Sixième Son : les bonnes notes

Michaël Boumendil, le fondateur de Sixième Son, l’un des acteurs majeurs mondiaux du design sonore nous parle de son parcours et de son activité.

Michaël Boumendil, pouvez-vous vous présenter ?
M.B. J’ai commencé la musique à huit ans et la composition à 11 ans. J’ai une formation marketing et branding (EDHEC). J’ai créé Sixième Son à 23 ans. Pour moi, la musique est l’un des langages les plus puissants à la condition de comprendre ce que sont un langage et des sons. La musique doit aider les marques à être plus claires dans leur positionnement, à engager plus d’audience, à transmettre plus de confiance et à mieux maîtriser l’empreinte qu’elles laissent. Au bout de cinq ans, on a construit nos propres outils d’évaluation qui nous aident à progresser en analysant ce qui fonctionne et en permettant d’améliorer ce qui existe. À ce jour, on a créé 480 identités sonores et on a créé de plus 400 marques à travers le monde, pour des entreprises de tous secteurs et de toutes tailles. Notre activité se situe majoritairement en dehors de la France.

Comment se structure Sixième Son ?
M.B. Sixième Son est une agence américano-française : on a les racines de la création française et les leviers de performance des Américains. Au total, nous sommes une cinquantaine de personnes réparties dans huit bureaux dans le monde. Notons cependant que beaucoup des clients qui nous rejoignent viennent de pays où il n’y a pas de bureaux. En France, en particulier, notre marque et notre expertise sont très appréciées et nous sommes reconnus pour savoir créer des identités sonores iconiques, comme l’identité de la SNCF ou de Samsung qui sont des identités mondiales. Disons que nous avons une maîtrise du langage musical pour amplifier le succès de nos clients.

Quelle est votre vision du métier ?
M.B. Ma conviction est que la stratégie sonore des marques concerne toutes les marques, quelles qu’elles soient. Toutes les marques doivent se poser la question de leur identité sonore. D’autant plus aujourd’hui alors que le digital embarque forcément du son. Ceux qui pensent ne pas avoir d’identité sonore en ont forcément une par défaut.  D’autre part, beaucoup de gens parlent de sonic branding : il y a confusion. L’enjeu n’est pas la musique, mais le succès de la marque. C’est un métier à part – la différence est la même qu’entre un artiste peintre et un graphiste spécialisé dans le branding. On ne cherche pas le beau ou l’esthétique, mais à créer un lien spécifique entre une marque et ses publics. L’enjeu est d’avoir le bon système d’identité sonore. Et puis, à l’heure où l’attention, notamment visuelle, est difficile à capter, toutes les solutions sonores ne se valent pas. Certaines, cependant, sont particulièrement performantes, et c’est pour cela que nous avons développé nos propres outils d’évaluation.

Quel est votre positionnement vis-à-vis de vos clients ?
M.B. Ce que l’on trouve formidable c’est de voir comment on peut aider les clients, notamment en croisant nos expériences. Nous sommes dans une position d’observation, avec une très bonne vision de ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas. On sait parfaitement ce que nos clients peuvent s’approprier ou non. De plus, notre expérience internationale et notre équipe très fidèle font que nous disposons d’une expertise rare dans les domaines du son et de la musique et ce sont ces aspects que nous cherchons en permanence à renforcer. Notre développement est fort (20 % par an), mais maîtrisé : c’est gérable et on peut accompagner nos clients comme on le souhaite. On est très attachés à la qualité à la relation avec nos clients et à la qualité de notre travail. Autre chose : nous bénéficions à plein d’être indépendants. On en parle peu très peu, mais on investit beaucoup dans les outils pour faire progresser nos pratiques et nos clients. On investit beaucoup dans les gens, et il faut être indépendants pour le faire comme on le fait. On n’est certainement pas dans une gestion court-termiste des relations humaines. Bref, être indépendants nous permet de dire non quand l’on juge que la demande n’est pas bonne.

Quelles sont les différences de pratique entre la France et les États-Unis ? 
M.B. Il y en a plusieurs, mais disons que les Américains adoptent une approche davantage publicitaire lorsqu’il s’agit d’image de marque. Ils privilégient l’aspect séduisant et aiment donc se concentrer sur le fait de persuader le client d’acheter un produit ou d’utiliser un service. En ce qui concerne l’image de marque sonore, les Américains ont une approche efficace sur le court terme – ils recherchent généralement les gains rapides. Ce n’est pas surprenant étant donné que les Américains ont cette mentalité du « go, go, go ». Les victoires rapides donnent des résultats rapides et, en fin de compte, un impact plus fort. Les Américains recherchent également un équilibre particulier entre qualité et efficacité, ce qui signifie qu’ils veulent voir un impact sur leur marque avant d’investir sur le long terme. Avec cette approche, cependant, leurs solutions ne vieillissent souvent pas bien. En revanche, les Européens s’efforcent de créer de la valeur sur le long terme et sont donc disposés à investir progressivement dans leur marque, même s’ils ne constatent pas d’impact immédiat. Les Européens ne sont pas aussi agiles en matière de branding à court terme, mais ils ont une approche plus globale de l’identité sonore, ce qui peut conduire à des résultats plus solides sur la durée. De plus, les marques américaines se concentrent sur leurs concurrents directs, et c’est pourquoi elles sont efficaces à court terme. Elles se situent dans leur catégorie ou leur industrie spécifique et choisissent d’y dominer. Alors que les clients européens se voient au-delà de la concurrence directe et considèrent comment leur marque influence la société dans son ensemble.

Comment jugez-vous les mouvements de concentration dans le branding ?
M.B. Je ne juge pas la pratique des autres : s’il y a une concentration dans le branding, c’est qu’il y a une raison. Cela dit, l’intégration c’est bien, mais l’indépendance est au-dessus de tout. Notre expertise et notre expérience sont assez uniques et c’est certainement lié au fait que nous sommes indépendants. Précisons que je suis actionnaire majoritaire de Sixième Son et que les autres actionnaires sont les managers. Pour information, nous n’établissons pas un chiffre d’affaires consolidé, mais rien qu’en France Sixième Son génère environ six millions d’euros de chiffre d’affaires.

Votre appréciation du design français ?
M.B. Je trouve que le design français est très inspiré. La pratique du design est un équilibre subtil entre fonctions et émotions. On est dans un monde de transformation et le design français se renouvelle en proposant une vision au monde. Dans nos métiers, on doit intégrer la dimension de la diversité – ce qui pose la question de savoir ce que signifie l’inclusivité dans le design sonore, autrement dit, en quoi on peut aider, par exemple, les acteurs de l’énergie pour accompagner les mutations énergétiques en cours. J’ai confiance dans le design français. Peut-être manque-t-il quelques grands noms du design français – on m’a dit un jour que Boumendil c’est le Starck du son ! En tout cas, le design doit s’incarner par ses réalisations et par ses acteurs.

Quelques mots pour terminer ?
M.B. Aujourd’hui, Sixième Son ce sont environ trois milliards de personnes qui écoutent les sons que nous avons conçus. C’est important que l’on sache pour qui on le fait et pourquoi on le fait. On est à la disposition des gens pour améliorer leur vie, à la fois fonctionnellement et émotionnellement. L’identité de la SNCF change la perception du monde : c’est un visage humain. On a humanisé le transport. Tous ceux qui utilisent la SNCF sont attachés à cette identité sonore, y compris les cheminots. On s’adresse toujours à des gens et c’est comme cela que les idées s’affrontent et que l’on progresse. C’est que j’apprécie dans le contact avec les étudiants, par exemple.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1245