ROCKLAND : au rythme de l’IA

Clément Derock, qui a créé avec Frédéric Lalande ROCKLAND, groupe d’agences de design et d’écoles de création, a souhaité nous parler de l’IA et des nouveautés chez intuit.lab.

Clément Derock comment allez-vous ?
C.D. Très bien. Comme vous le savez, j’ai repris la direction d’intuit.lab à la suite du départ de Laurent Baley (ndlr : départ pour raisons personnelles) et je me suis d’ailleurs installé dans les locaux de l’école, dans le 15e arrondissement de Paris. Avec Frédéric Lalande, on continue à repositionner l’école : nous étions au départ, en 2001, très axés sur la communication visuelle, même si le cursus global prenait bien en compte les nouvelles technologies. Aujourd’hui, sans faire des streams entiers, on veut pouvoir embrasser toutes les facettes d’un métier, sachant que sur un cycle de cinq ans la technologie peut évoluer très rapidement. Le rôle d’une école n’est donc pas seulement de fournir des talents, mais aussi penser au futur de l’industrie.

Vous semblez vous intéresser de très près à l’IA ?
C.D. Oui et notamment parce que chez Seenk, nous nous situons au croisement de la tech et de la création, avec ce que nous appelons le mixed media. Sans compter que dès 2013 nous avions lancé le Seenk Lab pour travailler sur le potentiel du big data, notamment sur les applis. Parmi les outils de l’IA qui existent sur le marché, je m’intéresse particulièrement à Midjourney, plateforme communautaire lancée au mois de mai dernier. Le principe est simple : on tape du texte et l’outil va chercher parmi les millions d’images qui sont dans le Cloud pour composer une illustration. L’IA pose une grosse question : sachant que tout ce qui relève de l’empirique pourra être piloté par des machines, au bout de combien de temps l’être humain cessera-t-il d’être l’élément déterminant en matière de choix, et donc de décision ? Voilà qui amène une seconde question, celle de la diversité créative. Ce que produit l’IA est assez surprenant, voire époustouflant, d’autant que l’on progresse par itération. Et comme Midjourney est une plateforme ouverte et que de surcroît elle a passé un accord avec Discord en matière de concept-art, évidemment on s’éclate. On voit ce que font les autres. Chacun peut venir reprendre une image pour la retravailler. Bref, au lieu de regarder TikTok, on peut créer des images à volonté. Cela dit, en matière d’éducation, cela pose un problème par rapport à ceux qui font « à la main », car une image via l’IA est générée en moins d’une minute. Mais de mon point de vue, utiliser l’IA ne diminue pas l’importance d’une bonne direction artistique. Même si en tant que pédagogue, il est embarrassant de constater que la machine peut générer du premier coup une image parfaite. Cela dit, c’est à nous d’être exigeants et de ne pas nous contenter de ce que la machine propose. L’être humain doit avoir le dernier mot dans le choix de ce qu’on lui propose.                                                                        …/…

L’IA va-t-elle bouleverser les façons de faire ?
C.D. Toutes les décades contiennent leurs lots d’innovation technologique. On ne peut plus tabler sur des métiers prédéfinis utilisant un logiciel donné. Il est important de monter d’un cran et se donner une vision et d’opter pour une démarche qui permet, quelles que soient les technologies, de pouvoir agir. Comme je le disais, se servir de l’IA n’enlève pas le caractère indispensable de la direction artistique. On ne peut pas aller contre l’IA, mais il faut l’intégrer en priorisant l’intention humaine. En revenant en arrière, je rappelle quand même que la mise en page sous Mac n’a pas remplacé le graphisme ! Et puis si YouTube a développé le média personnel, pour autant les autres médias existent toujours. Enfin, si l’IA est très accessible, l’on parle d’un investissement de quelques dizaines d’euros par mois, et même s’il suscite de nombreuses remises en question, elle ne remplace pas une stratégie. Pour ce qui nous concerne, nous avons cinq orientations métier (ndlr : Visual Com Design, Digital Product Design, Motion & animation Design, Product & services Design et Game art design) et on va sur les secteurs qui ont le plus fort taux d’employabilité. Dans cet esprit on a exclu les secteurs de la mode et l’architecture d’intérieur.

Des nouveautés concernant intuit.lab ?
C.D. Nous avons toujours revendiqué notre côté international. À partir de 2023, nous ouvrons une classe internationale en formation design pour les Masters : les cours de 4e et 5e année seront intégralement dispensés en anglais. Nous ouvrons également un Master en design management, entièrement en anglais.

Un message pour terminer ?
C.D. Rien n’est permanent sauf le changement. Nous, ce que l’on dit chez intuit.lab, c’est « Embrace the change, design it ». Le designer est dans l’hypertransversalité. Il doit savoir transcender les technologies et aller au-delà des chapelles. Sans compter qu’il doit être capable de métisser tout en étant dans la culture ambiante de son époque. Pour moi, la créativité et la direction artistique sont les moteurs du designer. J’y ajoute la notion d’introspection très importante dans le parcours d’un étudiant. Toute école devrait proposer une base d’initiation afin d’aller dans une sorte de quête de soi. On doit donner confiance aux étudiants : qu’ils puissent tirer parti de leur déterminisme et de leurs ressources propres.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1255