Oliver Rasquinet, directeur associé de Minale Design Strategy, nous fait part de son activité en matière de corporate design et retail design.
Oliver Rasquinet, pourriez-vous présenter Minale Design Strategy ainsi que le rôle que vous y jouez ?
O.R. Minale Design Strategy a été créée par Philippe Rasquinet et Jim Waters en 1981, après des carrières dans des grands groupes anglo-saxons de design. À l’époque, la France était un marché assez peu mature en matière de design et l’approche anglo-saxonne des deux créateurs leur ont permis de développer la stratégie de marque de quantité de banques ou grands groupes. Certaines marques comme La Caisse d’Épargne ou Banque Populaire existent encore aujourd’hui dans un format très proche de la proposition originelle. Pour ce qui me concerne, j’ai rejoint l’agence en 1998, entre deux jobs, et en fait je n’en suis jamais ressorti depuis ce jour-là. Cela fait maintenant 24 ans… J’ai évolué à tous les postes, packaging, corporate, retail, le tout plutôt sur un mode consulting. Gwenaël Hanquet et moi sommes actionnaires à 50/50 de l’agence qui réalise cinq millions d’euros de marge brute avec 40 personnes réparties entre Paris et Bruxelles. Je précise que les directeurs de la création pilotent les projets en transversal sur les deux implantions. L’activité de Minale Design Strategy repose sur quatre pieds : deux spécialités, le corporate design et le retail design et deux types de marchés, locaux avec la France et la Belgique, et l’international. Point important, que je tiens à souligner : nous refusons systématiquement les compétitions non rémunérées. Tout comme la démarche qui consiste à faire des logos « pour voir ».
Quels types de problématiques stratégiques traitez-vous ?
O.R. Notre positionnement n’a pas évolué. On est design strategy, ce que notre nom indique clairement. Le design est au service de la stratégie d’entreprise. C’est ce que l’on fait au quotidien. C’est un positionnement intemporel, l’essence même du design. Nous sommes totalement pluridisciplinaires dans nos spécialités, avec des équipes où se côtoient des intuitifs et des rois de l’informatique et l’on aime travailler avec toutes sortes d’experts, prospectivistes, sociologues ou anthropologues. Ce qui m’intéresse est comment toutes ces réflexions en commun vont être mises au service d’une marque, d’un parcours client, d’une offre. Nos valeurs sont l’audace, la réflexion en dehors de la boîte, le challenge de nos clients, la curiosité de nos collaborateurs. Bref, on aime la disruption et on est très orienté business, à la frontière du consulting et du design. On adore bosser avec des boites de conseil et traduire cela en design créatif et imaginatif. C’est tout cela la design strategy.
Comment voyez-vous évoluer votre secteur d’activité dans les cinq à 10 ans ?
O.R. Commençons par le corporate design. Nous avons créé dans les années 1990 des marques qui sont encore là (Sephora, Crédit Mutuel, etc.). Nous sommes très fiers de cela car notre boulot est de travailler sur des signaux pérennes. D’un autre côté, c’est aussi un rappel que les grandes entreprises n’ont pas investi sur leur image depuis longtemps. Tous les deniers ont été utilisés pour se transformer. Maintenant que cette transformation a été réalisée, ces entreprises veulent le faire savoir, et doivent donc adapter leur image à ce qu’elles sont devenues. On ressent ce mouvement très fortement : les entreprises sont en train de remettre sur la table leur plateforme de marque. Il y a une vraie croyance, contrairement à il y a cinq ans. Notre métier est pris beaucoup plus au sérieux, sauf que tout le marché de la communication a flairé le bon coup et est arrivé ! Ensuite, il y a le retail design avec les centres commerciaux qui sont un gros sujet pour nous. Si pour des raisons réglementaires il y a très peu de centres commerciaux à neuf, l’ensemble des actifs existants va devoir se transformer et améliorer le parcours client pour être compétitif vis-à-vis du e-commerce. Je pense par exemple au Shopping Promenade que nous avons conçu pour Frey qui augure du futur du retail avec de fortes interactions en termes de trafic et de fidélité. Et puis, il y a à faire sur les entrées de ville qui rendent encore la France très moche. Beaucoup de boulot en perspective ! Il y a également les retailers qui pour certains ont vécu la pire période de leur vie (restauration, mode) et au contraire d’autres pour qui cela été la plus belle période de leur histoire (bricolage, alimentation). Cela dit, depuis la crise ukrainienne et la réapparition de l’inflation, une sorte de crainte s’est installée et l’on constate une baisse du panier moyen. C’est justement là que le designer peut aider en apportant un surcroît d’efficacité. Par exemple, on a réinventé la marque Leader Price by Casino. Dans ces périodes de crise, il y a quantité d’opportunités qui se présentent aux designers pour réfléchir et innover. Pour ce qui concerne le secteur des bureaux, où on était peu présent, on s’y intéresse beaucoup car ce sont des lieux à la frontière entre le retail design et le corporate design : on a le savoir-faire. Je pense également aux DNVB (ndlr : Digital Native Vertical Brands, c’est-à-dire des marques qui sont nées sur l’internet) qui ont atteint un plafond de verre avec dans le e-commerce et qui doivent se lancer dans les réseaux physiques pour accroître leur visibilité et notoriété. On a un projet actuellement pour acteur du e-commerce qui est devenu leader européen sur son marché en cinq ans qui ambitionne 300 points de vente physiques car il estime que le retail physique est le développement du futur. On travaille avec des grands distributeurs mais on aime bien les start-up qui nous apportent fraicheur et intensité dans la réflexion : je pense par exemple à Proplink ou ExtraStudent, cette dernière ayant été créée par un entrepreneur de 18 ans et peut-être future licorne. De façon générale, on aime identifier des entrepreneurs jeunes, ou moins jeunes, et travailler avec eux.
Quelles sont vos ambitions de développement ?
O.R. On n’a pas envie de grandir en fait. Notre ambition n’est pas de grossir même si tous les ans l’équipe prend de l’ampleur. Notre choix de ne pas aller dans les compétitions non rémunérées nous coupe d’une partie du marché mais notre volonté est d’abord de bâtir des relations sur le long terme avec nos clients. Notre plus grande fierté c’est la longueur de la relation : Delhaize, Walmart Canada, Monoprix, etc. Et puis notre atout c’est notre équipe, qui n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui – et bien moins forte que demain !
Votre vision du design français ?
O.R. Je suis Belge, né à Londres et vivant en France. Par conséquent, j’ai davantage une vision d’un design continental qu’un design spécifiquement français. Je pense donc plus en termes de design européen car le rapport au design, en tout cas dans nos métiers, est le même partout en Europe.
Un message pour terminer ?
O.R. Je veux tirer mon chapeau aux écoles qui nous confient des designers de mieux en mieux préparés au métier de designer. Les jeunes qui arrivent chez nous, sont très impliqués, travailleurs et adorent ce qu’ils font. Cela va un peu à l’encontre de ce que l’on entend souvent. Les écoles font un super boulot et de ce fait on dispose d’un vivier de designers au top.
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1239