Isabelle Le Saux nous parle d’AREP, agence d’architecture et de design, filiale de la SNCF.
Isabelle Le Saux, pourriez-vous vous présenter et présenter AREP Design ?
I.L.S. Je suis arrivée dans le secteur du design après un bac scientifique et un diplôme de l’École Boulle. J’ai commencé en agence puis en free-lance, et très vite j’ai eu SNCF comme client direct et suis tombée sous le charme des gares, compte tenu de l’intérêt du sujet. Par la suite, on m’a proposé de rejoindre la SNCF à la Direction de l’architecture où se trouvaient des équipes d’architectes et d’ingénieurs, dans un contexte où le design était essentiellement vu sous l’angle du mobilier et des équipements. Cette Direction de l’architecture est par la suite devenue AREP, filiale de la SNCF, avec sept grands métiers : Architecture, Territoires, Design, Ingénierie, Environnement et numérique, Management de projet AMO et, enfin, Conseil et programmation. Le design chez AREP ce sont quatre studios qui couvrent les domaines du design industriel, de l’architecture intérieur, du graphisme et de la signalétique et de l’innovation avec un Lab qui nous permet d’explorer de nouvelles méthodes en lien avec les nouveaux usages et besoins grâce à des outils de type workshops, POC, mises en situation ou recherches de fond. Ce Lab est un bon levier pour investiguer aspects écologiques et environnementaux, et pour être mieux être en phase avec des façons de vives qui changent ou doivent changer. Dans cette optique, le design permet de travailler de sorte à faire évoluer des modèles qui ne sont plus soutenables d’un point de vue énergétique ou écologique.
En quoi consiste le design chez AREP et quels sont vos objectifs ?
I.L.S. Je dirige une équipe d’une quarantaine de personnes. Comme toute agence d’architecture et de design, nous répondons à de nombreux appels d’offres. Par exemple, nous travaillons en ce moment sur le nouveau TGV de la SNCF ou sur des sujets d’aménagement intérieur et d’espaces urbains pour des clients comme CFL (ndlr : Société nationale des chemins de fer luxembourgeois), Tisséo à Toulouse, CFF (ndlr : Chemins de fer fédéraux suisses ou encore SOLIDEO (ndlr : Société de livraison des ouvrages olympique) sur du mobilier. Nous sommes très attachés à cette idée de pluridisciplinarité et de combinaison des savoir-faire : designers, ingénieurs, experts flux, urbanistes. Depuis longtemps j’ai cette conviction que la méthode et les outils du design sont une bonne façon de qualifier une certaine forme de douceur et sensibilité dans des espaces un peu rugueux pour certains, et en tout cas très contraints du fait de leur complexité technique. Donner du sens, faciliter l’usage, permettre une réappropriation, créer du lien, faire du transport un moment agréable est l’une de nos grandes motivations, en tenant compte de profils de publics très divers (publics fragiles, touristes, habitués, etc.) pour à chaque fois amener de la facilité et de l’attention. Ensuite, le design, comme je l’ai dit tout à l’heure, est un levier intéressant pour réfléchir à des modèles alternatifs, soutenables et cependant désirables. Par exemple, quand on travaille sur le design de service, on priorise le fait de trouver des justes réponses et pas nécessairement les solutions les plus high-tech. Je suis même assez partisane du low-tech et pas du tout convaincue d’aller vers une surabondance technologique quand cela n’est pas nécessaire. Nous préférons travailler sur les réponses qui nous paraissent les plus justes en fonction des expressions de besoins. Ainsi, plutôt que de mettre des écrans partout, l’on peut opter pour des solutions mécaniques simples et qui sont d’ailleurs souvent plus visibles qu’un écran. Quand les besoins sont bien scénarisés, on arrive à simplifier une certaine forme de complexité et donc proposer des réponses à la fois plus simples et plus efficaces. D’autre part, on pousse au maximum au réemploi, comme récemment les poubelles qui sont passées du bi au tri-flux, pour lesquelles 80 % des composants ont été conservés. Cette façon de faire change les process et les règles d’usage mais cela vaut vraiment le coup. Autre exemple, on conçoit du mobilier en réutilisant le bois de SNCF Réseau ou encore un béton écologique, qui vient se situer entre le réemploi et le recyclage, en collaboration avec Marbre d’ici qui utilise des gravats de proximité avec un liant provenant de déchets d’aciéries. Nous sommes aussi très attentifs, avec notre démarche spécifique EMC2B (ndlr : conception et analyse des projets dans le but qu’ils apportent des réponses opérationnelles aux enjeux environnementaux : énergie, matière, carbone, climat et biodiversité), à mesurer l’énergie consommée pour la conception, construction et exploitation d’un projet, prioriser les matériaux biosourcés ou réutilisés, évaluer le coût carbone de l’ensemble d’une opération ou œuvrer pour le climat avec des mobiliers qui explorent toutes les question de bulles de confort dans l’espace public, de la façon la plus passive possible en fonction des variations de température.
Vous êtes donc très portée sur les usages, le tout dans une démarche vertueuse ?
I.L.S. Oui : la question d’intensifier les usages dans un espace existant est très importante. Nous nous occupons beaucoup de réhabilitation et cela nous va bien : par exemple, comment utiliser un bâtiment ancien ou patrimonial en le remettant dans les usages d’aujourd’hui de façon à ce qu’il corresponde aux différents temps de vie, voilà une réflexion qui me paraît déterminante sur un plan écologique. Autrement dit, bien utiliser ce qui existe plutôt que construire à nouveau. Il y a aussi la question du handicap, et notamment pour ce qui touche à la lisibilité ou à l’accessibilité. Enfin, et à titre d’exemple, nous travaillons en ce moment sur des stations de mobilité du futur en nous appuyant sur deux types de problématiques, l’une périurbaine et l’autre rurale. Pour cette dernière, nous avons demandé à des étudiants de l’Ensci de venir s’intégrer pour un temps à nos équipes afin de réfléchir à des modèles de mobilité partagée dans des zones où seuls les véhicules motorisés sont aujourd’hui utilisés pour les déplacements locaux.
Votre vision du design français ?
I.L.S. Je trouve dommage que la communication autour du design français porte essentiellement sur du mobilier ou du design d’auteur et soit si peu orientée sur le design tel qu’il se pratique au sein des grands groupes – je parle bien sûr du design intégré. Le design devrait être beaucoup plus intégré dans les entreprises du fait de sa capacité à contribuer à façonner de meilleurs produits et services. Nous sommes en retard sur ce sujet en France où, par ailleurs, le designer star est bien trop valorisé.■
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1229