centdegrés : un cap affirmé

Matthieu Rochette-Schneider, directeur général pour la Chine de centdegrés, fait le point sur l’activité de l’agence, et au-delà livre son analyse sur la Chine et certaines de ses tendances.

Matthieu Rochette-Schneider, comment allez-vous ?
M.R.S. Nous avons un certain nombre d’actualités qui devraient vous intéresser. Tout d’abord, il faut noter l’explosion de ce que j’appelle l’eldorado du parfum en Chine, avec tout ce que cela génère pour nos métiers du design. Cet engouement qui remonte à 2020, et que l’on avait d’ailleurs anticipé, est tout à fait phénoménal, tant pour les marques locales qu’internationales. Voilà une industrie où se repoussent les limites de la création, et c’est ce qui est formidable. Ainsi, le Palais impérial (ndlr : qui se trouve au centre de la ville de Beijing, au nord de la porte Tian’anmen, également appelé la Cité interdite pourpre) nous a confié la création de sa collection de parfums. C’est incroyable à deux titres : que le parfum soit choisi comme terrain d’expression et que de surcroît soient choisis des Français pour cette incarnation, même si cela fait 12 ans que centdegrés est installée en Chine. Autre information dont nous sommes très fiers, la marque To Summer que nous avons accompagnée dans son rebranding est la seule marque chinoise à avoir obtenu un Pentaward. C’est bien la preuve que le parfum comme expression culturelle et olfactive est un sujet capital en Chine, et en particulier pour les Français. Encore une autre information : on est en train travailler sur un projet d’une installation d’un nouveau genre, toujours dans le domaine du parfum, dans la région grassoise. Enfin, on vient de créer avec Anne-Sophie Gauvin une structure d’accompagnement destinée à tout type d’entreprise française qui veut s’installer en Chine. Anne-Sophie annoncera tout cela officiellement très prochainement. Je peux juste préciser que cette structure portera le nom de Keyi dont la signification est en quelque sorte le « Yes we can » à la chinoise. Enfin, dernier sujet, on accompagne L’École de design Nantes Atlantique dans un projet très ambitieux en Chine – mais je laisse le soin à Christian Guellerin de s’exprimer sur le sujet !

L’activité chinoise se porte donc bien ?
M.R.S. Oui. Comme je viens de le dire, nous sommes en Chine depuis 12 ans avec cette promesse qui consiste à affirmer que le prochain défi pour les marques chinoises sera de construire, à l’aide des designers, des marques nationales puissantes et attractives, aussi bien pour le marché intérieur qu’international et, notamment, pour tout ce qui concerne les approches olfactives. Pour résumer notre positionnement, je dirais que centdegrés en Chine travaille pour des marques chinoises qui souhaitent conquérir des marchés extérieurs en étant plus désirables. Et puis, désormais, l’activité clairement identifiée avec Keyi, cette structure experte à la disposition des sociétés françaises qui veulent une compréhension forte et profonde de la culture chinoise et du consommateur chinois. En termes de fonctionnement, nous disposons de quatre bureaux en Chine continentale – avec 50 personnes rien qu’à Shanghai – et de deux bureaux en Grande Chine. Outre les collaborations avec des acteurs économiques privés, nous avons de nombreux projets en matière corporate et institutionnelle, ce qui nous permet d’aller encore plus loin dans la démarche d’hybridation créative. C’est encore une ouverture complémentaire. J’en profite pour indiquer combien il est intéressant de voir combien les cultures françaises et chinoises matchent bien : c’est cette combinaison qui donne naissance à des projets passionnants.

Quelques conseils pour travailler en Chine ?
M.R.S. Tout d’abord, pour moi, il n’y a pas de règles établies et c’est à chacun de faire selon sa vision et ses objectifs. Cela étant dit, il y a quand même un code de conduite qu’il convient de respecter. Tout d’abord, il est impératif, s’il l’on veut travailler en Chine et mieux comprendre les Chinois, de profondément s’intéresser à la Chine. Ainsi, au sein d’une organisation, il est nécessaire de disposer d’une équipe qui se consacre à la Chine en étudiant et analysant les données historiques, culturelles, économiques, etc. D’autre part, il est absolument vital de trouver le bon relai local. Il est illusoire de penser que l’on peut commencer à travailler en Chine sans un allié sur place,  celui que j’appelle le « meilleur ami chinois ». Que ce soit dans les domaines de la culture, de la production ou du service, tout est compliqué pour un étranger. Et puis il faut être physiquement en Chine soi-même ou via son équipe. On ne théorise pas la Chine. C’est un pays qui se vit. C’est d’ailleurs la promesse du manifesto de centdegrés : nous sommes des creative activists ! Il faut utiliser la création au service de l’action. La Chine est un terrain de jeu formidable pour cela. Mais n’oubliez pas que c’est aussi un pays où il faut être prêt à en démordre. C’est un pays de braves ! C’est d’ailleurs une qualité que les Chinois reconnaissent aux Français : nous sommes courageux et nous nous battons pour nos valeurs.

Comment concilier business et éthique en Chine ?
M.R.S. Pour ce qui me concerne, les choses sont très claires : ce n’est pas le rôle du designer que de se mettre dans une position de répondre à des problématiques politiques. La fonction du designer est de créer, d’agiter des idées, mais certainement pas d’être un porte-parole politique. On est donc d’abord là pour accompagner un projet, ce qui ne veut pas dire qu’en sous-terrain il n’est pas possible de promouvoir certaines valeurs ! Et je rappelle que les valeurs françaises de culture, de beauté et d’intelligence sont des formidables vecteurs pour faire passer des valeurs humanistes. Après, c’est le choix de chacun. Nous, on a choisi d’avancer en hybridation de cultures et on se sert de la création pour emmener ailleurs. Nous ne revendiquons pas d’orientations politiques.

Un message pour terminer ?
M.R.S. Les deux créateurs de centdegrés, Elie Papiernik et David Nitlich, se sont rencontrés il y a 38 ans en Chine. En toute modestie, j’ai continué ce qu’ils avaient en tête. À notre petite échelle et au sein de notre écosystème, il s’agit de faire passer des valeurs qui nous sont chères. Et encore une fois, le parfum est un domaine fabuleux pour cela : culture ancestrale, dialogues passionnants sur les aspects olfactifs et ensuite les codes du parfum. C’est l’humanité qui s’exprime dans cette quête millénaire : cela éveille et oblige à être ouvert et généreux dans la création.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1251