Les confidences d’Olivier Saguez

Olivier Saguez, designer et fondateur de Saguez & Partners, nous confie ses réflexions sur son métier et nous fait part de ses convictions.

Olivier Saguez, comment allez-vous ?
O.S. J’étais à Saint-Étienne tout récemment et je me disais qu’il y avait trois choses essentielles pour ce qui concerne le développement durable : soutenir, discuter et participer. Cela signifie, notamment, aller dans les manifestations et évènements. Et c’est pour cela que les biennales sont utiles, car on peut y voir ce que les autres font. Cela est l’occasion de réfléchir et ensuite d’apporter un soutien actif, c’est-à-dire être dans l’action et trouver des solutions pour améliorer la vie quotidienne des gens : ce sera quoi le shampoing miracle qui s’utilisera comme savon, qu’est-ce qui remplacera la bouteille en plastique ? 

Vous parlez souvent de l’importance de la rencontre entre un créateur et un industriel
O.S. Il y a quantité de problématiques à traiter si l’on veut vivre dans un monde plus durable et cela signifie obligatoirement travailler avec des industriels qui ont les moyens et les outils pour formaliser des solutions concrètes. Le message est clair : sans l’industrie on ne s’en sortira pas. Alors oui, c’est vrai, un projet naît de la rencontre entre un designer et un industriel. De cette rencontre va découler une solution concrète qui sera la combinaison entre un designer qui réfléchit en termes d’usages et un industriel qui agit avec des moyens, ce qui va permettre d’aller d’expériences en expériences. Je suis persuadé, d’une part, que l’on trouve sous la contrainte et que, d’autre part, l’important est de faire partager ses découvertes à d’autres. Par exemple, avec les nouvelles façons de travailler, on a besoin de petites salles visio avec une bonne performance acoustique et une bonne qualité d’air. Du coup, on a trouvé un produit formidable proposé par un fabricant italien, à base de coton recyclé sur une épaisseur de 20 centimètres, qui absorbe tous les sons. Les nouveaux usages appellent des solutions nouvelles, voilà ce qui m’intéresse. Je pense également à nos collaborations avec Ege pour une moquette fabriquée avec des filets de pêche recyclés ou avec CLEN pour des postes de bureau reconfigurables fabriqués en France. Et pour en revenir à la Biennale de Saint-Étienne, où les débats sont passionnants, il faudra ensuite concrétiser en étant capable de recycler toutes sortes de matières et sur une grande échelle. Et là-dessus il y a fort à faire. 

Quels sont vos axes de recherche actuellement ?
O.S. Je ne prétends pas chercher tous azimuts mais sur des points précis : la construction en bois, parce que vivre dans du bois c’est bon pour la santé, bien plus que la pierre. Il n’y a jamais d’humidité dans une maison en bois. Et le bois ça repousse. C’est un matériau intelligent. On a conçu notre propre immeuble, La Manufacture Design, en CLT (ndlr : cross laminated timber ou bois lamellé croisé). On a utilisé le bois sur un hôtel en pleine forêt (ndlr : Hôtel Saguez Lifestyle) et maintenant pour Arboretum qui le plus grand campus de bureaux en bois d’Europe (ndlr : dans le nouvel éco-quartier de Nanterre Université). Ou encore un centre commercial en structure bois près de Paris il y a quelques années, également en CLT. Bref, le fait d’avoir fait plusieurs fois appel au bois, de l’avoir testé dans des configurations différentes, tout cela nous donne une expertise que nous pouvons partager afin d’élargir massivement le recours à ce matériau dans le domaine de la construction. La terre m’intéresse aussi beaucoup, mais je n’ai pas encore fait le tour du bois. Nous, designers, devons nous concentrer sur quelques sujets et on doit en faire profiter les autres. Chacun doit se partager le boulot et faire des échanges en incluant, bien entendu, les industriels. Dans la construction tout va plus vite car il y a une vaste population d’ingénieurs et d’industriels. Le designer nourrit cette population. Il faut ce dialogue. Je suis un spécialiste de l’usage et si j’ai en face de moi des experts industriels qui maîtrisent les matériaux avec lesquels je veux travailler, alors cela donne des résultats étonnants. Je reviens à la moquette Ege dont je parlais tout à l’heure : c’est l’industriel qui avait trouvé le principe d’utilisation des filets de pêches recyclés. Ce que l’on a apporté ce sont les contraintes d’usage : on est parti sur l’image d’une canopée avec un jeu d’ombres et de lumières. Résultat  :  les tâches et les traces de passage ne se voient pas. Et ensuite on a travaillé le fait d’avoir un format carré avec des dégradés. On amène un usage d’exploitation et bien sûr aussi de l’esthétique. 

Vous êtes dans une posture quasi politique, finalement ?
O.S. Je suis militant et je soutiens avec force qu’il faut agir pour le vivant. Mais mon avis est que cela ne marchera pas si l’on combat l’industrie. Il ne faut pas éliminer les industriels mais les accompagner dans une réponse pertinente aux évolutions des usages. On ne tue pas un malade, on le soigne ! Un exemple, les locaux à poubelles sont souvent repoussants. Là il faut des carrelages autonettoyants. Et en même temps il faut recycler plus et mieux. Tout le monde doit s’y mettre, en s’occupant en priorité des cas des problématiques les plus graves et les plus complexes. Avant, le design était davantage un art appliqué à destination de l’industrie pour apporter du beau dans l’utile. Aujourd’hui, on est monté d’un niveau : le design doit être utile à l’homme. Le design doit être une partie de la réponse de comment faire mieux avec moins. De comment être plus frugal. De comment aller à l’essentiel. De comment jouer plus collectif. Je l’ai dit déjà : c’est par la contrainte que l’on trouve des solutions. Le designer n’est pas un créateur comme l’artiste. Le designer est là pour apporter des réponses dans un esprit de simplicité et d’empathie. Considérons que notre planète va mourir et qu’il nous reste 10 ans à vivre, et que, bonne nouvelle, il y a une arche de Noé qui nous attend : est-ce que les designers vont monter à bord ? Autrement dit, nous devons, nous designers, absolument démontrer notre utilité. Et pour cela, nous devons apporter de vraies solutions. Moi, je veux être embarqué là où il faut reconstruire. Il faudra absolument des designers pour reconstruire l’Ukraine, avec tous les autres, docteurs, ingénieurs. Le designer doit en être. On n’est pas là que pour les fleurs et les bonbons. 

C’est fini le design qui se bat pour la consommation ?
O.S. Je suis un pénitent repenti : après avoir beaucoup œuvré pour la société de consommation, j’absous ma faute dans le combat pour le durable ! Le plus beau compliment que l’on puisse me faire c’est de me dire que j’ai fait un design durable qui tient encore le coup 10 ans après. Et puis, je déteste le côté air du temps, la nouveauté systématique, la mode. J’aime l’intemporel, l’actuel. Le designer doit être en tension à partir de là. Il doit réfléchir à comment faire pour ce que l’on bâtit dure le plus longtemps possible. Je veux donner envie aux gens des raisons d’y croire et des raisons d’avancer. Je suis un optimiste actif.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1238