Women in Design : parité et diversité

Johanna Rowe Calvi, Anna Dubessy et Laure Guillou, en parallèle de leur activité de designers, s’investissent fortement dans l’association Women in Design dont l’objectif est d’apporter de nouvelles façons de faire dans le design en promouvant parité et diversité.

Johanna Rowe Calvi, Anna Dubessy et Laure Guillou, quels sont vos parcours respectifs ?
J.R.C. Je suis sortie en 2009 de Strate. J’ai ensuite passé sept ans comme UX designer, puis ai rejoint successivement Nissan Europe, Tarkett et Blizzard à des postes de responsabilité dans le design. J’ai lancé il y a deux ans le collectif Women in Design et il y a quelques mois, j’ai également lancé Terr Estre, près de Grenoble, avec comme objectif de monter un tiers lieu de production de 2 000 m² centré sur l’économie circulaire. Il s’agira d’un espace ouvert à tout type de collaboration multi acteurs – services, associations entreprises – dans le but de résoudre des problématiques locales. Ayant gagné un concours pour intégrer l’incubateur HEC, j’ai la chance d’être accompagnée dans cette initiative.
L.G. Je suis designer formée à l’École des beaux-arts de Rennes et à l’ENSCI. J’ai ensuite travaillé en entreprise ainsi qu’en agence : Arter, Janod, etc. En 2022, j’ai créé ma structure sur Rennes, Un Poisson Pilote, spécialisée dans la création de jeux de société, jeux et jouets sur mesure.
A.D. J’ai fait notamment l’IAE Toulouse. J’ai suivi des cours du soir l’École Boulle. J’ai travaillé dans le conseil marketing puis en agences de design : Carré Noir, Team Créatif, Dragon Rouge et Brand Union. En 2016, j’ai lancé Artdenouer, création de nœuds marins en sculptures à porter. Pour développer ma marque, je me suis formée à HEC.

Parlez-nous de Women in Design
J.R.C. Avant de rédiger nos objectifs et missions, on a réalisé des entretiens avec un certain nombre de personnes travaillant dans le secteur du design pour savoir ce qu’elles pouvaient attendre d’une structure comme Women in Design. On a très rapidement vu que tout le monde était d’accord sur le fait que la richesse dans les métiers du design provient de la pluralité et de diversité. Il fallait donc remettre en question le statu quo sur les sujets autour de la parité et travailler sur un regard pluriel. On a bien a senti que le design est potentiellement excluant pour certaines, suivant les formations qu’elles ont suivies ou la posture adoptée. On a voulu partir sur un collectif ouvert et que toute personne qui le souhaitait puisse en faire partie. On s’est retrouvée au sein du collectif avec des profils variés avec des designers, des personnes dans le domaine de la recherche en design, des passionnées et passionnés du design, des étudiantes et étudiants, des responsables communication d’équipes de design. Nous sommes une association féministe pour promouvoir les femmes et les personnes non binaires pour une parité et une pluralité des représentations. Demain, le paysage du design français doit être suffisamment varié pour que quiconque puisse trouver une personne qui lui ressemble ou qui soit assez inspirante pour lui permettre d’avancer. Nous militons pour une diversité des profils, des formations et des approches. On est prioritairement destiné aux femmes et on veut développer la sororité. Cela dit, à terme, le sujet n’est plus le genre mais l’entraide. Nous avons trois grandes missions : informer et sensibiliser, en intervenant par exemple dans les écoles pour sensibiliser sur design et préparer les étudiantes et étudiants sur harcèlement en tout genre ; inspirer et rendre visible via des cycles de conférences autour des rôles modèles ; impulser et connecter avec des programmes de co-développement. Notre valeur forte est l’audace, car c’est comme cela que l’on crée de nouveaux rôles modèles et de nouvelles valeurs. En résumé, nous voulons apporter de nouveaux modèles en promouvant la parité et la diversité dans le design.
L.G. Je suis la plus récente dans cette association que j’ai découverte lorsque Johanna est venue à Rennes. La question du féminisme est importante pour moi, tout comme celle de la représentation. Le déclic a été lorsque j’ai compris l’intérêt de l’écriture inclusive : je me suis rendu compte que quand elle est absente, je ne me sentais pas concernée. Et puis, je me suis posé la question de savoir quelles ont été les femmes ou personnes non binaires que j’avais rencontrées dans ma scolarité, qui pourraient être un possible futur dans une façon de voir le monde. Cette idée de la représentation des femmes est importante pour se projeter. De là, nous avons recueilli une centaine de noms de personnes et on a retenu une cinquantaine de noms.
J.R.C. Nous avons retenu 52 noms pour que chaque semaine de l’année nous puissions mettre en avant une nouvelle personne qui nous parle de son métier, ses combats et ses valeurs. On aura à partir de janvier prochain des tables rondes avec les rôles modèles qui vont débattre, mais aussi mieux se connaître et se fédérer. Pour être totalement transparentes, on avait principalement deux biais lorsque nous avons recueilli ces noms : une présence massive de personnes issues de Strate ou de l’Ensci et également beaucoup d’UX designers qui sont très naturellement présentes sur les réseaux sociaux. On a donc essayé de pondérer ces deux points en contactant d’autres écoles pour venir rajouter un peu plus de diversité de formation ou de provenance géographique. On a par exemple des profils francophones qui ne vivent pas en France et qui sont issus par exemple d’une école de design au Bénin ou encore des Françaises qui sont à l’étranger.
A.D. On veut avoir une vision inclusive du design. Pour la dimension impulser et connecter, se sont montés deux groupes de quatre personnes qui se regroupent une à deux fois par semaine pour créer une dynamique et une entraide, avec des objectifs définis : économiques, création d’entreprise, recherche d’un nouvel emploi, etc.

Ce n’est donc pas du tout une démarche d’opportunité ?
J.R.C. Vraiment pas. D’abord, nous sommes une structure associative et sommes en train de réfléchir pour voir comment accéder au statut d’intérêt général. Évidemment, on ne peut pas dire que l’on ne s’est pas lancé au bon moment, mais cela correspond à une prise de conscience globale et générale. Il y a eu une volonté individuelle qui a eu lieu au même moment de se regrouper pour défendre une cause. Il y a trois ans, on m’a contacté pour des conférences pour défendre le féminisme dans le design et cela ne m’avait pas parlé à l’époque. Le déclic a surtout été d’avoir créé des communautés chez Blizzard parce que j’ai voulu défendre cette cause de la femme dans le design. Cela m’a vraiment interpellé et je me suis rendu compte de cette réalité générale, lorsque l’on est une femme, du harcèlement, du manque de liberté de s’exprimer ou de l’impossibilité d’accéder à certains types de postes à responsabilité. On a déjà une perception de nos métiers du design qui est déjà compliquée en entreprise et si en plus il faut défendre le fait d’être une femme, alors cela devient vraiment très dur. De toute façon, la diversité va au-delà du genre, même si la défense du genre est importante.
A.D. Je suis convaincue, venant du monde des agences et des entreprises, à quel point une nouvelle vision du design est déterminante pour qu’il soit un levier de changement et de performance pour les organisations. On va au-delà de l’égalité de la femme dans l’entreprise pour réaliser que la femme apporte une vraie différence. D’autre part, les entreprises qui s’engagent sur le sujet et promeuvent la différence et la parité attirent des talents exceptionnels. Voilà une évolution positive pour l’ensemble des parties prenantes. C’est pour cela que la diversité des profils est déterminante pour la performance d’une équipe design, et au-delà, pour l’entreprise en général. 

Un message pour terminer ?
J.R.C. Women in Design fonctionne selon un système de gouvernance partagée : pas de présidente ou président. C’est une gestion ouverte et égale. Nous sommes 12 à gérer l’association, néanmoins toute membre de l’association peut participer à n’importe quelle discussion. On a également cette volonté de se connecter à d’autres associations ou collectifs qui veulent faire des choses avec nous et sommes également en discussion avec des associations en lien avec les femmes ou avec le design. On est aussi connecté avec des structures similaires hors de France. Nous ne sommes en concurrence avec personne : plus on sera nombreuses et nombreux, mieux ce sera.
A.D. L’important est d’enrichir nos expériences à tout niveau et dans tout type d’environnement. S’Inspirer et être visibles : les femmes doivent trouver leur bonne place dans les bonnes entreprises. 
L.G. On aime beaucoup les débats mouvants avec l’idée de faire discuter des personnes par rapport à des affirmations tranchées pour aller vers de vrais consensus en demandant à chacune et à chacun d’expliquer sa position. C’est ça le vrai débat, finalement. 

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1247