Sébastien L’Hoste se présente sur LinkedIn comme Designer Sniper. Nous avons voulu en savoir un peu plus…
Sébastien L’Hoste, pourriez-vous vous présenter ?
S.L.H. Je suis architecte de formation ce qui m’a amené à d’abord travailler en agence parisienne, chez Arte Charpentier, comme maquettiste prototypiste. J’y ai monté la cellule de prototypes : on était vraiment dans le making. En 2005, je suis parti de Paris pour aller en Normandie et j’ai commencé à me pencher sur ce qui se passait sur le web et j’y ai découvert de nouvelles facettes, car c’était le moment du web 2.0. C’était juste le moment où l’on passait d’utilisateur à producteur de contenu et d’interaction, notamment avec les blogs. Sans m’en rendre compte, je suis devenu webdesigner, de façon très autodidacte, en passant par exemple du code à la chefferie de projet pour arriver aujourd’hui à l’UX design et le product design dans le sens de proposer des expériences pour le numérique, mais aussi du design de service.
Vous vous présentez sur LinkedIn comme Designer Sniper. Pourquoi ?
S.L.H. Parce que je trouve que l’on manque d’esprit critique dans le design. C’est utile, me semble-t-il, de pointer du doigt les incohérences et d’essayer d’être juste dans ses propos. Je trouve que dans le design il y a beaucoup d’a priori, beaucoup de choses qui sont dites de façon péremptoire. Je constate à ce propos que le design d’expérience a un peu chamboulé le monde du design : ceux qui se pensaient designers se sont en quelque sorte vus remis à leur place par des UX designers qui ne sont pas issus du monde du design. Admettons quand même que lorsque l’on parle de design, on ne sait pas toujours de quoi on parle : un coup c’est une discipline plutôt portée sur les relations à l’humain, un coup c’est une démarche essentiellement en lien avec les organisations. De ce fait, il y a des incompréhensions entre des gens qui devraient logiquement aller dans le même sens. Même si cette problématique est très franco-française, on la ressent fortement. Je constate d’autre part qu’il y a encore des gens pour qui le design reste uniquement de la conception de produit, sauf qu’aujourd’hui le débat a changé. Le design a plutôt pour but de construire des expériences. Et le design peut aussi s’incarner dans la stratégie. Ces différents niveaux créent des difficultés de communication. Ma vision du design est plutôt humaniste. Ce qui m’agace c’est quand le design est positionné comme une suite de processus ou comme un ensemble de méthodes qu’il suffit de suivre. Actuellement, certains ont même l’idée que le design est une sorte de compétence. Pour moi, le design est plutôt une tournure d’esprit qui s’acquiert à force de pratique. Ce que je trouve par ailleurs intrigant c’est de prendre des positions humanistes en affirmant que le design va changer le monde – et pourquoi pas – et dans le même temps, au quotidien, être toujours plus à fond dans la production et la productivité. C’est pour toutes ces raisons que j’estime qu’il faut un peu de sens critique. Cela dit, on participe tous à cette surproduction qui ne va pas dans le bon sens. Du coup, c’est quoi le paradigme du design à très court terme ? Par exemple, comment peut-on faire pour que l’on soit en mesure de produire sans impact environnemental ? Est-ce qu’il s’agit de non produire, de déproduire, d’écoproduire ? On doit inventer une nouvelle façon de faire du design qui se situe au-delà de rendre la vie plus facile. Il faut rendre la vie plus vivable. Originellement, ce n’est pas le but du design que de faire des gens des assistés. Le design c’est améliorer le monde et l’user centric, dans cette optique, n’est pas vraiment fait pour améliorer le monde. Évidemment, c’est un peu facile de soulever ce genre de débat, et on n’a pas toutes les réponses, mais peut-être que finalement on est tous d’accord avec cette approche. Dans le monde de l’architecture, cela paraît évident, avec des architectes comme Philippe Madec et d’autres acteurs qui recherchent la frugalité. Dans le design ce paradigme se fait attendre, même si l’on entend beaucoup parler d’écoception.
Que pensez-vous de l’IA ?
S.L.H. Je fais beaucoup d’expérimentations, notamment sur Midjourney : en tant qu’architecte j’ai vraiment essayé de voir ce que Midjourney peut produire en matière d’architecture, mais aussi d’interfaces graphiques. Sur ce dernier point, ce n’est pas encore à la hauteur. Pour l’instant, les usages ou l’ergonomie ne sont pas vraiment pris en compte. En revanche, en architecture cela devient utilisable, non pas pour obtenir des plans d’exécution, mais pour générer des esquisses de bâtiments qui sont assez bluffantes, en particulier grâce à des techniques de détournement de l’IA. On peut donner des mots, mais aussi des images en entrée. Par exemple, on soumet une esquisse en 3D d’un bâtiment, assortie de quelques mots clés et on obtient alors des propositions assez étonnantes. Ce qui est très fort c’est que Midjourney est capable de respecter les contraintes qu’on lui donne, gabarit, matériau, faire à la manière de. C’est finalement un mode d’itération qui se rapproche de la démarche du design : remixages successifs avec de nouvelles orientations.
Comment voyez-vous évoluer vos métiers ?
S.L.H. Je vois qu’aujourd’hui le design est en pleine évolution. On est en ce moment de plus en plus à quelque chose qui est de l’ordre de l’organisation design, c’est-à-dire un design découpé selon des compétences bien précises. Autant dire que le design est de plus en plus processé et de moins en moins humain : je ne suis pas sûr que cela va dans le bon sens. Le design vu comme outil de type industriel très segmenté avec chacun qui gère dans son coin sa petite tâche, je ne suis pas vraiment d’accord ! Pourtant, on va de plus en plus vers ça. Typiquement dans les écoles de design digital, ce n’est pas du tout de cette manière ça que le design est enseigné. Il va donc y avoir de plus de décalages entre les attentes des étudiants et ce qui se passe dans la vraie vie. Le design c’est avant tout répondre aux besoins de son époque. On est face à des enjeux environnementaux et sociaux qui doivent être relevés et qui nécessitent de nouveaux modes de conception et de production. Il y a là un défi de taille pour les designers.
Votre vision du design français ?
S.L.H. Je ne sais pas trop quoi dire ! J’ai l’impression que nous sommes un peu en retard par rapport à ce que l’on peut voir ailleurs, comme chez Apple ou Tesla. Je trouve que l’on n’y est pas encore. La part du design dans la stratégie ne me paraît pas assez présente en France, même si je mets de la réserve dans mes propos, car je ne travaille pas avec de grands groupes.
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1256