Workshop : vive le commerce !

Daniel Lellouche, CEO de Workshop, agence de retail design, nous fait part de la vision de son métier.

Daniel Lellouche, rappelez-nous votre parcours
J’ai une formation stratégique et de marque. Je ne suis pas un designer : je viens du marketing et de la distribution. J’ai démarré chez l’annonceur – Blanc Bleu dans le secteur textile – que j’ai accompagné notamment en matière de com, image et retail. Précisons que dans les années 1990 ce n’était pas une évidence de piloter de façon consolidée ces trois leviers. Puis, j’ai fondé Workshop au début des années 2000 sur l’idée d’accompagner des marques du circuit sélectif sur des problématiques de retail et de merchandising (ndlr : la distribution sélective est un mode de distribution reposant sur des points de vente sélectionnés, selon des critères précis, par la marque distribuée).

Présentez-nous Workshop
L’agence Workshop s’est lancée avec le budget Louis Vuitton. Ensuite, nous nous sommes progressivement orientés sur le design des points de vente, à la demande de clients premium comme Lanvin ou Givenchy. En 2004, on a rejoint le groupe de communication Venise dont on a constitué la filiale retail design pendant une dizaine d’année. Là, on a structuré notre offre retail design : branding, concept et déploiement. J’ai racheté ma participation il y a trois ans et nous sommes aujourd’hui indépendants. Nous sommes centrés retail design et uniquement retail design. Par exemple, nous n’avons jamais voulu aller sur le terrain du packaging.

Comment travaillez-vous ?
Le retail design est un métier qui demande à être très proche du client. C’est un métier de détail, encore plus aujourd’hui qu’hier. On tisse une histoire qui doit être collaborative. Ce n’est pas pour rien que nous nous appelons depuis toujours Workshop, car on ne construit pas un bon projet de façon top-down. Notre façon de travailler réside dans l’échange et dans l’écoute. Il s’agit de transformer ce que nous disent nos clients. Dans ces conditions, on ne peut pas être 150, on ne doit pas être une armée mexicaine. Nous sommes, comme disent les Anglais, une « boutique » d’une dizaine de personnes. On est à contre-courant, par conviction et par relation. J’aime vraiment mes clients, on a tissé avec eux des liens forts que l’on n’aurait pas pu avoir si on avait été un groupe multi-métiers. C’est mon côté commerçant frustré, peut-être, mais j’adore écouter mes clients. Du coup, cette période de Covid a été dure à la fois en termes de business et en termes relationnel. On a quand même eu la chance d’avoir fait une excellente année 2019 ce qui nous a permis d’amortir le choc avec nos clients historiques, mais aussi avec de nouveaux clients comme Clarins pour qui on a développé un virtual store à Dubaï, ce qui indique que nous avons beaucoup développé la composante digitale durant ces derniers mois. On a aussi conçu une nouvelle technologie encore plus souple où l’utilisateur peut vraiment se balader et s’immerger partout – je vous en reparlerai plus en détail lorsque cela sera officiel.

Comment voyez-vous évoluer votre métier ?
De façon générale, je suis viscéralement un partisan du retail physique, même si le marché va clairement vers le virtuel, ou du moins se dirige vers une combinaison entre physique et virtuel. Cela étant dit, le client ne pourra jamais se passer de rencontres et de liens. Pour cela, le magasin est le lieu idéal. Un lieu de relations avant d’être un lieu de commerce ou un entrepôt. Il va de plus en plus devenir un lieu de rencontre et d’entertainment. On travaille beaucoup avec nos clients sur ces problématiques. L’expérience reste également un sujet clé. Concernant les réseaux, ils seront moins standardisés car il est délicat désormais de cloner un même concept partout. D’où l’intérêt d’un fondement de marque très fort car il ne faut surtout pas que l’hétérogénéité crée de la confusion. Les meilleurs sauront maîtriser le mix entre connaissance de la marque et connaissance du client. Tout cela oblige les marques à se poser les vraies bonnes questions, notamment sur leur signification – et cela va au-delà des problématiques RSE (ndlr : Responsabilité Sociétale des Entreprises). On est dans un processus de « psy de marque » qui devient intéressant pour les faire accoucher de leurs vraies propositions de valeur. Et dans cette optique, Amazon n’est pas une marque, mais une chaîne logistique : ce n’est certainement pas l’exemple à suivre. Nous on ne veut pas juste de la supply chain, on veut de vrais liens. 

Comment percevez-vous le design français ?
Le « design à la française » est pour moi la rencontre entre une approche artistique et une certaine forme d’audace. Dans cette optique, le design de Pierre Paulin me plaît car il représente le trait d’union entre le design fonction et l’apparence. C’est ça le retail : à quoi ça sert, d’abord, et l’enveloppe ensuite, qui vient presque de manière naturelle. Le pseudo esthétisme m’insupporte car il génère des projets qui datent très vite, la fonction n’ayant pas été respectée. On gagnerait, plutôt que d’en faire des tonnes sur la RSE, à parler de durabilité des concepts design. Un commerçant ne peut quand même pas refaire ses magasins tous les deux ans. 

Un message pour terminer  ?
Je suis peut-être un vieux con, mais la fonction c’est important et le « à quoi ça sert » est fondamental… J’ai des projets qui datent de 15 ans et que je suis encore fier de montrer. Aujourd’hui, on est dans l’ère du Pinterest. Le client a déjà des images inscrites dans son cerveau : ce n’est pas utile de les lui remontrer. Il faut plutôt l’emmener ailleurs. Alors, allons chercher en nous ce qu’il y a de plus artisanal plutôt que d’aller tous benchmarker les mêmes concepts sur Google ou Pinterest.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1194