Les Sismo : care avant tout

Frédéric Lecourt, co-fondateur Les Sismo, nous parle sans détour de son agence.

Frédéric Lecourt, comment allez-vous ?
F.L. 
Ça va beaucoup mieux, mais on est passé par une année très compliquée en 2020 avec la Co- vid-19. C’était la première fois en 25 ans d’activité que l’on a perdu de l’argent. Heureusement que nous sommes de bons gestionnaires avec beaucoup de fonds propres, ce qui nous a permis de passer ce coup dur. Nous avons perdu un tiers de notre chiffre d’affaires, mais avons eu de belles
surprises comme avec le Groupement Les Mousquetaires ou Michelin qui nous ont vraiment soutenus. Les équipes ont vécu douloureusement cette période avec le licenciement de cinq personnes – que nous avons accompagnées et suivies, ce qui est la moindre des choses quand on est dans le care – sur un effectif total de 32 collaborateurs : cela a été une première pour nous, car nous n’avions jamais licencié auparavant. Chez Les Sismo, la moyenne de collaboration est de quatre à cinq ans. Tout cela a été très violent et donc particulièrement difficile à vivre.

Comment se présente l’activité actuellement ?
F.L. 
Nous nous sommes remis en ordre de bataille, en testant de nouvelles choses et de nouveaux dispositifs. Du coup, on a recruté à nouveau, ce qui nous a fait de la peine juste après avoir licencié… On a revu l’onboarding et on a évolué sur certains points en faisant beaucoup plus monter les équipes en responsabilité. Par exemple, de bons profils de juniors sont capables de monter très vite en autonomie. Quand on accompagne de façon bienveillante, les notions de juniorité et de séniorité sont d’abord dans la tête. Je pense à la dernière personne que nous avons recrutée : zéro problème pour animer un workshop et prendre le lead. Ce sont les effets collatéraux positifs des périodes de crise. De façon générale, c’est dans notre ADN de survivre aux crises et de ne pas garder de séquelles ou de l’aigreur. Dans l’entrepreneuriat, il est absolument nécessaire de garder de l’énergie pour avancer.

Comment vous positionnez-vous ?
F.L. 
On est à fond sur le care. On a fait des portes ouvertes en juin pendant lesquelles on a présenté toutes les thématiques qui nous tiennent à cœur au sein de l’agence. En fouillant un peu dans les projets – 1 000 projets environ depuis 25 ans – on voit nettement que le care est dans notre caractère et personnalité avec Antoine (ndlr : Antoine Fenoglio, co-fondateur Les Sismos). C’est un fait sous-jacent dès le départ de l’agence et cela ressort avec des collaborations en profondeur avec des sociétés comme Legrand ou Saint-Gobain, avant 2010. Après, on a formalisé et dé-veloppé et une méthodologie dans les années 2015. Là, on s’est dit que d’ici deux ans, il fallait que l’on soit en mesure de revendiquer 100 % des projets de l’agence avec un impact en termes de care. Bien sûr, on n’a pas mis deux ans, mais aujourd’hui on y est quasiment.

Vous avez une vision bien affirmée de votre activité, semble-t-il ?
F.L. 
On ne peut pas apporter de la valeur d’usage et en même temps scier la branche sur laquelle l’on est assis. Ne faire qu’un packaging recyclable ne va nulle part, et il faudra bien travailler les choses en profondeur. La Covid a accéléré les prises de conscience et les nouvelles façons de faire, mais ce n’est pas un monde d’après. C’est juste une accélération. On a gagné cinq à six ans en un an de crise sévère. Les signaux faibles sont devenus forts, mais cela n’a pas fait pivoter l’ensemble de la société. En 2015, il y a eu aussi eu un phénomène qui nous a irrités : la poussée du design thinking avec des cabinets de conseil qui n’ont pas de designers. Cela va également nulle part. D’ailleurs, on a remporté des marchés-cadres pour accompagner des ministères et on est très clairement dans le contrecoup positif de grands cabinets de conseil qui ont gangréné des institutions publiques.

Quel est votre modèle de fonctionnement ?
F.L. 
Une bonne collaboration avec un client sur un terrain de jeu intéressant peut durer quatre à cinq ans. L’un des critères de réussite, c’est quand le client n’a plus besoin de nous. Nous sommes à l’opposé des cabinets de conseil qui travaillent dans un schéma de dépendance. C’est très valorisant de voir des équipes apprenantes chez nos clients et qui petit à petit n’ont plus besoin de nous. Michelin a cette philosophie : si c’est bon pour nos clients, c’est bon pour nous. D’autre part, on travaille beaucoup sur les nouveaux modèles avec des sujets ou des idées qui n’étaient pas entendables il y a cinq ans, comme définir de nouveaux modèles économiques. L’entreprise a besoin de sens avec un beau projet d’entreprise pour embaucher et susciter l’engagement. Il faut changer les règles du jeu et c’est vraiment un terrain sur lequel on est à l’aise. On a des sujets de design d’organisation et de design stratégique, en définissant qui joue et comment avec des designs d’expérience où l’on élargit l’écosystème où toutes les parties prenantes sont intégrées, y compris le vivant, l’environnement. Et cela en intégrant évidemment le prolongement digital. Nous avions des compétences larges pour traiter toutes ces problématiques, architectes, designers produit, spécialistes du digital, etc. On est capable de partir de l’amont et de remettre les pieds sur terre.

Votre vision du design français ?
F.L. 
En menant une collaboration avec Cynthia Fleury, philosophe, on est en plein dans le design français qui part des Lumières (ndlr : Les Lumières sont un mouvement culturel, philosophique, littéraire et intellectuel qui apparaît dans la seconde moitié du XVIIe siècle) avec cette capacité de réflexion et d’introspection et cette volonté de délivrer avec des choses parfaitement tangibles. Nous, Les Sismo, on fait du design très français.

Un message pour terminer ?
Je suis très optimiste, car, tant dans les domaines du public et du privé, le sujet du design with care, c’est-à-dire regarder les vulnérabilités, regarder l’ensemble des impacts, sans pour autant être dans une méthodologie figée, est très présent. On fait de l’ethnographie, de l’exploration et des entretiens, puis de l’idéation et ensuite des POC – que nous appelons chez nous Proof of Care. On n’a plus trop à batailler aujourd’hui pour faire avancer ces sujets. Tout cela devient presque évident et donc propice à déclencher des projets avec des sujets stratégiques et des livrables très concrets. C’est d’ailleurs l’objet de notre tract chez Gallimard (ndlr : Ce qui ne peut être volé. Charte du Verstohlen) : en creux on voit très bien la posture de l’agence et les lignes que l’on souhaite faire avancer. Tout va vraiment dans le bon sens avec des portes tout à fait entrouvertes. Nous nous battons pour l’honnêteté et l’éthique dans tout ce que l’on peut faire. Les clients sont matures pour aller dans le bon sens. Il y a une demande, mais il y a peut-être un manque d’offres et de savoir-faire. Du coup, c’est encore plus pertinent d’avoir La Commanderie (ndlr:lieu situé à Lavaufranche dans la Creuse) pour faire du design with care. On a repris les workshops là-bas.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1246