagner. Durant toutes ces années à lille–design, on a vu des entreprises qui ont sauté le pas et qui ont voulu travailler avec des designers. Il y a aussi un problème de volume de déploiement sur les territoires. Mais pour cela il faut être soutenu. Je note, enfin, que les écoles sont d’excellents véhicules de promotion et déploiement, et qui de surcroît disposent de moyens importants. Les écoles pourraient développer encore davantage des mastères performants. Je pense en particulier à des écoles belges, comme Saint-Luc à Bruxelles, qui dispose d’un excellent département d’innovation sociale.
Comment évolue le design dans les Hauts-de-France, après l’évènement Lille Métropole 2020, Capitale Mondiale du Design ?
C.S. C’est lille–design qui avait concrétisé la candidature. Et puis, il y a eu scission, avec un comité dédié, et lille–design est restée l’association de développement. On a aussi contribué à la programmation. On nous a également confié l’héritage Euradesign, mais cela n’a pas été suivi. Il y a un terreau très fertile dans notre région et notamment en matière de design intégré. Cependant, pour le moment, il n’y a pas vraiment de résonance depuis deux ans maintenant que s’est déroulé l’évènement. Nous sommes plusieurs à attendre qu’une feuille de route soit proposée et mise en œuvre.
Votre vision du design français ?
C.S. Je suis souvent sollicitée par les écoles et j’y vois plein de belles choses, et notamment la façon dont est enseigné le design. Les champs se sont élargis et sont devenus multiples. Nous avons un enseignement très performant. Maintenant, y a-t-il un design français ? C’est une bonne question… à laquelle je n’ai pas de réponse. Tout ce que je sais, c’est que le design français comporte des particularités qui lui sont propres.
Un message pour terminer ?
C.S. On va tout faire pour transmettre les acquis que lille–design a accumulés depuis 12 ans à une structure que nous avons validée, mais nous attendons le feu vert de la Métropole. La question est finalement est de savoir comment la Métropole veut faire du design et comment elle va poursuivre le formidable élan engagé depuis 2018.
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1264