Design à la Caisse

interview de Philippe Caïla, directeur de La Fabrique digitale chez Groupe Caisse des Dépôts, et de Nathalie Pezzoli, responsable du Studio Design de La Fabrique digitale, qui nous parlent de leur action au sein de l’institution.

Philippe Caïla, comment définir la Fabrique ?
P.C. La Fabrique est composée de quatre ateliers experts : Studio Design pour la conception, le prototypage, le développement de services numériques – notamment de plateformes digitales mobiles et fixes  ; DataLab pour la prise en charge de cas d’usages métiers en datasciences  ; la Code factory pour le développement agile ; l’innovation store pour la distribution de services facilitant l’industrialisation de produits issus de démarches d’innovation.

Qu’en est-il du Studio Design en particulier ?
P.C. La maturité design a bien progressé à la Caisse depuis quelques années, surtout en matière d’UX, web design ou intégration de plateformes. Dans l’écosystème interne du design, le Studio Design se positionne désormais sur des fonctions de conception plutôt que sur des problématiques de production ou de parcours utilisateurs. Un des savoir-faire qui se développe au sein du Studio est d’être un acteur dans la définition et la mise en place nouvelles offres digitales et également de plateformes de politique publique. Disons que nous sommes passés du stade du design « d’enluminure » à celui d’un design « business partner » avec son expertise propre en conception et en réalisation.
N.P. Cela fait deux ans que je suis là et j’ai eu la chance de vivre la transition entre ce qui était une unité de production et aujourd’hui un studio de design stratégique à même de concevoir des nouveaux services ou tangibiliser des services existants ou en cours de déploiement. Nous avons réussi à positionner le design en amont des projets, à monter de vraies learning expedition et à rendre concret les sujets à adresser dans les dispositifs développés par la Caisse. Par exemple, quand la Caisse développe une plateforme, nous la plaçons toujours dans son contexte, comme pour France Services, guichets uniques de proximité regroupant sur leurs sites plusieurs administrations. Le succès d’une plateforme donnée France Services tient à la résolution de points de friction spécifiques au territoire couvert. 
P.C. La généralisation de l’approche centrée utilisateur est importante dans les dispositifs des politiques publiques. Le design apporte une recontextualisation déterminante pour des solutions pertinentes. Il permet d’enrichir à la fois les inputs et les retours utilisateurs afin d’améliorer les projets. Par exemple, dans le cadre de la réflexion sur la massification de la rénovation énergétique des propriétés individuelles, le design permet à la fois de mettre en œuvre des démonstrateurs et un parcours physique et digital réfléchi. Cela permet à la Caisse d’apporter une réflexion en termes d’inclusion numérique qui va au-delà de l’amélioration de la relation de guichet entre les citoyens et les acteurs publics. 

Quelle est votre ambition en matière de design ?
P.C. L’ambition est d’infuser la culture du design dans les métiers de la Caisse des Dépôts – et je précise ici bien clairement qu’il n’y a pas de design sans designers – et créer de la valeur ajoutée et de la valeur d’usage en apportant ce regard contextualisé et holistique propre au designer. Il s’agit de travailler en appui aux métiers de la Caisse et de leur apporter éclairage, savoir-faire et outillage. Dans cette optique, nous nous appuyons sur l’accompagnement de professionnels du design extérieurs. Le Studio est un ensemblier qui dirige le travail de prestataires et un contributeur à la réflexion sur les missions de la Caisse et celles de la Banque des Territoires. Depuis cette année nous développons pour les métiers de la CDC, des partenariats R&D en design avec des institutions universitaires comme Les Gobelins, l’Ensci ou l’École de design Nantes Atlantique. Cela nous permet de disposer d’une vision sur des sujets qui seront d’actualité dans 6, 18 ou 24 mois et en particulier une réflexion sur les territoires, les politiques sociales ou la transformation interne des acteurs publics. J’ajoute que le design apporte vraiment ce « one more thing » dans une maison comme la Caisse où règne une forte culture d’ingénierie publique.
N.P. Concernant ce sujet des politiques publiques, notre objectif est d’évaluer comment certains services peuvent être augmentés grâce à la digitalisation. Il ne s’agit pas de faire seulement du benchmark mais de proposer de vraies innovations. Pour cela, on laisse tourner les démonstrateurs sur le terrain pour comprendre comment, par exemple, l’intelligence artificielle peut faciliter l’inclusion numérique  : ainsi, nous regardons comment actualiser par la voix sa situation Pôle emploi via l’IA.
P.C. Tester en milieu réel est toujours passionnant. C’est un excellent outil d’aide à la compréhension puis à la – bonne – décision. Le pari que nous faisons avec Nathalie Pezzoli pour ce qui concerne le design management c’est d’abord manager l’organisation interne de la Caisse pour qu’elle donne sa place au design en tant que fonction utile pour l’innovation dans l’entreprise. Une bonne partie de notre travail c’est de faire intégrer par la structure les besoins spécifiques des designers. Je note, à ce propos, qu’il y a beaucoup de bienveillance dans la maison – Métiers, mais aussi Achats, RH, Secrétariat Général, IT, etc. – pour développer les outils adéquats. Ce n’est pas toujours simple mais l’envie est bien là.
N.P. Au-delà du design on a en parallèle l’objectif du numérique – c’est nouveau. Nous ne sommes pas seulement financeurs mais aussi opérateurs de plateformes (Mon compteformation.fr, Banque desterritoires.fr, Franceservices.fr, etc.). Les tests utilisateurs, l’enquête client ou terrain sont donc absolument indispensables pour bien valider que le service et son parcours permettent à l’utilisateur à la fois de comprendre ses droits et le service auquel il a droit. On amène du concret, du terrain, dans ce qui est au départ un objectif de nature politique. Nous parlons alors d’inclusion numérique mais aussi d’inclusion administrative : pour simplifier la démarche administrative il n’y a que le terrain qui permette de comprendre les besoins des usages ou des clients. 

Un message pour terminer ?
P.C. En premier lieu, nous croyons beaucoup au design dans la conception des dispositifs des politiques publiques. Et nous avons la chance extraordinaire à la Caisse de pouvoir autant concevoir qu’industrialiser certains projets de services publics digitaux. En second lieu, l’accord cadre qui a été lancé va permettre d’ici la fin du printemps à la Caisse des Dépôts de s’appuyer sur un écosystème de designers extérieurs consistant. Nous pourrons aller plus loin dans cette approche « d’innovation by design ». Les agences retenues sont certes en concurrence mais elles seront fédérées en fonction de leur compétence, chacune spécialisée dans un métier spécifique et complémentaire afin de concevoir, réaliser et livrer tant aux citoyens qu’à nos commanditaires publics des projets d’intérêt général de qualité.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1193