Roman Weil et Tom Formont, co-fondateurs d’Units, font le point sur leur agence de design spécialisée dans les produits et services technologiques, ainsi que Guillaume Le Tarnec, associé.
Roman Weil, Tom Formont et Guillaume Le Tarnec, pourriez-vous vous présenter ?
R.W. Je suis designer et ai co-fondé Units avec Tom, il y a trois ans. J’ai fait l’ENSCi, cursus créateur industriel, avec un parcours centré sur design produit. Mon mémoire de fin d’études portait d’ailleurs sur la représentation technique dans le domaine de la science-fiction. J’ajoute que j’ai également un Master ingénierie effectué à CentraleSupelec.
T.F. J’ai suivi exactement les mêmes études que Roman.
G.L.T. J’ai une formation en politique et en économie avec une Licence en Angleterre et un Master à Sciences Po. J’ai ensuite travaillé dans le conseil chez Brunswick puis comme consultant indépendant et ai glissé ensuite vers des activités plus créatives. C’est dans ce contexte que j’ai rejoint Units.
Parlez-nous de votre agence
T.F. Units se déploie sur trois volets : le design dans les domaines de la santé et de la grande consommation, la recherche dans un but d’expérimentation et, enfin, à ce qui touche à l’expérience, avec la construction de machines qui créent des expériences dans le domaine du retail.
R.W. De façon générale, nous sommes centrés sur la question des technologies, dans un mode itératif. On veut apporter du recul et un questionnement stratégique pour les entreprises. On travaille pas mal avec des entrepreneurs qui ont besoin d’un accompagnement global, et notamment sur comment positionner le design dans leur start-up. Au-delà de la roadmap business ou technologique, on vient apporter la roadmap design.
T.F. À titre d’exemple, on travaille pour Robeauté sur des systèmes de microrobots chirurgicaux. Avec eux on est dans design global et on leur a fait une roadmap design sur plusieurs années. On les accompagne également sur les autres facettes du design – métiers et outils. C’est important pour nous d’être très en amont avec nos clients. On travaille également avec le CEA sur un démonstrateur qui permet de rendre la technologie facilement utilisable. Là, on agit avec des chercheurs, mais la cible est l’utilisateur. On développe aussi une pergola pour une marque française, que l’on voudrait voir fabriquée en France. Dans cette optique, on est en train d’organiser tout l’écosystème industriel. Bref, le design est pour nous est un lieu de ressources pour qu’il puisse s’incarner dans plein de domaines différents.
R.W. En quelque sorte, on est la courroie de transmission entre les aspects business et technologiques d’une part, et design d’autre part. On amène du souffle au projet.
T.F. En matière d’activité, nous sommes aujourd’hui cinq personnes. Nous doublons notre chiffre d’affaires tous les ans et notre objectif est bien sûr de continuer dans cette tendance. Nous avons des modèles de revenus différents selon que nous sommes en accompagnement ou en conception. Ceci étant, l’activité design représente 75 % des revenus, mais nous utilisons beaucoup la synergie entre les différents projets.
Quelles sont vos perspectives ?
T.F. Notre développement passe par l’embauche de profils pluridisciplinaires, car nous sommes dans des terrains où tout est à faire. Du coup, on a pas mal de questionnements sur comment mettre en forme les technologies, et également comment les formaliser dans une approche esthétique.
R.W. Nous œuvrons pas mal dans le design médical, domaine où il y a effectivement beaucoup de formes à inventer. Le care ou encore l’expérience patient sont des données importantes et il y a un travail considérable pour formaliser ce que pourraient être les modèles de soin tant préventifs que curatifs. Il nous faut par ailleurs relier les nouvelles pratiques et les nouvelles théories du soin aux évolutions de la technologie.
Comment voyez-vous évoluer le design ?
R.W. Quand on était à l’école, la recherche revenait en force avec les premières thèses en design qui arrivaient en France. Cela pour dire que c’est important de travailler la théorie du design et pas seulement du design industriel pur et dur. D’autre part, la vision à long terme et les aspects stratégiques liés au design vont s’amplifier, notamment au travers des liens entre recherche et design. Quand je dis recherche, c’est dans la perspective de mieux comprendre les diverses technologies.
T.F. Et quand on a créé l’agence, on s’est demandé comment on pourrait également définir de nouvelles manières de travailler. Agir sur différents champs et sur plusieurs temporalités est important. Les oppositions de disciplines vont à mon avis s’estomper et il y aura certainement des contacts beaucoup plus fréquents entre praticiens et chercheurs.
R.W. Les perspectives business, technologiques et artistiques ont intérêt à converger. L’aspect esthétique, la démarche formelle doivent reprendre de l’importance.
Votre vision du design français ?
R.W. Instinctivement, quand on me parle design français, je pense à tout sauf au design français ! Je vois d’abord la pluralité des pratiques dans le monde, comme le lien qu’il y a entre design et industrie en Allemagne ou en Angleterre, qui nous intéresse beaucoup. La démarche hollandaise, également, avec son approche esthétique particulière. Bref, pour moi, le design français consiste aussi à se nourrir des autres designs. Je ne pense pas que l’on puisse caractériser le design français par une forme en particulier, mais plutôt par un mélange de cultures. Le design critique et spéculatif nous inspire et c’est bien pour cela que nous avons trois pôles d’intervention à l’agence afin de pouvoir rester alertes tant sur les formes historiques qu’émergentes du design.
T.F. Pas mieux ! Dépasser les frontières est déterminant et passer les limites aussi. Donc, le design français consiste à faire une synthèse de tous les designs.
G.L.T. N’ayant pas une formation académique en design, je trouve intéressant de ratisser large. Ce n’est pas de la dispersion, mais une volonté de ne pas se centrer dans un seul domaine ou une seule spécialité.
T.F. Le design français est extrêmement riche, mais pas parfaitement structuré comme peut l’être le design anglais par exemple. On est assez partisan du lâcher-prise. Dans cet esprit, un modèle qui me paraît vertueux est celui mis en place en Suisse par l’ECAL et l’EPFL (ndlr : École cantonale d’art de Lausanne et École polytechnique fédérale de Lausanne) qui consiste à mettre très tôt des designers en contact étroit avec des ingénieurs : c’est une démarche à pousser.
Un message pour terminer ?
T.F. On va relancer notre recherche sur les émotions technologiques. C’est un marqueur de compréhension qui permet de poser pas mal de questions sur les liens entre technologie et corps physique. On est très demandeur pour échanger avec quiconque intéressé par le sujet !
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1259