Penninghen : sains principes

Gilles Poplin, directeur de Penninghen, nous en dit plus sur l’école et sa vision de l’enseignement.

Gilles Poplin, pourriez-vous nous rappeler votre parcours ?
G.P. J’ai fait Penninghen entre 1989 et 1995, section art graphique. Ensuite, j’ai rapidement rejoint le domaine de l’habillage audiovisuel, notamment avec Gédéon, entreprise qui faisait rêver à l’époque avec toutes ces chaînes du câble qui explosaient. On était en plein dans l’identité visuelle en mouvement. J’ai beaucoup appris sur ce que devait être une marque et donc sur la compréhension de comment elles s’expriment aujourd’hui. J’ai également fait de la presse magazine, en étant notamment DA du magazine de l’air, et du clip vidéo de façon marginale. Le grand tournant qui m’a ouvert au monde de la création et du design a été de travailler entre 2004 et 2010 sur la convergence des médias au niveau industriel chez NDS Technologie (ndlr : ex Canal+ Technologies). Là, je suis intervenu sur l’expression expérientielle, graphique et même en matière de continuité d’expérience de contenus sur différents supports – télévision, internet et appareils mobile – en dessinant des interfaces et des panels de commandes. Baigné dans un environnement d’ingénieurs, j’ai compris que les marques devenaient des médias. Ce savoir-faire m’a fait revenir vers l’école à un moment où Penninghen se posait des questions sur les évolutions technologiques et notamment la conception graphique dans un environnement très évolutif. Je suis intervenu en tant qu’enseignant en 2011 en parallèle de mon activité pour France 5 et Arte. D’autre part, issu de Penninghen et très marqué par des personnalités comme Peter Knapp et leur vision de la profession, je me suis toujours intéressé à la valorisation des métiers de la création et du design, d’autant plus dans des environnements technologiques où la prouesse technique prend souvent le pas sur le reste. Sans compter cette notion d’interdisciplinarité que je ressens beaucoup lorsque l’on aborde le sujet du design intégré. Bref, très vite je me suis penché sur des aspects pas forcément liés à la formalisation mais aux modes de pensée, à une ouverture à l’acculturation. Nos métiers demandent à la fois de l’empathie et savoir développer nombre de protocoles pour trouver des solutions dont nous ne sommes pas propriétaires. On avait un projet en fin de 3e année : je m’occupais du cours de DA et j’ai décidé que l’on y produirait pas mais qu’on gérerait de la pédagogie, c’est-à-dire du pilotage de projet. Cela m’a amené à développer des réponses pertinentes aux besoins des étudiants. J’ai ausssi fait rentrer beaucoup de numérique. Du coup le directeur, Alain Roulot, m’a proposé de lui succéder. À l’époque, l’institution appartenait à ses fondateurs,  ainsi qu’à Alain Roulot. J’en prends la direction en 2016, après l’acquisition par le groupe Galileo Global Education.

Comment se positionne Penninghen aujourd’hui et quelles sont ses particularités ?
G.P. À partir de 2016, je continue sur ma lancée. Ce qui m’intéresse est de formaliser ce que doit être Penninghen à partir d’une stratégie que j’avais commencé à élaborer intuitivement lorsque j’étais enseignant. Je veux poursuivre le développement de l’école pour la sortir de son statut de belle endormie. Quand je reprends l’école, il y avait 165 étudiants en 1e année pour 300 aujourd’hui. Et nous avons au total 800 élèves dans l’école. Je poursuis tout ce qui m’anime : pouvoir influencer la création et positionner ce savoir-faire comme une véritable expertise. Ayant eu la chance d’embrasser tous les statuts – prestataire, client, associé, producteur, éditeur, chef de projet, consultant, etc. –, j’ai vu la création sous beaucoup d’aspects et je voudrais que mon enseignement soit sans dogme. Quelle que soit la façon dont l’on participe à la création, il y a une utilité. Il n’y a pas de métiers nobles ou plus importants que d’autres dans la création. Je suis très sensible à cette notion de dialogue entre les disciplines et entre les gens. La grande force de l’école est de développer au travers de méthodes basiques – c’est la quantité de travail qui amène à la production – les notions de responsabilité et d’engagement pendant les cinq ans où les élèves sont présents à l’école, pour développer agilité et savoir-faire. Ce n’est pas de la pédagogie noire (ndlr : éducation répressive) mais des principes éprouvés et appliqués systématiquement. On recherche l’autonomie par la création. On développe le plaisir de travailler. On aime ce que l’on fait, ce qui est un luxe. On place l’étudiant au centre du dispositif pédagogique. Le livrable, c’est l’étudiant, ce ne sont pas les programmes ! Il y a eu des changements significatifs en remontant le niveau de la fin du premier cycle et en challengeant les 4e et 5e année. J’ai ouvert l’école à une période de stage plus longue pour que les étudiants soient davantage confrontés à des environnements extérieurs, avec deux stages courts pour qu’ils soient en capacité de négocier les meilleures conditions de travail possibles. On a aussi noué des partenariats avec des marques pour sensibiliser au métier de DA. Et puis quand on est une école, les marques viennent aussi nous voir pour s’interroger sur leurs cibles et on a l’opportunité d’être un bras de levier sur certains questionnements, y compris RH. Il faut bien avoir à l’esprit qu’en matière de design graphique, le plus compliqué n’est pas de faire un beau logo mais de savoir l’implémenter. On a donc aussi voulu ouvrir nos jurys de diplôme avec des personnalités très variées (designers, mais aussi entreprises, clients, etc.). Il est très important de se concentrer sur ce qui est fondamental dans la création, indépendamment de l’époque ou de la conjoncture. Enfin, nous sommes attentifs à ce que le développement personnel soit le plus en phase possible avec le développement professionnel.

Comment voyez-vous évoluer votre contexte pédagogique dans les cinq à 10 ans ?
G.P. Quand je faisais des interfaces et que j’ai constaté que les marques étaient des médias, il m’a paru intéressant de réfléchir au fait que les créatifs soient en mesure d’amener des modèles économiques ou de fonctionnement dans des mondes hyper cadenassés. Par exemple, en élargissant les expériences à d’autres aspects sensoriels. Cela passe par des mécanismes d’internationalisation pour comprendre l’autre. On a ainsi développé un cursus que l’on a appelé Communication qui touche à la marque créative et à la stratégie par le design. Notre maquette de cours balaie les enseignements fondamentaux, jusqu’à des problématiques éthiques, environnementales ou comportementalistes, ces dernières en association avec le Cours Florent (ndlr  : également membre de Galileo Global Education). On va vers une plasticité intellectuelle extrême et il faut pouvoir répondre. Travailler plus avec les ingénieurs et se dire que quand il fait de la création, le créatif doit immédiatement se poser la question de la réalisation. En cela nous sommes différents des écoles de communication qui sont peut-être moins dans cette démarche. Qu’est-ce vraiment une posture créative, là est la question finalement. En matière d’évolution, il faut aussi admettre que l’époque appartient à des générations pour qui la vie et les mouvements sont de plus en plus rapides. Mais c’est toujours la même approche : les jeunes vivent leur époque et c’est à nous de donner le schéma éducatif qui va avec, sachant qu’ils appréhendent parfois – et même souvent – les technologies plus rapidement que nous. L’enjeu est immense car il nous faut garantir l’employabilité à court terme, tout en donnant un maximum d’atouts pour pouvoir évoluer, voire guider les développements.

Votre vision du design français ?
G.P. On a de très grands talents mais avec une industrie qui ne sait pas suffisamment les exploiter. Quand je vois la reconnaissance que la France a à l’étranger du point de vue de la création et quand je vois comment elle est reconnue en France, cela pose question. On a une maîtrise de la conception, de la narration et de la mise en forme qui est exceptionnelle. Je ne sais pas de quoi on est prisonnier. Quand on parle du design, on se projette toujours alors que nos métiers sont autour du faire. Il faut œuvrer sans qu’il n’y ait de chapelle. Sensibiliser à la valorisation. On est là pour faire de la pédagogie. C’est là l’essentiel.

Un message pour terminer ?
G.P. La création c’est vieux comme le monde, c’est pour ça qu’il faut la faire bien. 

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1244