D comme diversité

Éléonore de Lacharrière, déléguée générale de la fondation Culture & Diversité, nous explique ses interactions avec le monde du design.

Éléonore de Lacharrière, pourriez-vous vous présenter ?
E.D.L. J‘ai suivi des études en finance à Dauphine et à l’ESSEC puis ai travaillé en Inde pour lutter contre la pauvreté. J’ai ensuite intégré le groupe familial (ndlr : Fimalac) où, au Comex, j’effectue le suivi des participations et notamment pour ce qui concerne les aspects liés aux questions de gouvernance et de RSE. En parallèle, en 2006, je crée avec mon père (ndlr  : Marc Ladreit de Lacharrière) la fondation d’entreprise Culture & Diversité dont je suis la déléguée générale. J’y assure un rôle volontairement opérationnel, et c’est dans cet esprit qu’a été établi en 2007 le programme « Égalité des chances en école d’art et design ».

Quels sont les objectifs et les principes de fonctionnement de la fondation Culture & Diversité ?
E.D.L. Notre objectif premier est que la culture puisse se revendiquer d’une création riche et diverse. Autrement dit, il s’agit de permettre aux jeunes de milieux modestes d’accéder à l’univers professionnel de l’art et de la culture. Nous sommes une organisation à la fois extérieure au secteur mais totalement imbriqué dans l’écosystème. On accompagne des jeunes du collège jusqu’à leurs débuts professionnels – voire au-delà – en les aidant pour qu’ils puissent effectuer leur parcours dans les meilleures conditions, c’est-à-dire avec la même égalité de chances que de jeunes issus de milieux plus favorisés. Nous développons nos programmes avec 20 écoles supérieures d’art de l’ANdÉA (ndlr  : l’association nationale des écoles supérieures d’art et design publiques), avec L’APPÉA (ndlr : réseau de 23 classes préparatoires publiques aux écoles supérieures d’art et de design réparties sur l’ensemble du territoire national) ainsi que les ministères de l’Éducation nationale et de la Culture. Ces partenariats nous permettent, en particulier, de repérer des talents sur l’ensemble du territoire auprès de 40 lycées partenaires proposant une option design et arts plastiques. 

Comment s’opère le suivi des élèves ? 
E.D.L. Une fois les élèves repérés, et si confirmation, nous passons par une phase de préparation aux concours en permettant aux élèves d’affecter une partie de leur temps directement dans les écoles d’art et de design. Petite remarque au passage : les élèves que nous suivons n’ont aucun passe-droit et il n’y a pas de voie parallèle, et pourtant nous constatons un taux de réussite aux concours supérieur par rapport à la moyenne. Ensuite, nous les accompagnons pendant leurs études en les aidant pour le logement, en leur attribuant des bourses ainsi qu’une aide pédagogique. Puis arrive la phase d’insertion professionnelle – petits boulots, stages, ateliers professionnels, aide à la diffusion, résidences d’artiste. Par exemple, nous avons récemment eu un projet avec la Villa Médicis où des designers que nous suivons ont passé une semaine sur place pour comprendre ce qu’est une résidence. Enfin, nous arrivons à la phase d’engagement où ce où sont nos anciens qui vont donner une partie de leur temps pour accompagner les nouvelles générations. Quelques chiffres pour illustrer notre action : depuis 2007, sur la partie art et design, nous avons informé 4 250 élèves, 497 ont été préparés aux concours, 350 ont passé les concours et 66 % d’entre eux ont intégré des écoles. Depuis cette même date, nous avons versé pour l’équivalent de 400 000 euros de bourses. Il est intéressant de noter que la capacité des jeunes à passer les concours double après avoir suivi nos programmes. On travaille beaucoup sur les notions de réseaux et de secteurs  : comprendre les différentes typologies de design, savoir qui fait quoi, qui est qui, etc. Des subtilités que l’on doit connaître pour s’intégrer professionnellement et c’est là où l’accompagnement montre son utilité. Enfin, je précise que 81  % des jeunes que nous accompagnons trouvent leur premier job dans les six mois de l’obtention du diplôme, tous programmes confondus. Parmi nos diplômés, nous avons par exemple une jeune artiste qui fait des films publicitaires, un designer qui a fait l’Ensci et qui a créé son agence (ndlr : Hall Haus) ou encore un autre qui vient d’être embauché à Dubaï après avoir fait du web design chez AXA. Il faut cependant avoir à l’esprit la difficulté que représente pour un jeune de milieu modeste d’aborder un secteur comme celui du design  : auto-discrimination, peur des parents, contraintes matérielles (logement, déplacements), coûts administratifs et d’achat de matériel même quand les études sont gratuites (frais d’inscription, ordinateur, etc.). 

Quelles sont vos ambitions pour les années à venir ?
E.D.L. De continuer notre travail sur l’insertion professionnelle. Nous sommes bons sur la partie repérage, sur la préparation aux concours ainsi que sur le suivi des études.  En revanche, il faut que l’on agisse davantage sur l’établissement des liens avec le secteur professionnel : alternances, stages, premiers jobs, et en particulier lors de périodes tendues comme celle que nous connaissons actuellement. Ainsi, ce serait formidable d’établir un partenariat avec une ou plusieurs agences de design dans l’optique d’accueillir régulièrement un certain nombre de nos jeunes talents. 

Quelle est votre vision du design français ?
E.D.L. Je suis marquée par le dynamisme du secteur ainsi que sa pluralité. C’est formidable de voir à quel point, en 15 ans, le design est devenu la transversalité qui relie l’ensemble du secteur de l’art et de la création, ainsi que les secteurs professionnels. Le design démontre une vraie capacité à s’insuffler dans toutes les disciplines et à naviguer dans tout l’univers de la création.

Un message pour terminer ?
E.D.L. Dire et redire que les jeunes issus de la diversité sociale sont la plus grande richesse de la création française. On doit absolument préserver cette diversité car si tous ceux qui créent se ressemblaient trop,  cela appauvrirait notablement la création.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1223