Supper : total hybride

Pierre Désangles, CEO et fondateur associé de Supper, et Florence Garçon, fondatrice associée, nous parlent de leur design firm (à ne pas confondre avec une agence de design !).

Pierre Désangles et Florence Garçon pourriez-vous vous présenter ?
F.G. J’ai un parcours dans le conseil marketing au sein de grandes entreprises françaises, ce qui a été l’occasion de constater comment ces entreprises subissaient la digitalisation. J’ai mené de nombreuses missions d’accompagnement stratégique avec de fortes problématiques liées à l’expérience client, dans des contextes de transformation digitale. Je suis intervenue en France et à l’international, notamment en Chine pendant quatre ans, où j’ai dirigé une société très centrée sur les aspects de l’engagement et du e-commerce, domaines où les Chinois ont démontré un certain savoir-faire ! Avant de participer à la fondation de Supper, j’ai animé diverses practices en lien avec design.
P.D. Je suis également issu du domaine du conseil dont 10 ans comme consultant en planning stratégique dans des groupe de communication, puis ensuite comme dirigeant dans des groupes comme DDB, Dentsu ou Publicis Conseil. J’ai donc pu aborder successivement les enjeux liés en particulier au marketing et à la marque, puis ceux que tout dirigeant doit gérer dans sa structure. 

Parlez-nous de SUPPER et de son positionnement que vous qualifiez d’hybride
P.D. En 2015, lorsque nous décidons avec mes associés de créer Supper, c’est en grande partie sous l’impulsion de dirigeants de sociétés pour lesquelles on travaillait. Ils avaient de nouveaux besoins en termes de conception et de création, tant de produits que de services, c’est-à-dire de solutions qui doivent être innovantes, et en même temps tangibles pour pouvoir être déployées opérationnellement. Nous estimions que les cabinets de conseil étaient dans une approche théorique et les agences de com trop dans le discours. Il manquait une case et c’est la raison pour laquelle nous présentons Supper comme une « design firm » capable d’accompagner de grandes entreprises dans la création de solutions prenant place dans des écosystèmes de plus en plus complexes. Pour y parvenir, l’approche de type human centered design nous paraissait tout à fait adéquate. Nous y avons intégré la pensée systémique et tout cela a constitué un levier efficace pour aider nos clients à faire de leur entreprise des moteurs de transformation de leur écosystème. Je voudrais d’ailleurs revenir sur cette notion de pensée systémique qui est au cœur de notre approche. Vous constaterez que nous ne faisons pas référence au terme design thinking parce qu’il est de plus en plus utilisé par des gens qui ne le maîtrisent pas vraiment. Résultat, cette appellation est devenue galvaudée. Pour ce qui concerne notre business model, notre positionnement est effectivement hybride : à la fois cabinet de conseil, lab d’innovation et agence de communication – sans compter les expertises diverses auxquelles nous faisons appel : anthropologie, ethnologie, etc. Nous croyons fondamentalement à la puissance du design, cependant nous ne nous présentons pas comme une agence design, même si la majorité de nos collaborateurs sont des designers.  Nous co-créons les solutions avec les équipes de nos clients et nous assurons ensuite ce que j’appelle la création de la réalisation. Nous partons d’une approche très business et très stratégique et nous utilisons la méthodologique et les outils du design pour concrétiser.

Avez-vous quelques exemples de projets récents ?
P.D. Quelques cas récents : pour le Groupe SEB, après un gros terrain d’ethno, on a travaillé sur la stratégie des marques Tefal et Moulinex afin intégrer les nouvelles attentes des consommateurs en termes d’expérience et de service. On a fait de la place dans les plateformes de marque et on a co-construit les solutions avec un certain nombre de collaborateurs du Groupe SEB, et notamment sur des items touchant à l’obsolescence programmée et à la recyclabilité. On contribue également à la stratégie RSE du Groupe Pierre Fabre en évaluant leur service d’éco-conception dans le but de donner de la transparence pour que le consommateur puisse comprendre pourquoi une note X ou Y a été obtenue sur tel ou tel produit. On a également conçu le dernier programme d’inclusion économique de Mastercard, en lien avec le Crédit du Nord et Arkéa, évidemment dans le cadre d’une approche de type design systémique. Pour le Groupe Saur, nous avons conçu un programme d’innovation et de service pour les aider dans la transition hydrique, sujet au croisement du big data et de l’environnement. Et puis, nous avons quantité de sujets dans le domaine de la customer experience comme la guest experience du groupe Centers Parcs ou l’acculturation des clients de Volvo au véhicule hybride. De façon générale, on essaie de lâcher les projets le plus tard possible pour pouvoir être présent lors du déploiement. On va aussi très loin dans le contenu des services (écosystèmes digitaux et communication interne) et nous avons développé dans cette optique une practice de narration servicielle. Dernier point : quand nous avons créé Supper, nous étions très orientés business development. Aujourd’hui, nous sommes de plus en plus centrés sur les enjeux sociaux et sociétaux.
F.G. Le fait que les dirigeants que nous avons en face de nous insistent sur l’importance des relations de confiance avec l’ensemble de leurs parties prenantes sur des sujets clés comme le droit à opérer ou la pérennité de leur entreprise est très significatif. L’innovation va clairement sur le terrain des question écologiques et environnementales, ce qui constitue d’autre part un levier pour rétablir ou sauvegarder la confiance en interne et à l’extérieur de l’entreprise. Les logiques d’innovation s’appréhendent de plus en plus sur le long terme. Bien sûr, la difficulté réside dans la mise en œuvre de ces stratégies d’innovation, et c’est bien pour cela que notre approche design systémique est intéressante : elle s’applique sur l’ensemble de la chaîne de valeur et permet de casser les silos. 
P.D. Pour illustrer les propos de Florence, je peux citer ce que nous faisons pour LVMH, en réinventant les relations entre la maison Hennessy et les viticulteurs qui sont propriétaires de leurs parcelles. On a conçu un programme qui prend en compte les besoins et contraintes de chacune des parties prenantes pour engager ensemble la Maison et les viticulteurs vers une transformation durable. C’est une approche globale. Ce sont les interactions qui deviennent la matière première des innovations et qui sont ensuite traduites par le design.

Comment voyez-vous votre marché évoluer dans les cinq à 10 ans ?
F.G. On est quand même dans une période où les problématiques de RSE et d’environnement génèrent une grande agitation, de nombreux investissements avec beaucoup de communication, mais aussi de réelles démarches de fond qui interrogent sur la notion même d’innovation. Par exemple, comment valoriser des assets industriels dans un monde décarboné ? Certainement par une approche plus systémique, plus responsable et plus durable. Nous sommes là pour aider les entreprises à se transformer avec beaucoup d’opérationnalité, avec une chaîne de valeur et un écosystème faciles à appréhender. Ce sont des points clés pour tangibiliser. On constate également que la dimension éthique dans le design va grandissante. Par conséquent, on va poursuivre notre route de conception de solutions pour accompagner la pérennité des entreprises. 

Quelles sont vos ambitions de développement ?
P.D. On ne fait pas du design pour faire de la com ou pour gagner des appels d’offres. Nous sommes totalement indépendants et c’est bien la preuve la preuve de notre implication. Notre marché est en croissance et les enjeux de transformation sont prioritaires aujourd’hui. Nous voulons être un acteur significatif de du marché et notre développement, que nous souhaitons organique, devrait suivre la tendance de ce marché. Pour information, nous sommes 30 personnes actuellement et réalisons un chiffre d’affaires de quatre millions d’euros. 

Un message pour terminer ?
P.D. Ce qui nous relie chez Supper, et qui fait que l’on se bat tous les jours, c’est cette volonté d’aider nos clients à se transformer pour tirer le marché. Notre quotidien peut être proche d’un pilotage de projets tel que l’on peut le voir dans d’autres grosses structures, mais nous, on est sur un autre terrain que l’IT ! On a des méthodes de consulting mais jamais on ne se présentera comme une boîte de consulting. C’est comme la com : on ne peut pas tout régler par la com. C’est par la preuve que les choses marchent. Et là, le design est ultra performant, loin devant le consulting et la com. 

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1241