Petite Friture : design croustillant

Amélie du Passage, fondatrice, présidente et directrice artistique de Petite Friture, éditeur de design contemporain, nous parle de son activité et de ses liens avec le design.

Amélie du Passage, quel est votre parcours ?
A.D.P. 
Je suis diplômée d’HEC et mes premières expériences l’ont été dans le monde culturel puisque j’ai démarré ma carrière en écrivant des discours pour Jean-Jacques Aillagon, à l’époque ministre de la Culture. Puis, j’ai travaillé à la Réunion des Musées Nationaux à la direction commerciale et marketing. Ensuite, j’ai rejoint la FIAC comme secrétaire générale pendant la période ou l’évènement redorait son blason et réintégrait la Cour carré du Louvre et le Grand Palais. Ce fut pour moi un grand moment car j’avais mis un pied dans le design moderne et contemporain, alors que j’avais une culture plutôt orientée Art déco. J’ai créé Petite Friture en 2009, à un moment où il y avait une réelle émulsion créative mais assez peu représentée sur le marché pour une raison que je ne m’expliquais pas. Mon but était de m’adresser à un plus large public avec de la production industrielle d’auteur, guidée par une idée assez claire des designers avec qui je voulais travailler.

Quelle est la philosophie de Petite Friture ?
A.D.P. 
Notre ambition est d’identifier les intemporels de demain, les produits qui vont faire mouche et qui vont durer. Pour cela, nous recherchons les talents et confrontons leurs créations aux contraintes techniques et économiques. Notre rôle est d’effectuer les arbitrages nécessaires, main dans la main avec l’auteur, pour arriver sur le marché dans de bonnes conditions, c’est-à-dire en s’assurant que la valeur perçue par le client est bonne. Puis, nous accompagnons le produit jusqu’au point de vente et assurons la communication. Notre production pour une pièce donnée va de quelques centaines à des dizaines de milliers d’exemplaires. Concernant notre politique tarifaire, si l’on prend un luminaire, cela va de 195 euros (Quasar) jusqu’à un chandelier proposé à 13000 euros (Unseen). Le point milieu sesitueentre500et1000euros.Nous disposons aujourd’hui d’une distribu- tion internationale avec 60 % du chiffre d’affaires réalisé hors de France. Petite Friture est une SAS d’une quarantaine de salariés, ce qui signifie que nous commençons à avoir une taille significative et à être bien structuré. On est rentable et on y tient beaucoup car nous sommes en autofinancement et cherchons chaque année à assurer notre croissance dans de bonnes conditions.

Quel est votre mode de relation avec les designers ?
A.D.P. Nous versons des royalties sur le chiffre d’affaires réalisé, sachant que le taux est le même quel que soit le designer – connu ou non – sauf les premiers avec qui j’ai signé. Je tiens beaucoup à cette égalité de rémunération. Notre pourcentage se situe dans un juste milieu dans un marché où les taux les plus bas sont de 3 % et peuvent monter jusqu’à 12 %. D’autre part, nous n’intégrons pas dans la rémunération, comme le font certains, la baisse des coûts de revient en fonction des volumes. Pour ce qui nous concerne, quand un produit ne marche pas on perd tous les investissements réalisés et le designer perd sa rémunération. Mais quand ça marche, c’est formidable. Notre philosophie est d’instaurer un partenariat gagnant-gagnant en soutenant fortement le produit grâce à la communication, l’optimisation de la diffusion, l’implication du designer dans les actions de visibilité et la défense de la propriété intellectuelle. C’est une mobilisation de tous les instants.

Votre ambition dans les 10 ans à venir ?
A.D.P. 
On a un mode de fonctionnement qui doit nous permettre d’obtenir une croissance intéressante. Sur notre marché il y a des questions de taille critique et je souhaite accompagner Petite Friture jusqu’à cette taille critique. Il y a beaucoup de territoires où nous ne sommes pas encore. On a donc des espaces de croissance devant nous et notre idée est de doubler en taille dans les années qui viennent. En matière de développement, il y a deux mouvements que nous devons prendre en compte : d’abord, nous devons absolument nous engager davantage sur les questions de durabilité et ne pas nous situer dans une course au renouvellement permanent. Il faut amener au marché des réponses justes, durables et respectueuses de l’environnement. La circularité est un processus sur lequel nous devons progresser. Nous devons capter l’enjeu de la seconde main : reconditionnement, recyclage. Et il faut adresser ces sujets très vite ! On a un service de réparation mais nous devons l’étendre à tout le catalogue. L’autre sujet est la part du digital et le rôle du metaverse. Je n’ai pas les réponses mais il y a un bruissement sur le sujet. Il y a beaucoup de fils à tirer : comment représenter mon intérieur de façon virtuelle et in fine vendre des produits physiques ? Doit-on aller sur de l’édition virtuelle ? Tout cela mérite réflexion. C’est difficile d’avoir une lecture précise à date mais inévitablement ces deux mouvements auront une incidence sur notre activité. On est donc attentifs sans pour autant avoir déterminé un plan de vol précis. Cela dit, le virtuel est déjà d’une grande aide tant dans la rationalisation de la production que pour le client final. Enfin, il y a des dérives que nous n’ap- prouvons pas. Par exemple, l’on ne peut se satisfaire de la consommation invraisemblable d’énergie que nécessite la blockchain.

Comment voyez-vous évoluer le design français ?
A.D.P. Le design français est un design hyper intéressant qui dispose de plusieurs atouts : des écoles nombreuses avec chacune leurs caractéristiques et spécialités et qui du coup garantissent des profils d’élèves non formatés. Dans le monde, il y a des écoles comme l’Écal en Suisse qui a une patte très reconnaissante et à l’opposé des écoles comme la Design Academy Eindhoven avec une très grande liberté d’expression. En France, on se situe entre les deux avec une bonne maîtrise métier alliée à une grande agilité pour la recherche. Pour moi, il n’y a pas un design français car celui-ci est extrêmement riche et divers. Ce n’est pas facile à appréhender mais cette richesse est un avantage. Le design français existe grâce à des designers qui ont ancré leur nom et tracé leur sillon et des entreprises qui ont intégré le design de façon intelligente et qui défendent leur vision spécifique du design français.

Un message pour terminer ?
A.D.P. 
Chez Petite Friture on parle beaucoup de « Libre garde » : croire en ses convictions, en ses intuitions et avoir de l’audace. Ce sont des postures très importantes pour les designers confrontés à des problématiques de plus en plus complexes. Et comme nous sommes envahis par des réseaux sociaux qui ont tendance à tout formater, cette notion de Libre garde est déterminante.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1234