Design : le nouveau management ?

Christian Guellerin, directeur général de L’École de design Nantes Atlantique, nous fait part de ses réflexions sur le design en général et son enseignement en particulier.

Christian Guellerin, comment allez-vous ?
G.C. On a souffert de la Covid : depuis deux ans on a fait et refait les programmes à la faveur des directives du ministère, en alternant présentiel et distanciel, voire en combinant les deux. Au bout du compte, on a perdu peu d’étudiants et on a assez bien géré l’affaire avec à la fois une bonne solidarité du corps professoral et une bonne compréhension de la part des étudiants. Avec le recul, je peux dire que l’on s’en est bien sorti. De toute façon, on fera le bilan dans les mois à venir de savoir ce que l’on garde en présentiel car le prisme a changé : la problématique n’est plus désormais de savoir ce que l’on peut faire en distanciel, mais l’inverse. Je suis un militant du présentiel et du lien social mais je dois aller avec l’air du temps. Pour ce qui concerne la relation entre la pédagogie, l’administration et les étudiants, on se pose beaucoup de questions, notamment sur leurs interactions, les contrats de travail, l’articulation entre ceux qui n’ont pas d’autre choix que d’être en présentiel, comme les personnes qui gèrent les bâtiments par exemple, et ceux qui peuvent être en distanciel. Cela induit une nouvelle organisation avec en quelque sorte l’émergence de nouvelles classes sociales et de privilèges.

Comment vont les choses à l’international ?
G.C. On a été obligé de fermer la Chine et l’Inde, tout en gardant les structures, et l’on espère rouvrir bientôt sans pour autant avoir de visibilité de dates. Le Brésil quant à lui continue de fonctionner et a doublé les effectifs, tout comme à Montréal, par effet de bascule, mais également par effet d’opportunité. À Montréal, on est intégré dans un centre d’incubation avec un intéressant effet de synergie avec les start-up présentes. Il y a quatre ans, on a créé une structure à Cotonou au Bénin, avec une centaine d’étudiants, qui marche très bien, avec des enjeux autour du numérique et du graphisme. En effet, ces économies passent de l’artisanal et du pastoral à la 4G et c’est l’opportunité d’avoir des vitrines sur le monde avec des codes adéquats. On se pose aussi la question d’ouvrir à Bruxelles ainsi qu’une autre antenne en Asie.

Et concernant les programmes ?
G.C. On a eu des bonnes nouvelles : grade de Master pour le cursus Bac +5. Pour information, nous sommes la seule école privée de design pouvant se prévaloir d’un grade de Master. On a également reçu la qualification EESPIG  (ndlr  : un EESPIG est un établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général). Ce sont de belles reconnaissances qui renforcent le projet qui veut que l’on passe une nouvelle étape avec les nouveaux bâtiments de 11 000 m² que nous allons occuper sur l’Île de Nantes, ce qui nous permettra de nous développer car nous étions un peu à l’étroit, et surtout de rassembler toutes nos activités.

Vous lancez votre propre site internet : pourquoi ?
G.C. Un projet politique doit être porté par un discours politique : c’est la raison pour laquelle j’ai souhaité travailler sur un site internet (ndlr : christianguellerin.lecolededesign.com). Ce que je disais il y a 15 ans en matière de stratégie, d’innovation et de management était sujet à controverse alors qu’aujourd’hui tout cela est bien plus admis. Je veux témoigner de l’apport du design sur l’ensemble de la chaîne de valeur, car s’il est compliqué de chiffrer sa contribution économique, il est en revanche beaucoup plus facile de comprendre ce qu’il peut apporter en termes de nouveaux marchés ou de nouvelles propositions de valeur. Au fond, il faut entrer dans une dimension beaucoup plus stratégique et prospective. Il faut également intégrer la dimension managériale avec la capacité du designer de rassembler autour de la table des experts très différents. Le design est un moyen mais est aussi une démarche stratégique, de management et de partage. Il y a peu de discours politique en la matière. On a aussi un autre enjeu  : plus on va travailler sur ce discours-là, plus on a des chances que les designers occupent des positions top stratégiques au sein des entreprises. Il faut donc permettre à nos étudiants de se projeter sur des positions stratégiques. Et puis, ce qui a permis de tout changer, c’est le digital. Avec une application, soit ça marche, soit ça ne marche pas. Quand ça marche, c’est un investissement très faible et donc beaucoup plus de designers sont devenus des entrepreneurs. Il faut passer d’un design thinking à un design doing. Il y a des gens qui militent là-dessus et la doxa n’est pas encore là.

Quelle est votre position sur le Conseil national du design ?
G.C. J’attends de voir réellement ce que cela va donner. C’est déjà bien que les acteurs se soient mis autour de la table, mais il faut voir concrètement à quoi cela va aboutir. Les établissements supérieurs d’enseignement ont une responsabilité majeure. Je déplore cependant que l’on ne va pas beaucoup parler de design dans les discours politiques lors des prochaines élections, alors que le design et l’innovation sont des thèmes centraux.

Un message pour terminer ?
G.C. Je pense que les écoles de design sont devenues les nouvelles écoles de management : elles ont la capacité à mettre toutes les disciplines en résonance pour concevoir le monde de demain en intégrant la dimension économique et sociétal : globalisation des cultures, enjeux écologiques. D’autre part, l’arrivée des robots et de l’intelligence artificielle pose la question de ce que signifie être humain dès lors que les robots sont plus intelligents que nous. Enfin, qu’en est-il de la liberté, égalité et fraternité ? Il y a un vrai enjeu qui est au fond un enjeu écologique – qui n’est pas de sauver la planète, elle sera sauvée de toute façon – mais de sauver l’être humain. Bref les robots nous amènent à revoir notre relation aux gens et aux choses et à trouver le juste équilibre, ce que le designer a toute légitimité à faire mais aussi le devoir de faire. La problématique se pose également avec les avatars – qui seront capables d’aller au-delà de nos propres décisions car ils ont une connaissance exhaustive et permanente de l’ensemble des paramètres. Bref, le contexte sociétal doit interroger le designer. Nous sommes à une période clé au niveau du design et c’est pour cela qu’il faut en faire une discipline stratégique. Top stratégique.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1224