Antoine Fritsch, fondateur de Fritsch+Durisotti, nous fait part de son activité en matière de design produit et de sa vision du métier.
Antoine Fritsch, comment allez-vous ?
A.F. Très bien mais il faut quand même souligner d’entrée de jeu que le design produit est toujours le parent pauvre du design ! On m’avait d’ailleurs dit lorsque j’ai commencé ma carrière que « ce n’est pas avec ça que tu vas gagner ta vie ». J’ai réussi à démentir cette prophétie concernant le métier de designer produit qui est très exigeant et demande de fortes compétences techniques. Il y a pourtant de belles agences de design produit, et de taille imposante, en Europe et dans le monde. Mais pas en France. C’est que les industriels ont du mal à valoriser notre travail, et c’est dommage car le design produit constitue une création de valeur indiscutable. Ceci étant dit, et pour ce qui nous concerne, j’estime que nous sommes bien lotis avec de beaux clients en portefeuille. Mais rien n’est jamais gagné et il faut toujours être dans l’excellence. Et puis, les budgets ne sont pas du tout ceux du branding ou du retail et cela nous limite par conséquent dans notre communication. On a cependant opté de travailler avec une agence de relation presse (ndlr : S2H) qui nous aide à communiquer. Vivien Durisotti effectue également pas mal de communication via les réseaux sociaux. On essaie de jouer la carte de la communication pour davantage se faire connaître.
Parlez-nous un peu de vos projets phares du moment
A.F. On a beaucoup de projets confidentiels avec de belles marques comme, par exemple, Decathlon : beaucoup de choses sur le feu qui vont donner naissance à des propositions innovantes. On a également pas mal de start-up en portefeuille. Pour ce qui concerne les projets qui sont en train de sortir de terre : la future signature des gares gérées par la RATP avec un catalogue de produits qui permettent de construire des équipements comme l’attente voyageur, l’éclairage, les garde-corps ou la signalisation. Le projet RATP s’est déroulé sur cinq ans et voit le jour, notamment à la gare de Vincennes où tous les éléments que l’on a conçus sont mis en place. Il y a également la start-up Morphée qui travaille sur de petits appareils non connectés qui aident à l’endormissement et qui utilisent le principe de la sophrologie, c’est-à-dire la relaxation et la méditation. Leurs produits connaissent un gros succès. Ils sont maintenant une vingtaine de personnes et ils se développent aux États-Unis. On les a accompagnés dans la conception de trois produits et un quatrième est dans les cartons. Cette collaboration est un bel exemple de création de valeur par le design produit : innovation mais aussi poésie. D’ailleurs, on aime beaucoup l’innovation poétique et c’est un terrain où l’on va dès qu’on le peut. Enfin, vient de sortir le dernier modèle d’Iguana Yachts, client que l’on accompagne depuis sa fondation. On est parti d’un brief sommaire d’un bateau qui puisse remonter à terre de façon autonome grâce à un système breveté. Ils fabriquent majoritairement des bateaux amphibies de luxe mais commencent à aller dans le secteur du service. On les a accompagnés tout au long de leur histoire avec une approche design global : produit et branding. On travaille aussi pour Roche Bobois de façon récurrente. Et puis, on réfléchit pas mal à nos espaces de vie privée qui se transforment fortement avec le télétravail. Pour terminer sur le sujet, il y a notre récent siège pour Eurosit conçu à partir d’une coque en plastique.
Vous semblez très attaché à la notion de frugalité ?
A.F. La frugalité est depuis le départ dans nos gènes et nous avons toujours misé sur le produit durable en travaillant sur l’intemporalité et en combattant les effets de mode qui condamnent au changement permanent. Quelques exemples : des vélos en bambou, le projet de lofts panoramiques Ôzento qui consiste en des constructions non intrusives et durables avec un principe de pilotis constitués de pieux vissés dans le sol. De façon générale, la frugalité va certainement devenir la norme. Le mode de vie que l’on a connu n’est plus soutenable et l’on voit bien que les nouvelles générations de designers sont anxieux vis-à-vis du dérèglement climatique et sont donc très attachés à préserver l’environnement. Ce que je remarque c’est qu’il y a une prise de conscience de plus en plus profonde en matière écologique. Le produit est évidemment très concerné et on accompagne nos clients sur la voie pour concevoir, produire, réparer et recycler de façon vertueuse. Nos clients, année après année, sont demandeurs de solutions qui vont dans le bon sens. Tout cela est mené dans un esprit systématique de co-création. On n’impose jamais notre vision mais on fait tout pour que l’environnement soit une préoccupation transversale. Évidemment, avec plus ou moins d’intensité selon la typologie du client, mais c’est quand même une tendance générale.
Vous parliez de la valeur du design produit ?
A.F. D’un client à l’autre, c’est la culture qui fait la différence. Il y a ceux qui perçoivent très bien la création de valeur qui est issue du design produit et à l’inverse d’autres, pas encore assez matures, qui ne voient dans le design produit que la composante esthétique. Avec ces derniers c’est plus dur et ils sont moins sensibles à notre apport. Mais globalement les choses vont dans le bon sens. On ne peut que souhaiter que ces évolutions permettent au design produit de prendre de l’importance, et notamment pour ce qui concerne le travail sur les usages et le respect du vivant.
Quelles sont vos ambitions de développement ?
A.F. L’agence aujourd’hui ce sont sept personnes pour un chiffre d’affaires de 700 000 euros. Je n’ai pas de volonté de croissance externe. On vit notre métier avec passion et il n’est pas du tout certain que grossir nous amène à gagner en qualité de projet et en qualité de vie. Nous sommes à une taille qui nous permet d’être super agiles et on sait travailler pour tout type d’entreprise et tout type de secteur. C’est ce spectre très large qui plait à nos clients, avec la créativité comme dénominateur commun. C’est l’une des richesses de notre studio. Autre particularité que l’on a conservée depuis l’origine : un atelier d’expérimentation conséquent. On n’aurait pas Decathlon comme client si on n’avait pas cette capacité à expérimenter. Je salue d’ailleurs au passage leur vision en matière de design produit. C’est bien de pouvoir maquetter physiquement quand on en a besoin. C’est l’une de nos forces que de savoir matérialiser un produit ou une offre. Je dis offre car, de plus en plus, on intervient auprès de nos clients au-delà du seul design produit. On les conseille sur les apects strtégiques, avec un regard dézoomé. On a même créé un lieu spécifique pour cela : un espace non confidentiel de partage où l’on peut faire de la co-création à la carte et où il est possible de prendre de la hauteur avant d’entrer dans le vif du sujet.
Votre vision du design français ?
A.F. Il y a de très bons acteurs en France dans le domaine du design produit. Le design français est reconnu à l’étranger, me semble-t-il, avec d’excellents designers et de bonnes agences. Cependant, ce design de qualité doit être davantage valorisé du coté client.
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1240