Éric Jourdan, directeur de l’École supérieure d’Art et Design de Saint-Étienne (Esadse), nous parle apprentissage, grande nouveauté de l’école.
Éric Jourdan, comment allez-vous ?
E.J. Ça va, malgré le contexte un peu spécial qui nous entoure. Et cela, sans compter la démission de Thierry Mandon, le directeur général de la Cité du design (ndlr : décision qui était prise de longue date et sans aucun lien avec les évènements stéphanois). Tout ceci est un peu déstabilisant. Mais l’école jouit d’un fonctionnement relativement indépendant, encore que nous ne sommes pas épargnés par quelques ricochets. Bref, ce n’est pas si simple !
Qu’en est-il de cette nouveauté qu’est l’apprentissage ?
E.J. Comme vous le savez, nous venons d’ouvrir l’apprentissage. Nous sommes d’ailleurs la première école d’art et design publique à ouvrir une filière apprentissage en matière de design. C’est formidable ! On y a travaillé six mois avec un consultant et on a présenté cela aux étudiants il y a 15 jours : nous avons déjà une quinzaine de candidats en design objet, ainsi que pour la mention design public. Le tout, en alternance avec des institutions – le service urbanisme de la métropole stéphanoise, des villes, des territoires –, et bien sûr des entreprises, dont notamment Fermob, Desjoyaux, Schneider Electric et d’autres de taille plus modeste. Tout cela va s’organiser progressivement, mais on sent vraiment que le départ est positif. J’en profite pour rappeler que l’Esadse rassemble 400 étudiants au total en comptant les cinq années d’école ainsi que l’année de prépa. On sort une soixantaine de diplômés par an, répartis dans toutes les options et mentions.
Pourquoi l’apprentissage ?
E.J. C’est venu en discutant avec des chefs d’entreprise ou des acteurs du design en entreprise pour qui les profils des étudiants des écoles d’art et de design public sont très intéressants. La personnalité ouverte et traversière de nos étudiants est un atout pour l’entreprise, et notamment ce positionnement sur le design d’auteur. On est sans doute moins opérationnels que certaines écoles privées, mais avec d’autres atouts comme une grande ouverture d’esprit. Dans cette optique, l’apprentissage est aussi un moyen de parfaire sa formation de façon très efficiente. L’apprentissage se fait en année diplômante, en 5e année, c’est-à-dire en Master 2. Un étudiant peut donc décider de passer son diplôme de façon classique ou via l’apprentissage. Une sélection en 4e année sera effectuée pour valider les profils adéquats. L’idée est que l’apprentissage permette de poursuivre les acquis du stage effectué en 4e année en entreprise ou en studio de création. On ne veut surtout pas de cursus différents entre l’enseignement traditionnel et l’apprentissage, même si cela est contraignant d’un point pédagogique ou logistique. De toute façon, l’apprentissage n’est pas un mouvement naturel dans les écoles d’art public.
Quelles sont les orientations pédagogiques dans les années à venir ?
E.J. La dimension environnementale, d’ailleurs très clairement dictée par nos étudiants, est très prégnante et cela structure – et structurera toujours davantage – la pédagogie. Cette volonté de préserver notre planète engendre une remise en cause des façons de faire industrielles et de production. On ne va pas plus pouvoir faire du design comme avant. On est dans une période de forte réinvention : on repense les méthodes de fabrication, de distribution, en dehors des circuits traditionnels. On s’est d’ailleurs aperçu que tout ce qui était un peu élitiste est en perte de vitesse dans l’imaginaire des étudiants. Le design doit être enseigné avec l’idée de moyens de production et de diffusion différents, en tenant compte des besoins et contraintes du plus grand nombre. De ce fait, on est beaucoup plus sur du design avec une vision globale et en tenant compte de l’ensemble des composantes, stratégiques, économiques ou industrielles. On a d’ailleurs démarré une collaboration avec emlyon et c’est intéressant. On va bien au-delà du design d’auteur pour se diriger vers du modèle économique. Il en va de notre responsabilité de préparer les étudiants à ces mutations. C’est quelque chose qui nous tient à cœur. C’est l’une de nos missions et nous ne voulons la laisser aux seules écoles privées.
Votre vision du design français ?
E.J. La question qui me vient à l’esprit est d’abord : y a-t-il un design français ? Quand on va voir une expo sur le design français des années 1980, on a un peu la trouille : c’était quand même très différent de ce qui se faisait ailleurs… Le design français est pour beaucoup un design d’auteur qui s’exprime sur du meuble et de l’objet. Mais cela reste des individualités. Il est vrai que le design français est depuis longtemps lié à des personnalités et cela continue. D’ailleurs, il n’y a pas de très grosses agences en France, comme on peut en voir à l’international.
Un message pour terminer ?
E.J. Nos étudiants ont un background culturel unique. Ce qui fait la qualité de nos étudiants en design est qu’ils cohabitent avec de jeunes artistes. C’est ce qui les différencie des autres écoles. Et cela est une richesse pour ceux qui embauchent nos diplômés, car ils ont vraiment des choses à dire et à faire valoir.
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1253