Nantes : l’île du design

Anne Brochard et Christian Guellerin, respectivement présidente et directeur général de L’École de design Nantes Atlantique, parlent des nouveaux locaux de l’école.

Anne Brochard, vous êtes présidente L’École de design Nantes Atlantique. Pourriez-vous vous présenter ?
A.B. Je suis diplômée de l’Université Catholique de l’Ouest en psychologie sociale et j’exerce en tant que chef d’entreprise avec mon cabinet, L’étincelle RH, spécialisé dans le recrutement et le conseil en ressources humaines. Je suis par ailleurs très engagée dans le territoire et élue de la CCI depuis 2017. C’est d’ailleurs à ce titre que la connexion s’est faite avec l’École de design Nantes Atlantique puisque celle-ci est statutairement rattachée à la CCI. J’ai été nommée présidente de l’école en décembre 2021. Je précise qu’avant cette date, j’avais fait appel à l’école de design dans le cadre de projets longs et également pour de la formation.

L’école est donc depuis trois semaines sur un nouveau site ?
C.G. Oui : nous sommes à un moment clé dans la vie de l’école avec ce lieu unique au cœur de la ville qui se concrétise aujourd’hui et dont la genèse remonte à 2008. Jusqu’à présent, l’école était répartie sur six sites et grâce à une véritable concertation entre l’école, la CCI, la région et la métropole, et également grâce à des financements de l’Union européenne, nous avons pu réaliser le plus gros projet en matière de design depuis la Cité du design. Pour vous donner un ordre d’idée, le budget total s’élève à 29,5 millions d’euros, dont 3,5 millions pour les équipements.

Que va vous apporter d’être dans un lieu unique ? 
C.G. Comme je l’indiquai, nous étions très dispersés et notamment avec les Bachelors d’un côté et les Masters de l’autre. Le fait d’être réunis va nous permettre à tous les étudiants d’entrer en résonance, quels que soient les cursus. Et c’est important, car nous avons une structure pédagogique qui ne peut que bénéficier d’un regroupement : les Bachelors sont dédiés aux arts appliqués – design produit, architecture intérieure, graphisme, interactivité – et les Masters sont plutôt sur la gestion de problématiques stratégiques complexes comme, par exemple la santé, le développement des métropoles ou le vieillissement de la population, le tout autour de design labs. Le fait d’être sur un même site facilite les interactions entre les arts appliqués et les aspects stratégiques ainsi que managériaux du design. D’autre part, cet effet de masse et cette volonté politique commune vont faire que nous serons beaucoup plus visibles en France et à l’international et surtout, c’est notre souhait, identifiés comme un lieu de management de problématiques complexes.
A.B. L’arrivée de l’école au cœur de la ville avec de telles infrastructures est un point déterminant pour que l’entreprise comprenne véritablement l’intérêt du design.
C.G. À un certain niveau, le design ne peut fonctionner que de façon transversale avec d’autres écoles : Audencia, école des Mines, école vétérinaire, Nantes Université. On sera d’ailleurs en proximité géographique avec l’école d’architecture, l’école des beaux-arts et l’université. Deux mots sur l’université : elle nous apporte à la fois la reconnaissance académique qui fait historiquement défaut au design et nous permet des collaborations sur des thématiques de recherche. Nous sommes en quelque sorte une interface d’expérimentation entre la recherche et société civile. Nous voulons d’ailleurs créer davantage d’écosystèmes de type recherche-formation-entreprise. Il reste à faire, mais cela va se renforcer avec ces nouveaux liens et cette nouvelle infrastructure. L’intérêt de ce bâtiment au cœur de la ville est que nous nous situons au carrefour de la société en général. Un signe qui ne trompe pas : depuis trois semaines que nous avons emménagé, beaucoup d’entreprises veulent organiser des évènements chez nous. On en est ravi.

Quels sont les grands enjeux dont doit tenir compte votre pédagogie ?
C.G. Nous travaillons sur deux axes majeurs : l’émergence d’une conscience sociétale pour faire et vendre différemment, notamment en passant du produit au service, et ce que signifie l’être humain dès lors que demain les robots auront des capacités et des performances supérieures aux nôtres. Et là se reposeront les questions d’ordre sémiotique sur l’humain, avec de vrais enjeux sur le rôle du design industriel. Il va falloir en effet appliquer une démarche de design industriel sur l’écosystème des robots : nos travaux doivent en tenir compte. D’autre part, comment va-t-on faire face à un monde en profonde mutation avec les bouleversements sociétaux qui s’ensuivent : autrement dit, comment le design va-t-il aider, voire devancer ces mouvements ?

L’organisation de l’école va-t-elle évoluer ?
C.G. On vient de vivre une grande période Covid avec du tout distanciel. Maintenant, tout le monde a repris en présentiel, mais il faut que l’on se pose la question de savoir ce qui est bon en présentiel et ce qui est bon en distanciel. Du coup, le rôle des professeurs doit être aussi de décider comment mieux accompagner l’étudiant plutôt que d’être dans une relation enseignant-enseigné. Nous disposons d’un département innovation pédagogique, ce qui nous permet de réfléchir à ce que doit être un enseignant. On voit fréquemment  des élèves plus intelligents et plus performants que leurs professeurs : c’est bien le signe qu’il faut accompagner l’étudiant, l’aider à faire plutôt que de lui imposer un simple lien d’apprenant. Nous avons un gros travail à faire sur l’entrepreneuriat. Nous on veut du design doing : les étudiants doivent être entrepreneurs de leurs idées et non plus dépendre des autres. Tous les étudiants ne seront pas chefs d’entreprise, mais il faut qu’ils aillent le plus loin possible dans la réalisation. Il va aussi falloir enseigner la projection professionnelle. Je déplore que les étudiants n’aient pas d’ambition au-delà des 12 mois à venir. Nous avons peu d’exemples d’anciens qui accèdent à des positions stratégiques. Or, un designer doit pouvoir se projeter dans des fonctions stratégiques. C’est déterminant si l’on veut être connu et reconnu. On a une responsabilité là-dessus. Il faut que nous développions une culture de mise en avant de la réussite. Enfin, nous voulons développer nos antennes à l’étranger et dans cette optique, nous ouvrons un studio à Bruxelles en septembre 2023, à la fois pour affirmer notre culture européenne, mais aussi pour être près de l’Union européenne dans le cadre du développement de notre filière design de service.
A.B. Je voudrais souligner combien Christian et son équipe ont effectué un travail remarquable, et notamment en faveur de notre territoire. Je souscris totalement aux propos qui viennent d’être tenus : il faut des esprits agiles avec des facultés d’anticipation. Travailler les carrières des futurs designers est déterminant et la CCI doit être partie prenante de cela. L’enjeu de l’école est de permettre d’infuser le fait que les designers doivent être en responsabilité dans tous les domaines, et notamment la stratégie, le marketing, les processus de transformation, etc.

Quels sont les métiers du design en forte progression ?
C.G. Très clairement le digital et le design de service. Il va également y avoir de profondes évolutions en architecture intérieur avec le BIM (ndlr : Building Information Modeling, autrement dit le bâti immobilier modélisé). Il y a aussi tout ce qui va se rapporter aux changements de modèles économiques des entreprises pour aller vers un monde différent et plus vertueux en matière environnementale. On réfléchit à la création de nouveaux programmes qui prennent en compte les nouvelles technologies – métavers, NFT, etc. – avec prudence, mais détermination.

Le mot de la présidente pour terminer ?
A.B. Ce que je répète à l’envi à chaque chef d’entreprise est que le design n’est pas une option. C’est le levier le plus efficace pour gérer les stratégies de transformation. Avant, on devait identifier ce qui était technologiquement possible et économiquement profitable. Maintenant, on se pose la question du sens et le design est une solution parfaitement indiquée pour y répondre. 

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1250