Nicolas Gaudron, fondateur d’IDSL, nous parle de son parcours et de son activité. Il nous fait également part de ses réflexions.
Nicolas Gaudron, pourriez-vous nous rappeler votre parcours ?
N.G. J’ai fait l’Ensaama où j’ai obtenu un BTS en design industriel, puis je suis parti en Angleterre à la Birmingham City University, section design industriel, et ensuite au Royal College of Art dans la filière Design Products, dirigée Ron Arad. Là, j’ai eu deux tuteurs fameux, Durrell Bishop, notamment connu pour ses travaux sur le design d’interaction, et Anthony Dunne. J’ai été assez frappé lors de ce séjour en Angleterre par la qualité des étudiants. Cela est peut-être dû au principe pédagogique : en France, le système – qui est en train de changer cela dit – est du type Bac +3, Master et Doctorat, tandis qu’en Angleterre on est davantage sur du Bachelor. On étudie, on travaille et on revient faire son Master. De ce fait, on a donc des collègues en Master qui sont hyper intéressants, des gens brillants dans plein de domaines spécifiques. C’est un point fort cette multidisciplinarité avec de nombreux échanges de points de vue. Après mes études, j’ai travaillé chez IDEO à Palo Alto : j’y ai croisé Bill Moggridge, l’un des fondateurs, et Tim Brown qui venait de prendre la direction de la boîte. Je parle d’un IDEO d’il y a 20 ans qui est au top en design produit et en stratégie. C’est-à-dire pas juste du design thinking, mais ce mélange incomparable de compétence et de savoir-faire. Ensuite, je suis passé à l’Inria pour travailler sur l’interaction homme-machine, domaine dirigé par Wendy Mackay et Michel Beaudouin-Lafon. Après cela, j’ai travaillé chez Renault comme designer d’interaction, en particulier sur des problématiques d’écran dans les voitures (GPS). C’était des sujets hautement confidentiels et j’ai créé avec Patrick Lecharpy le département homme-machine amont. Après deux ans chez Renault, j’ai monté IDSL en 2007. En parallèle, j’ai fait un peu d’enseignement, EnsAD, Strate et pendant 10 ans à l’École polytechnique pour accompagner les élèves à réfléchir autrement, à être créatif et entrepreneur. Je suis également intervenu à l’École nationale des ponts et chaussées sur le programme ME310 monté avec Stanford. De façon générale, je crois beaucoup à la créativité itérative. On n’arrive pas avec une feuille blanche : si le processus créatif est accessible pour tout le monde, il y a des méthodes pour être créatif.
Parlez-nous de votre agence et de votre activité
N.G. Ce qui m’intéresse c’est de faire plein de choses dans plein de domaines différents. En ce moment, je suis tout seul, car mon associée, Virginia Cruz, est en train de monter une autre activité, Saiwaland. L’équipe a compté jusqu’à cinq personnes et pour différentes raisons l’idée est désormais d’avoir un réseau d’experts avec qui l’on monte des équipes spécifiques en fonction des projets. L’une des réponses que nous apportons est le prototypage : cela permet de sortir la tête du guidon et de recueillir de bons retours. Je suis marqué par l’école anglo-saxonne où l’on teste beaucoup et systématiquement sur chaque projet. C’est pour cela qu’en 2010 on a souhaité créer notre propre plateforme numérique plutôt que d’utiliser quatre ou cinq logiciels différents. C’est ainsi qu’est née AnDI qui rend la matière numérique aussi facile à travailler que de la pâte à modeler. AnDI est une plateforme que nous commercialisons sous forme de licence. À titre d’exemple, elle est utilisée chez Renault par l’équipe de recherche sensorielle afin de faire travailler ensemble designers et non-designers. Le coût d’usage d’AnDI est très attractif et le prototype coûte très peu cher. Le pouvoir du prototypage est magique, même en termes de visibilité. C’est un outil que redonne de la liberté à la créativité, contrairement à d’autres outils hyper spécialisés. Nos clients historiques sont des gens de la R&D qui interrogent les usages. Puis d’autres clients sont venus du marketing stratégique. Ils veulent pouvoir piloter tous les points de contact et services associés pour figer la vision utilisateur de ce que sera l’entreprise. Dans ce contexte, on a constaté qu’il y avait beaucoup de silos et peu de cohérence et on a beaucoup travaillé cela pour pouvoir infuser de façon tangible l’innovation par ce biais-là. On en revient à cette notion de créativité itérative qui s’établit avec beaucoup de prototypage.
Votre activité a donc évolué ?
N.G. Effectivement, et du fait de mon âge. Mes clients m’ont suivi et au fil du temps ils sont devenus des dirigeants beaucoup plus orientés sur de la visibilité Comex, de process et de management. Du coup, mon activité est toujours sur le projet, mais aussi désormais avec une forte composante méthodologique.
Quelles sont vos perspectives ?
N.G. Je me fais coacher par une économiste : je m’estimais comme un designer éclairé au niveau business et pourtant ce coaching met en évidence que l’on n’est pas du même monde. Et en même temps, cela m’interroge sur ma propre pratique et me permet de revenir à l’essence de ce que je fais. Pour ce qui concerne IDSL, on va rentrer dans un cycle de crise avec des gagnants, mais aussi des boîtes qui ont beaucoup souffert. Il s’agit de les aider à faire mieux avec moins de moyens. On doit rattraper les gagnants de la crise tout en étant beaucoup plus agile. C’est tout l’intérêt de la plateforme AnDI qui permet de faire mieux, plus vite et moins cher. On réfléchit également à l’évolution des pratiques de la formation et de l’accompagnement des dirigeants, avec de la vulgarisation et des stimulateurs pour aider à rebondir et comprendre. Cela passe par la création d’un langage commun qui permet aux gens de discuter ensemble. IDSL aura plusieurs casquettes : intervention sur l’amont stratégique, accompagnement à la création de valeur et au prototypage, construction d’une visibilité optimale par le Comex pour les dirigeants et leurs collaborateurs. Autre sujet, nous travaillons sur l’engagement, qui est un vrai sujet de recrutement et de fidélisation, en développant une méthodologie par le faire, c’est-à-dire en utilisant tous les traceurs du design, finalement.
Comment voyez-vous évoluer le design dans les cinq à 10 ans ?
N.G. Si l’on prend le design thinking, process qui a été créé pour des non-designers, il manque cruellement de la capacité à mettre en forme et à travailler le détail. C’est très difficile de trouver des gens qui prennent du plaisir au détail. Dans cet esprit du designer qui doit tout faire, il y a cette notion fondamentale de la cohérence de la mise en forme et de l’importance de l’esthétique. En 2019, on a été aux États-Unis et on a vu la différence entre les industrial designers et les UX. Il faut retrouver ce que l’on faisait il y a 20 ans : la cohérence de l’ensemble. C’est d’autant plus important, si l’on considère les composantes majeures que sont le développement durable et l’écoconception. Dans un monde de plus en plus complexe, il est nécessaire de disposer des outils permettant une grande plasticité et une grande souplesse pour pouvoir réfléchir en exploitant toutes les ressources de la technologie.
Votre vision du design français ?
N.G. Juste une remarque : quand je suis revenu en France en 2003 on m’a dit « mais ce n’est pas à toi de prototyper » alors que j’avais appris durant mes études que tant qu’une idée n’avait pas été expérimentée on ne peut pas savoir si elle est bonne ou pas. Cela étant, je n’ai pas vraiment de vision du design français, car mon écosystème est plutôt à l’étranger. Mais il y a plein de jeunes qui marchent bien. Et aussi pas mal de rachats d’agences par des boîtes de conseil avec cette problématique culturelle qui fait que cela ne se passe pas toujours comme prévu. Et puis un constat : je donne une semaine par an pour un workshop dans les territoires où il se passe des choses vraiment intéressantes. Le design n’est pas que parisien.
Un message pour terminer ?
N.G. Le design ne doit pas sauver le monde. Je ne souhaite pas que le design prenne le pouvoir, mais qu’il en soit l’un des leviers, avec d’autres.
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1258